Chanson française - Made in France

FRANCE - débat sur l'identité nationale


Quand on s'est ému de la faible place du français lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Vancouver, il y avait de quoi rester bouche bée, samedi, devant le gala des Victoires de la musique. À Paris, c'est l'anglais qui a la cote et la note. De quoi déconcerter.
C'est Charles Aznavour, président d'honneur de la soirée des Victoires, récompensé pour l'ensemble de sa carrière, qui a eu le mot le plus surprenant samedi. Il a salué la relève qui fait «avancer la chanson française comme elle ne l'avait plus fait depuis les Souchon, Cabrel et autres».
Vu d'un salon québécois, c'était à se pincer. Car de français, il y en avait eu bien peu dans ce gala, 25e de son histoire, qui devait pourtant lui être consacré. En fait, 45 % des prestations d'artistes s'étaient faites en anglais, selon le relevé de l'animatrice de Radio-Canada et amoureuse de la chanson en français, Monique Giroux, présente sur les lieux du gala.
Que ce soit une Québécoise qui ait cru bon de faire ce décompte ne tient évidemment pas du hasard. En France, le débat autour de la place du français est soit non avenu, soit déjà réglé.
En janvier dernier, Le Nouvel Observateur consacrait un dossier à l'évasion fiscale qui amène certains Français bien nantis à s'établir à Bruxelles, coeur de l'Europe, à la fois pour sa taxation moins lourde, mais aussi pour son système d'éducation où l'anglais a la part belle. Comme disait l'un des interviewés: «À Bruxelles, mes enfants ont une éducation multilingue. À Paris, ils seraient dans un établissement franco-français. Qui travaillera encore en français en 2025-2030?»
En France, c'est le genre de petite phrase qui ne fait sourciller personne: il ne manque déjà pas de milieux de travail à Paris où tout se passe in english only. Les Victoires de samedi en étaient le reflet: pas un titre français dans la catégorie «Musique électronique ou Dance [sic]»; au rayon «Révélation scène de l'année», trois des quatre nommés chantaient en anglais — l'exception étant... la très Québécoise Ariane Moffatt! Trois sur quatre aussi pour l'anglais dans la catégorie «Révélation de l'année», choix de l'industrie.
L'ironie, c'est que le français retrouvait sa place dans la catégorie «musiques urbaines», curieux vocable regroupant des néo-Français, aux racines marocaines, maliennes ou haïtiennes... Ajouté au fait que la «Chanson originale de l'année» (que les règles obligent encore à être en français: ouf!) fut remportée par la Québécoise Coeur de pirate, il y a de quoi s'interroger. Le français n'est-il bon que pour ceux venus d'ailleurs? Des rejetons du Poitou et de la Bretagne, eux, ont préféré l'anglais: réunis sous le nom Pony Pony Run Run, ils ont aussi gagné comme Révélation du public de l'année.
Seul Philippe Gildas, présentateur bien connu en France, meublant un temps mort du (très long) gala, a osé s'étonner à haute voix: «Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à chanter en anglais?» La jeunesse — la relève! — qui occupait alors la scène ne fit qu'accentuer le côté vieux croulant de l'exclamation...
Pour nous qui avons déjà du mal à résister à l'envahisseur (n'y a-t-il pas recours quasi exclusif aux chansons anglaises dans les téléséries québécoises?), cette situation doit nous inquiéter. Si la France n'est plus une référence, que nous restera-t-il? Seuls à vouloir étudier en français, travailler en français, chanter en français... Mais c'est le folklore qui guette! Et l'américanisation du monde qui se poursuit.
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jboileau@ledevoir.ca


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