Québec-Wallonie : une comparaison utile

Chronique de José Fontaine


La Wallonie et le Québec ne sont nullement similaires, encore moins identiques. Mais des comparaisons sont nécessaires. Comme je l’ai souvent écrit ici, le Québec est en avance (très nette) sur la Wallonie du point de vue identitaire ou symbolique (ou encore culturel), mais on peut dire que la Wallonie est en avance sur le plan institutionnel.
Fédéralisme canadien et fédéralisme belge
Il est vrai que le fédéralisme étant ancien au Canada, la Wallonie ne dispose pas encore par exemple de compétences en matière de Justice et de Police et qu’un problème se pose à elle en matière d’enseignement et de culture dans la mesure où une institution hybride, la Communauté Wallonie-Bruxelles, régit ces matières. Mais il est vrai que les Wallons y sont majoritaires et qu’un puissant mouvement bruxellois vient de naître, opposé au maintien de cette institution (également rejetée en Wallonie). Il faut ajouter aussi à cela que la sécurité sociale est une matière demeurée fédérale. Cela s’explique justement par le fait que le fédéralisme canadien est ancien et le fédéralisme belge est très neuf. En effet, on a commencé à s’intéresser aux problèmes sociaux bien avant l’instauration du fédéralisme belge (qui ne devient vraiment un peu effectif qu’en 1980 et vraiment significatif qu’entre 1995 et 2000). La sécurité sociale belge en sa pleine acception a été véritablement créée en 1944, soit plus d’un demi-siècle avant l’instauration d’un fédéralisme significatif. Elle a donc été assumée par ce qui existait seulement comme pouvoir public alors, soit l’Etat national unitaire.
Le Québec a des compétences dans tous ces domaines dont la Wallonie est absente, c’est vrai. Mais il faut admettre aussi que la Justice par exemple ou la Police sont des matières qui, si elles ne sont pas de la compétence des Etats fédérés, sont en quelque sorte déjà régionalisées, de fait. Je veux dire par là que si la Justice en Belgique relève toujours de l’Etat fédéral, en pratique, on ne nomme que des juges flamands (ou néerlandophones) en Flandre et des juges wallons (ou francophones) en Wallonie. Il est possible d’ailleurs que cette matière soit transférée en partie aux Etats fédérés, car le droit en Wallonie commence à différer du droit en Flandre après un quart de siècle de fonctionnement des parlements (et pouvoirs législatifs), distincts.
Quant à la Sécurité sociale, il semble bien que cette matière sera bientôt régionalisée, en tout ou en partie. Les socialistes flamands, considérés comme peu nationalistes ou peu autonomistes, le veulent, car ils estiment que la pyramide des âges en Flandre et en Wallonie est tellement différente (ce qui est vrai: la population wallonne est beaucoup plus jeune que la population flamande, inversion de la situation d’autrefois du vieillissement de la Wallonie qui a été l’occasion de la prise de conscience nationale en Wallonie, étrange...), qu’il convient de prendre des mesures distinctes en matière sociale - ou différenciées. Comme la Wallonie aurait des difficultés à assumer seule la Sécurité sociale (en tout cas, les adversaires de cette mesure le disent), les Flamands ont déjà annoncé qu’ils accepteraient que le financement de cette matière demeure national au moins vingt ans encore, le temps pour la Wallonie de se refaire une santé.
Accélération du transfert de compétences
En chiffres, on estime dès à présent que si l’on fait le total des budgets étatiques (Etat fédéral et Etats fédérés), on peut dire que les Etats fédérés ont 51% des sommes affectées aux différents niveaux de pouvoir. Or si les transferts dont je viens de parler se produisent, on ira vers 60 voire 70% en faveur des Etats fédérés (qu’une absurde habitude belge nomme “entités fédérées”, manière de reculer devant les réalités en ne les nommant pas par leur nom). Certes, c’est l’Etat fédéral qui continue à lever au moins trois-quarts des impôts (et comme je l’ai dit, le financement d’une Sécurité sociale possiblement régie par les Etats fédérés demeurerait encore un temps assez long de financement national). Mais par ailleurs, en Belgique, lorsqu’une matière est transférée aux Etats fédérés, elle est transférée de manière radicale. Par exemple, ce sont les Etats fédérés qui deviennent compétents pour traiter de ces choses sur le plan international et signer des traités (sans véritable veto possible de l’Etat belge, d’autant plus improbable que le gouvernement fédéral est mi wallon, mi flamand si on veut, avec une présence également des Bruxellois).
Pour le dire autrement encore, la Wallonie a obtenu, somme toute, 51% des pouvoirs étatiques qu’elle ne détenait pas il y a 26 ans. En revanche, dans l’opinion publique notamment, il y a une vraie réticence à considérer que les Etats fédérés correspondent à des communautés morales, c’est-à-dire qu’elles soient considérées aussi comme des ensembles humains, partageant des valeurs, une culture etc. (ou des nations). C’est toujours la Belgique qui prédomine sentimentalement ou affectivement si l’on veut et cela tant en Flandre qu’en Wallonie. Le Projet de décret instituant une Constitution wallonne (qui allait dans le sens de cette communauté morale), a du plomb dans l’aile. Et le même projet du côté flamand n’a toujours pas abouti. Essayons peut-être de voir pourquoi en tentant de comparer le Québec et la Wallonie.
Avancées identitaires et avancées institutionnelles
Il me semble que si le Canada a reconnu que le Québec était une nation (d’ailleurs contre le sentiment de l’opinion canadienne anglaise), c’est beaucoup pour donner quelque chose qui apaise l’exigence souverainiste institutionnelle, de la part du partenaire anglais, du moins de ses leaders politiques (puisque l’opinion y est opposée). Dès lors ici l’exigence identitaire est satisfaite pour en faire reculer d’autres (au moins, c’est le calcul). En revanche, chez nous la demande de nouveaux pouvoirs institutionnels de la part de la Flandre et de la Wallonie a toujours été satisfaite, tandis que l’opinion wallonne comme l’opinion flamande demeurent attachées à la Belgique et que tant en Flandre qu’en Wallonie les nationalistes n’obtiennent pas satisfaction sur le plan identitaire.
En m’inspirant du cas du Québec, pourrais-je dire que chez nous se passe le contraire de ce qui se passe chez vous, à savoir qu’on satisfait la demande institutionnelle en espérant que cela apaise la demande de reconnaissance identitaire? Ce n’est peut-être pas impossible. Ce serait une manière de calmer les inquiétudes des Flamands et des Wallons qui se sentent belges et surtout des Bruxellois qui ont un d’horizon identitaire plus difficilement pensable. C’est peut-être aussi une façon de ménager le sentiment monarchiste et l’institution de la monarchie elle-même. La monarchie, même si son influence recule, marque toujours de son empreinte la société belge et c’est une institution qui vit beaucoup (voire même surtout si pas exclusivement), du symbolique.
Le phénomène de la monarchie, conclusion sur le Québec et la Wallonie
Ainsi par exemple, le Procureur d’Hasselt, ce mardi, a tenté jusqu’au bout de s’opposer à la comparution comme témoin du Prince Laurent de Belgique (dans un procès où sa villa a été aménagée à l’aide de procédés frauduleux, peut-être à son insu), en arguant que l’arrêté royal qui le permettait ne détaillait pas la manière dont il devait être traité protocolairement. Aussi extérieure qu’elle me semble être à la société, la monarchie belge n’est ni pour les Flamands ni pour les Wallons une monarchie étrangère. Elle n’a même jamais été une monarchie absolue puisque le premier roi a été élu par le Congrès national, assemblée démocratiquement élue (au suffrage restreint cependant) après la Révolution belge de 1830 qui sépara la Belgique de la Hollande.
Certes, il ne faut pas nécessairement donner trop de poids à cette monarchie. Mais au-delà de la monarchie elle-même, il est vrai que la Belgique est devenue un Etat et l’est demeurée par consentement de ses composantes (avec certes beaucoup de conflits). Mais le fédéralisme de dissolution qui se met en place aujourd’hui (et avec quelle radicalité!), se transforme parfois en confédéralisme. Bien plus, les différentes composantes de la Belgique se sont obligées elles-même à coopérer dans les domaines où il y a chevauchement d’intérêts (pour prendre un exemple parlant: par exemple quand une route ou un fleuve va de Wallonie en Flandre ou l’inverse).
En quelque sorte, la moindre force des aspirations identitaires de la Flandre et de la Wallonie semble ainsi correspondre, si l’on veut, au type de solution qui stabiliserait la Belgique en la remplaçant par une confédération d’Etats coopérant cependant assez étroitement. La démarche récente des Bruxellois qui ne veulent pas être oubliés dans cette évolution renforce la conclusion qu’on peut tirer de tout cela. Il y a véritablement estompement de l’identitaire belge mais lentement, lentement, de telle façon que la réalité institutionnelle désirée soit bien celle que l’on veut : des peuples différents, mais liés. Voilà sans doute le lien entre l’évolution institutionnelle et l’évolution que j’appelle identitaire.
En somme, l’institutionnel fort indique quand même que l’on ira un jour vers de l’identitaire fort également. Pour le Québec, la leçon s’inverse: l’identitaire fort indique que l’on va vers de l’institutionnel fort, la souveraineté, le Québec libre. Ou, pour le dire autrement, les pouvoirs étendus de la Wallonie seront un jour perçus comme ceux d’une nation libre tandis que la forte identité québécoise sera un jour celle d’un Etat indépendant. Un jour le président de la République du Québec sera reçu à Namur par le président de la République de Wallonie. Et je le souhaite, car nous avons beaucoup plus à échanger que nous ne le faisons présentement: la clarté des indépendances facilitera la communication.
José Fontaine

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • Jacques Bergeron Répondre

    15 janvier 2007

    Même si nous sommes d'accord avec vos voeux, il nous est impossible de croire que ce jour est proche. Comment le serait-il avec le présent chef de notre pari, André Boisclair pour ne pas le nommer? Ce n'est certainement pas avec ce genre d'individu au vide intellectuel et social, et j'ajouterai au vide politique, que le Québec pourra devenir indépendant et que son président pourra être reçu dans un autre pays indépendant.
    Le Québec a besoin d'un Jacques Parizeau, ou d'un Rolland Béguelin, et il a hérité d'un Boisclair. Quel malheur pour son peuple, le mien, et la francité!
    Jacques Bergern