Élections fédérales

Que s'est-il donc passé?

Recomposition politique au Québec - 2011


Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, salue ses partisans lors d’un passage à Gatineau pendant la campagne électorale. Jack Layton, un Montréalais bilingue de gauche, a pu s’attirer aisément la sympathie du public québécois.

Photo : Agence Reuters Patrick Doyle

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, salue ses partisans lors d’un passage à Gatineau pendant la campagne électorale. Jack Layton, un Montréalais bilingue de gauche, a pu s’attirer aisément la sympathie du public québécois.
Comment peut-on expliquer la vague orange qui a déferlé sur le Québec? Il y a tout d'abord eu la polarisation du vote entre la droite conservatrice et les partis politiques se réclamant de la gauche. Puis il y a eu la performance de Jack Layton à Tout le monde en parle. La conjoncture était favorable pour faire passer le message d'un Montréalais bilingue de gauche qui pouvait s'attirer aisément la sympathie du public. Cette impression fut confirmée lors du débat des chefs. Or, à l'occasion de ce débat, comme dans d'autres interventions, M. Layton s'est montré ouvert au Québec et a même fait miroiter d'éventuels changements qui iraient dans le sens du fédéralisme asymétrique, du droit de retrait avec compensation financière et d'une ouverture sur le front linguistique.
À mi-chemin dans la course, d'autres facteurs déterminants sont toutefois venus s'ajouter. Au congrès du Parti québécois, dans un discours très médiatisé, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, affirmait sur un ton solennel qu'avec le BQ à Ottawa et le PQ à Québec, tout devenait possible. Les Québécois ont soudainement été replongés dans le débat sur la question nationale avec la possibilité d'un référendum sur l'indépendance du Québec. Cela a donné la frousse à plusieurs personnes. Le fruit était mûr pour jeter son dévolu sur le Nouveau Parti démocratique.
Saluons au passage le courage, la détermination et le dévouement de Gilles Duceppe et de son équipe de députés. Le métier de politicien est souvent ingrat et le Bloc québécois ne méritait pas cela.
La fameuse troisième voie
L'arrivée du NPD dans l'opposition officielle à Ottawa rappelle les événements qui ont précipité l'Action démocratique du Québec dans l'opposition officielle à l'Assemblée nationale. Comme pour l'engouement en faveur du NPD, la question nationale a, à l'époque, joué un rôle déterminant dans le choix de plusieurs électeurs québécois. Je n'ai pour ma part jamais vraiment cru à un tournant droitiste au Québec pour expliquer les succès de l'ADQ à l'époque. C'est l'autonomisme de l'ADQ qui a attiré les électeurs, tout comme c'est la peur d'un autre référendum et le minimum d'ouverture du NPD qui constitue un autre élément d'explication du tsunami orange en 2011, en plus de la peur bleue de voir les bleus majoritaires à Ottawa.
Plusieurs Québécois sont en effet encore à la recherche d'une troisième voie dans le débat constitutionnel. Cette hypothèse s'appuie sur ce que les sondages nous révèlent depuis 1995. Depuis environ une quinzaine d'années, en effet, à l'initiative du Groupe de recherche sur l'opinion publique (GROP), on sait qu'environ les deux tiers des Québécois estiment que le Québec a le droit de se séparer, qu'il a les ressources pour faire la souveraineté, et que celle-ci est réalisable. Mais en même temps, près des deux tiers de la population québécoise croient encore que le fédéralisme est susceptible d'être réformé.
Quelle leçon pour les souverainistes?
Telle est la position historique des Québécois. Ils préféreraient grandement un arrangement à l'intérieur de l'État canadien. Sans être un pis aller, car c'est le fédéralisme canadien qui est davantage un pis aller, ils sentent confusément que la démarche souverainiste n'est légitime que si elle se fonde sur le refus du Canada de reconnaître le peuple québécois. Si le Québec ne peut être reconnu dans le Canada, il a alors le droit de chercher la reconnaissance internationale en devenant souverain. Mais puisqu'ils croient encore à la possibilité de réformer le fédéralisme canadien, ils s'associent à un parti fédéraliste qui leur promet une ouverture.
Certains souverainistes répondront que, justement, c'est la croyance dans le caractère irréformable de l'État canadien qui justifie leur démarche. Mais ils sont souvent incapables de préciser quel est l'arrangement minimal qui les aurait satisfaits dans l'État fédéral canadien. Cela révèle qu'aucun arrangement à l'intérieur de l'État canadien ne saurait les satisfaire et qu'ils conçoivent la souveraineté comme une fin en soi et non comme un moyen pour obtenir la reconnaissance.
Les nationalistes qui sont au diapason avec le Québec doivent tout d'abord déterminer quel devrait être le statut politique du Québec dans le Canada. Il ne s'agit pas seulement de proposer des réformes ponctuelles dans la fédération en attendant de faire la souveraineté ou de demander toujours plus de pouvoirs jusqu'à ce que l'on obtienne un jour la souveraineté. Il s'agit plutôt de proposer un ensemble de principes de fonctionnement qui nous inciteraient à mettre de côté la souveraineté.
Un souverainisme de conclusion
Même si on a l'intime conviction que l'État fédéral est incapable de se réformer, il faut s'ajuster à la démarche de la majorité des Québécois. En appuyant le NPD, les Québécois disent qu'ils veulent à nouveau chercher un arrangement à l'intérieur du Canada.
Il s'agit autrement dit d'appliquer la maxime «pas nécessairement la souveraineté, mais la souveraineté si nécessaire». Il s'agit d'être des souverainistes de conclusion. Tel est le point consensuel possible au sein de la classe politique québécoise tout entière. C'est le sens de la loi 150 du gouvernement libéral adoptée en 1991 dans la foulée de la commission Bélanger-Campeau. Le Canada avait un an pour faire une offre au Québec, sans quoi il y aurait un référendum sur la souveraineté. C'était aussi le sens du rapport Allaire. Le Canada devait transférer 22 pouvoirs au Québec, sans quoi il y aurait un référendum sur la souveraineté.
Il faut cesser de voir dans le projet d'une réforme constitutionnelle canadienne une option que les souverainistes ne peuvent accepter sans se contredire. Il n'y a là aucune contradiction quand on est un souverainiste de conclusion.
De telles démarches de déblocage ont été maintes fois envisagées au sein du mouvement souverainiste. Le GROP, Jean-François Lisée, Claude Morin, Gilbert Paquette et moi-même l'avons tour à tour considérée. Si un gouvernement souverainiste était à l'origine d'une telle démarche, que celle-ci était consacrée dans une loi québécoise, que l'on exploitait le cadre prescrit par la Cour suprême dans le Renvoi sur la sécession de 1998, le Canada anglais aurait l'obligation constitutionnelle de négocier cette réforme.
Vaincre la peur
Les Québécois ont peur de s'engager dans une démarche souverainiste qui casserait le Canada en deux. Ils ne veulent pas poser un geste irréparable qui est moralement condamnable. Une offre de réforme constitutionnelle impliquant notamment la reconnaissance formelle du peuple québécois, un statut particulier pour la province de Québec, un régime de fédéralisme asymétrique, une pleine maîtrise d'oeuvre en matière de langue, de culture, d'immigration et de télécommunications, et un droit de retrait avec pleine compensation financière, constitue une demande moralement irréprochable.
Si le Canada dit non à cette réforme, la souveraineté assortie d'une offre de maintien de l'union économique dans une union confédérale constitue une autre option moralement irréprochable. Les Québécois peuvent sans peur et sans reproche mettre ces deux options de l'avant. Car dans les deux cas, ils cherchent l'unité dans la diversité.
Quant à ceux qui ont voté orange pour en finir avec la question nationale, ils doivent bien reconnaître qu'elle s'est imposée d'elle-même en bout de piste, avec une opposition officielle constituée majoritairement de Québécois (il n'y a pas eu de vague orange au Canada) et une majorité absolue de députés conservateurs constituée sans le Québec.
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Michel Seymour, professeur au Département de philosophie de l'Université de Montréal

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Michel Seymour est né en 1954 à Montréal. Très tôt, dès le secondaire, il commence à s’intéresser à la philosophie, discipline qu’il étudie à l’université. Il obtient son doctorat en 1986, fait ensuite des études post-doctorales à l’université Oxford et à UCLA. Il est embauché à l’université de Montréal en 1990. Michel Seymour est un intellectuel engagé de façon ouverte et publique. Contrairement à tant d’intellectuels qui disent avec fierté "n’avoir jamais appartenu à aucun parti politique", Seymour a milité dans des organisations clairement identifiées à une cause. Il a été l’un des membres fondateurs du regroupement des Intellectuels pour la souveraineté, qu’il a dirigé de 1996 à 1999. Pour le Bloc québécois, il a co-présidé un chantier sur le partenariat et a présidé la commission de la citoyenneté. Il est toujours membre du Bloc, mais n’y détient pour l’instant aucune fonction particulière.





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