LE SOLEIL - RÉPLIQUE

Que le vrai René Lévesque...

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Chronique de Pierre Godin



(Au chroniqueur Gilbert Lavoie) — Mon cher Lavoie, on vient de me faire lire votre commentaire [Que le véritable René Lévesque se lève->13061] publié dans Le Soleil du 5 avril dernier. Titre qui s'inscrit dans la campagne de désinformation engagée par Martine Tremblay et Louise Beaudoin, au nom du «vrai» René Lévesque, contre la télésérie René produite par Ciné Télé Action et réalisée par Pierre Houle. Et par la bande, contre L'homme brisé, dernier tome de ma biographie de René Lévesque qui a inspiré la série.
Vous avez repris à votre compte certaines affirmations contestables contenues dans le délire verbal de Martine Tremblay publié dans La Presse à propos de la télésérie. Ainsi, vous écrivez qu'aucun chef de protocole n'aurait eu l'audace d'enlever sa cigarette au premier ministre, avant la cérémonie télévisée, lors de l'inauguration du premier gouvernement indépendantiste de l'histoire, à l'automne de 1976. Pourtant, c'est bien ce qui s'est passé. Et c'est Jacques Vallée, «l'audacieux» chef du protocole, qui m'a raconté l'incident, que m'a confirmé Corinne Côté, mieux placée que Martine Tremblay pour le savoir. «René» avait bougonné un peu, remerciant après coup le chef du protocole de lui avoir rappelé les exigences de l'étiquette parlementaire.
Pour la relation de cette scène cocasse, voyez donc le troisième tome de ma biographie, René Lévesque l'espoir et le chagrin, pages 105 à 107. Vous comprendrez mieux alors pourquoi Jacques Vallée pouvait et se devait de poser un tel geste, contrairement aux allégations de Tremblay. À noter qu'aussitôt le PQ élu, celle-ci est sortie du décor. Elle a rejoint son mari, John Porter, conservateur au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa.
Donc, ce qu'elle affirme de cette période relève du ouï-dire. Elle n'est revenue à la politique que plusieurs mois plus tard, comme attachée au cabinet du ministre Pierre Marois, et plus tard encore, toujours comme attachée politique, au cabinet du PM.
Vous écrivez aussi qu'il est impossible que les députés appelés au cabinet Lévesque aient attendu leur nomination dans un «bar». Là, vous faites d'une souris un éléphant, le «bar» n'étant ici que la transposition cinématographique du lieu où s'est déroulé l'événement. Je vous rappelle que René Lévesque a formé son cabinet en deux étapes. Pour choisir ses ministres seniors, il s'est enfermé dans un hôtel de North Hatley — où il y avait un bar aussi ! — avec ses principaux conseillers, les Jean-Roch Bovin, Louis Bernard et Michel Carpentier, qui allaient devenir ses trois principaux sherpas durant les huit années à venir.
Ensuite, il a fait défiler les autres ministrables à l'Auberge des Gouverneurs, à Québec. Il n'y a rien de saugrenu ni de scandaleux à ce qu'on nous montre les futurs ministres devisant au bar de l'hôtel, en attendant de parader devant le premier ministre. Pourquoi en faire tout un plat? Laissez donc cela à Tremblay. Elle aime s'attarder aux futilités, quand elle n'a rien de substantiel à dire sur le fond des choses. Ici aussi, je vous conseille de lire René Lévesque l'espoir et le chagrin aux pages 94, et 100 à 102.
Croyez-moi, M. Lavoie, ces faits, qui ne tiennent en somme que de l'anecdote, ne sont rien en comparaison de ce qu'ont pu dire ou écrire Tremblay et Beaudoin, tant au sujet de L'homme brisé que de la télésérie René. Il est toujours bon de creuser sous la surface des mots pour découvrir les non-dit, et les «vraies intentions», pour reprendre l'expression de Pierre Houle dans sa réplique à leurs attaques mesquines, que vous auriez intérêt à consulter.
La première n'a pas aimé lire dans ma bio qu'elle a été vivement contestée par certains de ses pairs lorsqu'elle fut directrice de cabinet durant quelques mois à peine, à la toute fin du gouvernement Lévesque. La seconde n'a pas apprécié entre autres les lignes que je consacre à son attitude, à mon sens ambiguë, vis-à-vis de l'ancien premier ministre, dans l'affaire Morin.
Ces deux «révisionnistes», ou négationnistes, comme je les appelle, tentent de réécrire l'histoire à leur façon pour en gommer certains mauvais souvenirs liés à leur propre carrière, en tablant sur les trous de mémoire de journalistes pressés, qui ne prennent pas toujours le temps d'aller aux sources. Au nom du «vrai» René Lévesque (sic), elles se sont autoproclamé légataires universelles de sa mémoire, de son image, de sa pensée, et même de sa vertu! Et depuis, elles intoxiquent la presse - et je pèse mes mots - à coups de sottises, de faussetés, de procès d'intention ou d'erreurs de fait, comme je viens de vous en donner un exemple.
J'aime bien cette réflexion de Pierre Marc Johnson à propos de la cruauté de la contestation interne dont René Lévesque a été victime durant les derniers mois de sa carrière politique : ceux qui, aujourd'hui, se réclament le plus de la mémoire de M. Lévesque sont ceux qui ont été les plus durs envers lui. À méditer.
Ce qui est désolant aussi, c'est que ces deux loyales championnes de la cause de René Lévesque ont pris plaisir à démolir gratuitement une télésérie qui ne le méritait pas, en invoquant des détails secondaires, voire des niaiseries.
Comme le dirait Claude Morin, c'est très péquisto-péquiste, cette mentalité d'autodestruction. Hélas! une presse peu critique a eu parfois tendance à prendre pour argent comptant ce qu'elles ânonnaient. Comme le dit le proverbe, il suffit de répéter un mensonge plusieurs fois pour qu'il devienne vérité.
En terminant, mon cher Lavoie, permettez-moi de vous faire la leçon. Dans votre papier, vous appelez les scénaristes à plus de rigueur. Fort bien, mais cette exigence devrait également s'appliquer aux journalistes.
photo: Radio-Canada
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Pierre Godin
Biographe de René Lévesque


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