Pas de chance pour René Lévesque

« René Lévesque » — 20e anniversaire



René Lévesque n'a pas de chance avec la représentation que les artistes donnent de lui depuis sa mort.
Cela a commencé par la sculpture. Une statue «grandeur nature», c'est-à-dire petite, fut jadis érigée en face de l'Assemblée nationale. L'artiste qui coula son image dans le bronze copia servilement une photo. Servilement, c'est peu dire, puisque l'image ayant été prise avec un objectif grand-angle, les mains tendues vers l'avant étaient disproportionnées. Qu'à cela ne tienne, l'«oeuvre» reproduira cette distorsion.
Le reste de la création est à l'avenant: un personnage figé, dont toute vie a été minutieusement oblitérée, ce qui est un tour de force quand on sait quelle vie, quelle vivacité habitaient Lévesque. Plusieurs s'émurent. Mais plutôt que de demander à un véritable artiste de créer une sculpture digne du personnage et du site, il fut décidé de la redimensionner à l'identique, soit en plus grand, en plus large, et donc en plus épais: le triste gossage apparut plus sinistre encore.
La suite à la télé
Cela a continué par une série télédiffusée à TVA qui a sombré dans le grotesque. Dernier avatar: le René Lévesque, le destin d'un chef, dont la deuxième partie est diffusée en ce moment à Radio-Canada. Curieusement, cette série semble s'inspirer de la statue: même personnage fossilisé dans des attitudes que, pour notre part, nous ne lui avons jamais connues.
René Lévesque avait des défauts, ô combien! Le réalisateur en avait à sa disposition une copieuse réserve, de quoi meubler bien des épisodes: l'orgueil, la colère, la provocation, l'outrance, l'attaque gratuite, et bien d'autres encore. Mais alors, pourquoi s'est-il cru obligé d'en inventer qui n'étaient pas les siens?
On le voit à l'écran pusillanime, vacillant, falot, sombre, et même pleurnichard (quatre fois, au moins, dans le deuxième épisode): jamais, jamais nous ne lui avons connu un tel comportement dans toutes les années où nous l'avons fréquenté, tant en privé qu'en public.
Le comédien incarnant Lévesque, Émmanuel Bilodeau, joue avec beaucoup de talent et reproduit de façon étonnante les mimiques, les tics, les moindres inflexions de voix. Mais sans doute le forçait-on à boire un bon verre de vinaigre avant chaque scène afin qu'il prenne un air d'enterrement et qu'il occulte soigneusement tout ce que le personnage avait de drôle, de persifleur, de moqueur, de joyeux, l'oeil bleu et narquois toujours à la recherche de l'effet sur ses interlocuteurs de sa dernière raillerie.
Le même homme?
Les innombrables soirées entre amis, chez nous ou ailleurs, les rencontres de toutes sortes, amicales ou professionnelles, ici ou à l'étranger, nous ont laissé des souvenirs jubilatoires tellement aux antipodes de ce que Radio-Canada nous présente, qu'on se demande s'il s'agit bien du même Lévesque. Et pourtant, les deux premiers épisodes se déroulaient pendant une période faste. L'après-premier référendum s'en vient... accrochons-nous!
Certes, on nous dit que la série est une oeuvre de fiction et que l'auteur a bien le droit de prendre des libertés avec la réalité historique. Dont acte. Mais alors, pourquoi avoir voulu reproduire les divers protagonistes jusqu'à la caricature (par le maquillage, l'imitation de la voix... )? Et pourquoi aussi avoir donné à la production des airs de documentaire par la reconstitution méticuleuse de scènes mille fois vues, ou par l'insertion d'extraits d'archives? S'il est tout à fait légitime, et même nécessaire, dans une production télévisuelle, de forcer les traits pour arriver à la vérité, encore faut-il que ces traits ne soient pas inventés.
Le moins que l'on puisse dire de Lévesque, c'est qu'il était un homme complexe, se livrant peu, verrouillant sa vie personnelle. Déroutant pour un biographe autant que pour un cinéaste. Mais on a vu, il y a quelques années, une autre série télévisée dépeignant un autre homme complexe, lui aussi ancien premier ministre du Québec (là s'arrête la comparaison... ): Maurice Duplessis. Quelle évocation! Quelle force! On en venait presque à l'admirer!
Oui, c'est possible de créer de la grande télévision avec un sujet pareil. C'était signé Denys Arcand.
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Louise Beaudoin, François Dorlot, Les auteurs ont publié à l'automne [René Lévesque->8634] (Éditions La Presse)


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