Un rôle pour la Francophonie

Dans le long chemin qui mènera le Liban à la paix et à la reconstruction, la Francophonie pourrait jouer un rôle de premier plan.

Géopolitique — Proche-Orient


Faut-il que le Liban meure pour que vive Israël? Pour que vive Israël, il faut sûrement désarmer le Hezbollah; mais pour le désarmer, doit-on détruire, sous les bombes aveugles, tout un pays? Israël n'aurait-il pas pu laisser quelques mois au gouvernement libanais pour régler ce problème, lui qui depuis 1948 n'a pas réussi à désarmer les extrémistes palestiniens? Quel est ce " nouveau " Moyen-Orient dont les États-Unis souhaitent l'avènement? Celui qui naîtra de la guerre civile entre fanatiques sunnites et extrémistes chiites en Irak? Un nouveau Moyen-Orient dans lequel ne resteraient comme force politique significative que le Hamas en Palestine et le Hezbollah au Liban, et peut-être aussi, contagion aidant, les Frères musulmans en Égypte? Avec lesquels Israël se retrouverait face à face, sans compter ses ennemis jurés que sont la Syrie et l'Iran?
C'est en effet une des hypothèses plausibles, une des conséquences possibles de ce qui se passe actuellement compte tenu de la férocité des attaques israéliennes sur des positions du Hezbollah, mais aussi sur des camions transportant le rare ravitaillement (comme celui des primeurs importées en grande partie de la Syrie), sur des usines, des routes, des ponts, des infrastructures de communication et de production électrique, des immeubles, des maisons des quartiers chiites de Beyrouth, dans le Chouf habité par les Druzes, à Zahlé, à Tripoli, à Jounieh habités par des chrétiens. Et puis, tout le sud attaqué, et à Cana " des noces de sang " pour citer l'Orient-Le Jour. Certes, les grands hôtels, de Beyrouth notamment, n'ont pas été touchés, mais les destructions des ports et aéroports ont anéanti pour longtemps l'industrie touristique devenue depuis peu florissante. Pour le cardinal Sfeir, leader des chrétiens, qui en a vu d'autres, la crise actuelle est la pire que le Liban n'ait jamais connue. C'est vrai pour l'hémorragie des chrétiens fuyant une fois de plus leur pays, c'est vrai aussi pour la perspective de la reconstruction, alors que l'énorme dette nationale de 40 milliards de dollars, contractée pour effacer les conséquences matérielles de la guerre 1976-1990 ne laisse aucune marge de manoeuvre financière.
Comment ne pas penser que pourraient sortir de cet enfer régional une radicalisation islamiste et un renforcement du sentiment anti-occidental alors que la communauté internationale est paralysée par les États-Unis- et le Canada qui joue, en l'occurrence, le rôle de supplétif des Américains. Heureusement que l'Europe, en particulier la France et l'Espagne, tente de trouver une porte de sortie. La force du Liban dans la région c'est sa différence, sa pluralité religieuse, sa diversité culturelle, sa liberté politique, sa démocratie fragile, mais réelle. Il faut les préserver et nous ne voulons pas assister impuissants, de loin, par médias interposés, à l'accélération de la disparition de tout un pan de l'histoire universelle, à la fin d'une civilisation deux fois millénaire, celle de la chrétienté d'Orient, à la fin de la coexistence religieuse.
Un membre important Pourquoi la Francophonie, dont le Liban est un membre important, le seul pays arabe où se soit tenu un Sommet des chefs d'État et de gouvernement, en 2002, ne se déclare-t-elle pas solidaire du peuple libanais, elle qui organisait récemment, à Winnipeg, une Conférence sur la prévention des conflits et déclarait à l'issue de la rencontre: " Face aux menaces contre la paix, la Francophonie doit en permanence affirmer sa volonté politique et mobiliser ses moyens. La paix, ajoutait-elle, est l'affaire de tous, elle est l'affaire de tous les francophones. "
La Francophonie se veut depuis 1997 (Sommet de Hanoi) une force politique, un acteur sur la scène mondiale qui prend part aux débats cruciaux de notre temps. Au moment où l'un de ses membres est si cruellement affecté, elle doit agir en conséquence et annoncer dès maintenant qu'elle accompagnera le Liban dans le long chemin qui le mènera à la paix et à la reconstruction. Elle l'a fait en Haïti en 2004, pourquoi pas au Liban en 2006. Sans oublier que la Francophonie illustre de par son existence même cette diversité culturelle qu'elle a si bien défendue à l'Unesco, l'an dernier, et que le Liban représente d'une façon si exemplaire au Moyen-Orient.
Pour que le Liban ait un avenir, pour que Stephen Harper s'y intéresse, le Québec doit agir. L'opinion publique québécoise s'est prononcée (67 % des personnes interrogées dans un sondage Léger Marketing sont en désaccord avec M. Harper). Jean Charest doit maintenant nous dire s'il appuie la position sans nuance aucune du premier ministre canadien et des États-Unis ou s'il s'en démarque. Une intervention forte du premier ministre du Québec ferait bouger le Canada. Le gouvernement du Québec veut s'affirmer sur la scène internationale, il a toute la latitude pour le faire à la fois par rapport au Canada et dans le cadre multilatéral francophone. L'existence du Liban vaut sûrement la peine qu'il s'exprime et se mobilise parce qu'aujourd'hui, nous disent les Libanais restés chez eux, le plus difficile à vivre c'est l'abandon, la solitude. Ne laissons pas ce pays mourir.
L'auteure est une ancienne ministre péquiste des Relations internationales du Québec. Elle signe ce texte avec son conjoint M. Dorlot en compagnie duquel elle a visité le Liban en mai dernier.


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