L’ex-premier ministre aimait se faire des attisées dans son foyer. Mais jamais il ne recevait d’invités de marque dans sa demeure, selon Louise Beaudoin.
Le Soleil, Patrice Laroche
Michel Corbeil - C’est mignon comme ambiance. Typiquement Vieux-Québec. Du cachet sans extravagance. Un joli mur en pierre dans le salon et une vue plongeante sur la cour intérieure. Bienvenue dans l’antre du charismatique fondateur du Parti québécois, feu René Lévesque.
C’est dans un environnement cher au leader souverainiste, mort il y a près de 20 ans, que Louise Beaudoin et François Dorlot ont reçu Le Soleil pour parler de leur livre portant tout simplement le titre René Lévesque.
« C’est une primeur », a insisté M. Dorlot lors d’une entrevue accordée dans le salon du 91 « bis », rue d’Auteuil, à l’intérieur des murs du Vieux-Québec. « Ce n’est jamais arrivé que l’appartement soit ouvert » au public, a enchaîné le conjoint de Mme Beaudoin.
Ce n’est pas faute d’intérêt populaire, a mentionné Francine Saint-Jacques-Joli-Coeur. La propriétaire du petit immeuble où logeait le premier ministre péquiste de 1977 à 1985 a toujours dit non aux demandes des passants de jeter un oeil, par respect de la vie privée. Mais les requêtes n’ont jamais cessé.
« L’été, ce sont des centaines et des centaines de personnes. Le bonheur des gens de se faire photographier avec la main au-dessus de la plaque (rappelant que le chef du PQ a habité là) ! Il doit y avoir des nez collés dans la vitre (du 91 « bis »), 600 par jour, lorsqu’il y a des touristes », a-t-elle précisé sans s’en offusquer. « René Lévesque appartient à tous les Québécois. »
Francine St-Jacques-Joli-Coeur décrit l’endroit, aménagé dans un bâtiment construit en 1832 pour un général anglais, comme étant « chaleureux et sobre ». Cela « reflétait tout à fait sa simplicité », est intervenue l’ex-déléguée générale du Québec à Paris.
« René Lévesque n’était pas à cet égard un homme compliqué. J’ai accompagné beaucoup de premiers ministres, a poursuivi celle qui a été ministre dans trois gouvernements du PQ, jamais je ne l’ai entendu se plaindre de l’hôtel, de la nourriture. Il y en a d’autres qui sont difficiles. »
En poussant la porte de l’appartement, le visiteur tombe sur un petit boudoir qui jouxte la salle de bains. Un long corridor nous mène vers la chambre à coucher, puis dans un grand salon, dont un des murs est percé par un foyer. René Lévesque aimait se faire des attisées, a indiqué M. Dorlot. « Un vrai Gaspésien », a repris Louise Beaudoin.
Une minuscule cuisine et une salle à déjeuner de même dimension complètent le tour du locataire. Devant, ce sont les plaines d’Abraham. Sous les fenêtres à l’arrière, une petite cour, celle-là même où un paparazzi avait croqué un René Lévesque sirotant son café, quelques heures après sa démission, en 1985.
Le caractère privé des lieux est accentué par les habitudes qu’avait son célèbre locataire. René Lévesque ne recevait « jamais » personnel ou invités de marque dans sa demeure, a dit Mme Beaudoin. Mme St-Jacques-Joli-Coeur a signalé qu’Yves Duhaime est demeuré dans le même immeuble pendant ces années. « Jamais il n’a frappé à sa porte. Jamais l’autre n’est venu prendre un verre d’eau. Il y avait une cloison» entre sa vie de politicien et sa vie de citoyen. »
Louise Beaudoin était sous l’impression que le premier ministre Lévesque y amenait une tonne de dossiers. Son amie Francine a corrigé. Celui-ci arrivait souvent les mains dans les poches. Mais, sur la table à déjeuner, quand il n’attaquait pas un livre, il se répandait en notes et griffonnages pour préparer réflexions et discours. Cet être « timide et lumineux », a terminé Mme St-Jacques-Joli-Coeur, « il était en vacances quand il arrivait ici ».
Un «livre d'amitié»
Les auteurs de René Lévesque se sont tenus le plus loin possible des controverses entourant l’homme qui a fondé le Parti québécois. « C’est clair » que les lecteurs n’y trouveront pas des révélations fracassantes, commente avec le sourire Louise Beaudoin. « C’est un livre d’amitié. »
Dès l’avant-propos, Louise Beaudoin et François Dorlot y vont d’un commentaire en forme de mise en garde. « Encore un livre sur René Lévesque ! écrivent-ils. Oui ! Un livre commémoratif : il y a cette année vingt ans que René Lévesque disparaissait. »
Abondamment illustré, le manuscrit se présente un peu comme un livre d’art, mentionne François Dorlot. Aucun ordre chronologique ne prévaut pour leur présentation. Certaines photos ont été retouchées avec des crayons de couleurs par l’éditeur délégué Ara Kermoyan, précise M. Dorlot.
Au fil des pages défilent des souvenirs personnels qui relient le couple à M. Lévesque. On y voit le chef maintenant vénéré au PQ entonner en allemand la chanson Lili Marleen, question de faire la leçon à une fonctionnaire fédérale d’origine allemande. On assiste à des soirées animées entre amis. On suit le premier premier ministre péquiste lors de voyages à l’étranger. On prend la mesure, au soir de l’amère défaite référendaire de 1980, de l’amitié qu’il vouait à un adversaire fédéraliste, Jean Marchand.
Mais René Lévesque gomme les querelles épiques qui l’ont opposé à ses propres partisans. Il n’y a pas de référence au fait que certains voulaient le pousser en bas du siège de conducteur quelques mois avant la victoire électorale de 1976. Les difficiles mois d’un homme en butte à ses propres troupes à la fin de sa carrière ne trouvent pas d’échos dans l’ouvrage.
« C’est un hommage à un homme qu’on aime, explique Louise Beaudoin. Malgré nos engueulades », fréquentes avec ses proches, « on l’aimait », se rappelle-t-elle en signalant que René Lévesque appréciait que ses amis lui parlent sur le même ton. Une liberté qu’elle n’aurait jamais osé prendre avec Lucien Bouchard, qu’elle a servi comme ministre.
Elle refuse l’idée que le livre soit une tentative de faire de son ex-chef un saint. René Lévesque rapporte qu’une sortie contre le premier ministre français Pierre Mauroy avait dégénéré en incident diplomatique et mis un terme à un dîner d’État. Il le montre un brin chicanier avec des collaborateurs.
François Dorlot se défend aussi que leur œuvre « surfera » sur l’anniversaire des 20 ans de la mort de M. Lévesque, le 1 er novembre. « Nous espérons que ça intéressera aussi ceux qui ne l’ont jamais connu » et pour qui René Lévesque n’est qu’un « nom de boulevard ». Mme Beaudoin veut « montrer aux jeunes un homme qui a poussé très, très haut les exigences démocratiques ».
Ce que le livre ne révèle pas
Il est une anecdote que vous ne lirez pas dans le René Lévesque de Louise Beaudoin et François Dorlot. Parce que le couple n’a retrouvé le matériel documentaire qu’après la parution du livre. La voici.
Lorsque René Lévesque est locataire au 91 « bis » d’Auteuil, il est souvent l’invité de la famille propriétaire des lieux, les Joli-Coeur. Un soir, la fille aînée, Marie-France, alors étudiante en communications à l’Université Laval, revient à la maison avec un «devoir» : commenter une caricature de The Gazette, portant sur René Lévesque.
Le locataire Lévesque s’asseoit et explique la signification de l’illustration pour le quotidien anglophone et son lectorat. « Il lui fait toute une analyse politique » devant la jeune fille qui prend des notes, rapporte François Dorlot. Elle rédige son travail. La note? «C’est pourri. Vous n’avez rien compris. Mauvaise analyse.»
En apprenant le résultat, « Lévesque s’est choqué, poursuit M. Dorlot. Il a pris une feuille de papier et, sur deux pages, il a décortiqué la critique faite par le prof. “ Et donnez-lui ça en disant qui l’a rédigé. ” Si le livre « n’en parle pas, c’est que la feuille en question, je viens de la retrouver. Cela aurait été superbe, comme truc ».
Louise Beaudoin trouve toujours savoureuse la petite histoire. « Il corrigeait le professeur de Marie-France, professeur qui était en communications. C’est (René Lévesque) le journaliste qui écrivait. Il était outré de voir les notes alors que c’était ses idées et son interprétation de la caricature.»
Mme Beaudoin considère que l’histoire n’est pas qu’une simple anecdote. « Un premier ministre qui prend le temps de faire cela, deux fois! Je trouve cela extraordinaire. » L’histoire est une « primeur », insiste M. Dorlot. L’identité du professeur, elle, demeure inconnue.
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