Série sur Lévesque: une production bas de gamme

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« René Lévesque » — 20e anniversaire

Emmanuel Bilodeau incarne René Lévesque dans la série René, diffusée à Radio-Canada. (Photo Radio-Canada)
Radio-Canada diffuse la deuxième partie d’une télésérie dramatique sur la vie de René Lévesque. Selon ses auteurs, le scénario retenu vise notamment à révéler l’être humain qui se cache derrière l’homme politique.

Après avoir visionné les deux premiers épisodes de la deuxième partie, qui couvre les années où René Lévesque fut premier ministre, je ne peux passer sous silence les faussetés et raccourcis abusifs véhiculés par cette production. Je passe rapidement sur la succession d’événements archiconnus et médiatisés, comme le discours du 15 novembre 1976 et celui du 20 mai 1980. Même si je trouve l’original infiniment plus intense et émouvant que le pastiche.
Mais la relation des épisodes rattachés à ces étapes historiques contient autant d’erreurs que d’invraisemblances. À commencer par la toute première scène, le trajet de René Lévesque en voiture avec Corinne Côté, qui est complètement inventée - René Lévesque est arrivé seul à la réunion de l’Auberge Handfield. La scène qui suit immédiatement, c’est-à-dire la réunion proprement dite, sombre dans le ridicule, avec les membres du conseil exécutif et les députés qui tapent rageusement sur la table et le président qui sacre comme un charretier. Tout le reste est à l’avenant.
On comprend que les exigences techniques et dramatiques imposent certaines adaptations. Mais à vouloir trop simplifier, on finit par tout rapetisser et par tromper ceux et celles qui veulent comprendre comment nos institutions fonctionnent et comment l’histoire se fait. La manière dont est rendue la réunion de formation du premier conseil des ministres et le déroulement des conseils, avec les ministres qui, encore une fois, tapent bruyamment sur leur pupitre, sont une insulte à l’intelligence.
Quant à l’aspect humain de René Lévesque et à la partie privée de sa vie, c’est encore pire.
Confondant intensité et pathos, simplicité et familiarité, humanité et mélo de roman-savon, les auteurs nous présentent un René Lévesque torturé, larmoyant et écorché, qui étale constamment ses états d’âmes. Alors que l’ironie mordante du personnage, sa réserve émotive et sa capacité de décrocher sont gommées totalement. La scène où son entourage lui sert une leçon de politique après un débat avec Robert Bourassa, et celle où le chef du protocole lui arrache la cigarette de la bouche sont complètement farfelues. Cet homme orgueilleux n’aurait jamais accepté de se faire ainsi traiter comme un enfant d’école.
Corinne Côté
Sur un autre plan, on le présente constamment en train de bécoter sa conjointe Corinne Côté devant tout le monde, alors qu’il s’est toujours imposé une discrétion absolue, presque maladive, en ces matières.
Corinne Côté, elle, devient une sorte de «groupie» sexy qui suit son René comme un chien de poche en lui demandant de la marier. On est aux antipodes du personnage timide et réservé de la vraie Corinne, dont le pouvoir de séduction reposait plutôt sur un mélange d’élégance naturelle et de fragilité assumée. On se tord de rire en l’entendant dire des phrases comme «René, il faut que tu parles avec ton coeur» ou encore «veux-tu que je te prépare un thé et un bon bain chaud?». Et on se pince devant la promenade du couple sur la terrasse, la main dans la main.
Les personnages secondaires ne sont pas mieux traités. La recherche obsessive de ressemblance physique avec les personnes réelles amène la plupart des comédiens à forcer le ton et à grossir le trait, si bien que certains, tels Jean Garon et Claude Morin, sont des caricatures dignes d’un sketch de Rock et Belles Oreilles.
Quant aux décors, est-ce l’absence de moyens qui nous force à nous balader continuellement, comme dans La Petite Vie, d’une chambre à coucher et d’une cuisine à l’autre, avec un premier ministre en pyjama qui beurre ses toasts ?
Il s’en trouvera sans doute quelques-uns pour minimiser l’agacement éprouvé devant cette série par les personnes qui ont connu et côtoyé René Lévesque. On répétera aussi que cette production est «moins pire» que celle diffusée naguère par TVA.
Hélas! nous sommes encore loin du compte. Encore une fois, loin d’apprendre quelque chose de neuf, loin de s’approcher de la vérité du sujet, les téléspectateurs se font servir un portrait simpliste et erroné et une succession de raccourcis aussi consternants que loufoques.
La responsabilité première n’incombe pas aux comédiens, dont le talent ne peut être mis en doute. Ce sont plutôt les déficiences majeures de la recherche et du scénario, l’absence évidente de validation des faits et la détestable manie de vouloir fouiller à tout prix et n’importe comment dans la vie privée d’un personnage public qui donnent un produit bas de gamme et médiocre sur le plan historique.
***

Martine Tremblay
Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haute fonctionnaire, l'auteure Martine Tremblay est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP et membre du conseil du Centre d'études et de recherches internationales.

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Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haute fonctionnaire, l'auteure est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP et membre du conseil du Centre d'études et de recherches internationales.





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