Ça revient toujours, comme une bonne vieille marotte fédéraliste, à la veille de la présentation du budget du Québec: il faut abolir Télé-Québec que personne ne regarde et qui coûte cher. Pour un éditorialiste comme Alain Dubuc (La Presse, le 23 mars 1998), il ne semble y avoir qu'une seule question valable: «Combien ça coûte?» C'est la question la moins noble quand on parle de culture et d'information.
Mais on peut penser que la vraie question n'a rien à voir, ou si peu, avec les coûts financiers. Car si c'était le cas, il faudrait l'adresser aussi à Radio-Canada qui coûte les yeux de la tête et dont la programmation, qui affiche tous les tics de la plus mauvaise des télévisions privées, justifie de moins en moins un financement public.
Les fédéralistes qui veulent sacrifier Télé-Québec mais protéger Radio-Canada ont des raisons politiques même s'ils ne l'admettront pas. D'abord, ils aimeraient bien qu'on liquide Télé-Québec pour la symbolique identitaire. Ça ferait un «Québec» de moins dans le paysage, un fleurdelisé de moins, comme lorsque Robert Bourassa a sabordé Québec Air au profit d'Air Canada. À l'heure où speakers et reporters de la presse fédéraliste ne parlent plus que des «Canadiens», niant l'identité québécoise, et où les députés fédéraux «nationaleux» se présentent aux Communes en brandissant l'unifolié comme un crucifix pour chasser le démon séparatiste ou en passant des cravates à feuille d'érable rouge, ce n'est pas si ridicule comme raison.
Mais il y a plus sérieux: la télévision publique québécoise a le défaut, dans sa philosophie et ses deux ou trois pauvrettes émissions d'information, de mettre en évidence ce que j'appelle la «vision québécoise» des choses, plutôt que la «vision canadienne», dans laquelle excelle Radio-Canada: «Notre pays, notre dollar, notre drapeau et... nos séparatistes.»
Il s'agit donc de tuer Télé-Québec, une télévision qui, malgré ses énormes déficiences, ne fait pas, comme sa vis-à-vis fédérale, la promotion de l'unité nationale canadienne mais celle de l'identité québécoise et de la culture québécoise. C'est le seul diffuseur qui refuse de sombrer totalement comme tant d'autres - et Radio-Canada est plus coupable que tous les autres - dans la télévision vulgaire, futile, médiocre, qui réduit la culture québécoise aux débiles comiques, aux soaps joualisants et aux bafouillages primaires de Julie Synder.
Une télévision cheap - la pire que nous ayons eue de tout temps - qui se marie fort bien d'ailleurs avec la publicité tout aussi cheap dont on nous afflige et avec le grand piétinement de la société politique québécoise. La télévision idéale pour un peuple gris et mou qui a renoncé à deux reprises (un championnat historique) à se prendre en main et qui dégénère, rit et croupit dans la dépendance facile d'un autre peuple et dans la vulgarité des gens dépourvus d'estime de soi.
Dire que derrière l'argumentation des coûts d'exploitation exorbitants se cache une visée politique, c'est suggérer aussi l'idée voulant que même si le faible auditoire de Télé-Québec ne devrait pas les déranger, les fédéralistes - ils sont comme cela n'auront de cesse que le jour où l'espace télévisuel public sera libéré entièrement au seul profit de Radio-Canada, la mère de toutes les mères de l'information officielle, de l'information vouée à la promotion et à la défense du fédéralisme canadien et, par ricochet, à la désinformation ratatinante du souverainisme québécois. Il suffit d'écouter les topos orientés de certains de ses perroquets - pas tous heureusement - que Radio-Canada assigne à Ottawa ou à Québec pour s'en rendre compte.
Entre parenthèses, comment peut-on trouver crédibles des journalistes qui acceptent un mandat qui contredit dans son sens même la mission d'information? Car placer la promotion de l'unité nationale au coeur même de l'information dans un pays divisé et désuni comme le Canada, où une province, le Québec, conteste depuis 30 ans la structure fédérale, relève d'une volonté de censure et de propagande, selon le modèle connu des régimes autoritaires. Le concept même d'unité nationale appliqué à l'information est une injure à tout esprit libre. Seule la guerre peut le justifier. Mais même là, la presse américaine a prouvé le contraire durant la sale guerre du Vietnam alors qu'elle a contredit le discours officiel de Washington.
Que Radio-Canada, ou encore La Presse et Le Soleil, propriétés de groupes d'affaires qui financent le NON, se mettent au service des fédéralistes et des libéraux ne me scandaliserait pas outre-mesure. Comme le dit le proverbe: dis-moi qui te nourrit et je te dirai qui tu es... Et puis, j'ai appris comme tout le monde que les journalistes, fédéralistes ou souverainistes, sont toujours partisans et biaisés dès qu'il est question de politique, surtout dans un contexte de crise, comme c'est le cas ici depuis 30 ans. Aussi aimerais-je, ne serait-ce que pour l'intelligence du débat, son équilibre et son honnêteté, que les 60 % de Québécois francophones qui ont dit OUI au dernier référendum puissent disposer eux aussi d'une presse parlée et écrite vouée à la défense et à la promotion de la vision «souverainiste» de l'avenir.
Mais les partisans de la mort de Télé-Québec n'ont pas à s'inquiéter. Ils n'ont qu'à s'en remettre au gouvernement de Lucien Bouchard, grand spécialiste du scalpel qui suit fidèlement l'agenda du marché et du Conseil du patronat, plutôt que celui du peuple et de ses nécessités. Ce gouvernement du laisser-faire finira bien par invoquer le manque de ressources pour bazarder sa télévision au lieu de corriger l'erreur tragique commise dès sa création qui en a toujours gêné l'évolution. En effet, les gouvernements, libéraux et péquistes, ont toujours refusé de fournir à Radio-Québec les ingrédients qui assurent le succès du médium, comme Radio-Canada et les diffuseurs privés l'ont prouvé.
En commençant par un authentique service d'information avec salle des nouvelles et reporters. Dans le désert de futilité, de sensationnalisme, de «méméring» et de langue de bois politique affligeant l'information actuelle, on imagine quel rôle utile pourrait jouer un tel service d'information axé sur la «vision québécoise» de l'actualité, mais aussi sur la qualité de l'information. L'an dernier, RDI diffusait tous les jours, à 19h, un bulletin de nouvelles internationales qui ouvrait une fenêtre sur le monde. Ça n'a pas duré. Cette année, Michel Viens nous entretient chaque jour de Mom Boucher, des Hell's Angels ou du dernier incendie de village...
C'est un mystère pour moi. Les gouvernements péquistes n'ont jamais compris qu'il leur fallait se doter d'une antenne d'information publique proprement québécoise, comme Ottawa l'a fait au plan fédéral et canadien. C'est une question d'autodéfense. Pour donner d'une part la réplique à Radio-Canada qui, depuis l'époque où Pierre Trudeau menaçait de mettre la clé dans la boîte en l'accusant de séparatisme, s'est épurée peu à peu de ses éléments critiques et souverainistes à la faveur du changement de génération, d'un recrutement mieux contrôlé et de l'apport de journalistes hors Québec au-dessus de tout soupçon. Et d'autre part, pour assurer aussi tout simplement le succès du projet péquiste par une information où, pour une fois, les «plus» de la souveraineté auraient autant droit de cité que les apocalypses montés en épingle par la presse fédéraliste.
Mais, de René Lévesque à Lucien Bouchard en passant par Jacques Parizeau, personne n'a osé. Contrairement à un Maurice Duplessis qui, partisan de la politique des précédents, la seule efficace parfois, comme Ottawa en fait la preuve chaque jour, avait déposé un projet de loi prévoyant la création d'une radio publique au grand dam du fédéral. En situation de crise, l'information, c'est tout. Les nations qui font face à la guerre le savent si bien que leur premier geste est de la transformer en propagande officielle. Quand on se propose comme le PQ de casser un pays en deux, la courte vue, l'esprit de compromission et l'angélisme sont la meilleure garantie de faillite.
***
Godin, Pierre
Écrivain
Seul diffuseur à refuser de sombrer totalement dans la vulgarité et la médiocrité
Faut-il tuer Télé-Québec?
En situation de crise, l’information, c’est tout. Les nations qui font face à la guerre le savent si bien que leur premier geste est de la transformer en propagande officielle.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé