Quand nos élus écorchent la langue de chez nous

La langue française

Québec -- Les élus auraient avantage à ce que leur français oral soit corrigé de façon «holistique». C'est la conclusion à laquelle on doit en venir après les échanges mémorables qu'a déclenchés le rapport de Richard Berger, Pour une révision des épreuves uniformes de langue d'enseignement et littérature, révélé par Le Devoir cette semaine. Celui-ci, rappelons-le, prônait la méthode «holistique», selon laquelle on devrait cesser de comptabiliser les fautes d'orthographe, conception qualifiée de «judéo-chrétienne» et de «punitive» par M. Berger.
Quelle chance que nous ne soyons plus judéo-chrétiens! Si, par malheur, nous l'avions encore été, nos politiciens auraient été souvent punis cette semaine. On nous enjoindra d'être indulgent, ces gens-là s'exprimant «dans le feu de l'action». Certes, mais de bons judéo-chrétiens n'excusent pas tout. Et la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, a appelé tout le monde à faire un effort «à ce niveau»: «Ça nous concerne tous comme citoyens, [...] y compris au sein de nos familles et auprès de nos enfants. Puis, je rajouterais [sic]: il y a les médias aussi un jour qu'il faudra se préoccuper [sic], puis s'assurer qu'on valorise cette langue française.»
Montrons que les médias font leurs devoirs et soulignons quelques exemples. Ainsi, le chef adéquiste Mario Dumont, dans sa première question sur la qualité de la langue, mercredi, affirmait ceci: «Personnellement, je pense que le nivellement par le bas, ce n'est pas ce que [sic] les jeunes du Québec ont besoin pour être bien préparés pour l'avenir.» Après tout, a souligné M. Dumont, le premier ministre lui-même, dans son discours inaugural, avait déclaré qu'il fallait «renforcer [...] la fierté [sic] de cette langue dans l'espace public». Renforcer la fierté? Ni le Dictionnaire des cooccurrences ni le nouveau Robert des combinaisons de mots n'acceptent cette expression.
Mercredi, Jean Charest a laissé sa ministre de l'Éducation donner la réplique à M. Dumont. Mme Courchesne a répondu que le français, c'est très important: «C'est notre identité, c'est notre culture, et tous et toutes devrions pouvoir s'exprimer [sic] et écrire adéquatement.» Après tout, «nous sommes la nation qui avons [sic] défendu cette langue-là depuis nos origines».
Selon Mme Courchesne, il faut corriger les fautes au cégep puisque l'évaluation «fait partie des mesures concrètes qu'on ne doit pas mettre du côté de la main» [sic]. «Nous allons s'assurer [sic] qu'au niveau collégial, nos jeunes puissent rapidement s'exprimer et écrire dans un français qui soit plus qu'adéquat» [sic]. Nous allons «s'assurer» ou «nous assurer»? Plus qu'adéquat? Plus tard, en point de presse, la ministre a parlé des troubles d'apprentissage et de comportement, «des dossiers interreliés et des situations auxquelles la réforme s'est adressée» [sic].
Classique
«Adressé» fait partie des fautes classiques de personnages publics que tout judéo-chrétien débusquera aisément. Et que dire de cette fameuse «barre» qu'on s'entête à placer ou à mettre «haute» ou «basse»? «Est-ce que j'ai mis la barre trop haute, M. le président? Je commence à m'apercevoir que oui», a lancé hier Sylvain Légaré, député adéquiste de Vanier, à Philippe Couillard.
Les pronoms relatifs «dont» et «que» donnent aussi du fil à retordre aux élus. Alors que certains négligent systématiquement les «que», d'autres mettent des «dont» partout: «Nous sommes extrêmement préoccupés par la situation déchirante dont soulève la députée [...], nous souhaitons que la situation dont soulève la députée soit résolue» (Yolande James).
L'argent n'a pas d'odeur, mais il est masculin. Dans la bouche de plusieurs, toutefois, il change de sexe, fait remarquer Guy Bertrand, conseiller linguistique de la radio française de Radio-Canada. Même l'ex-chef péquiste André Boisclair, reconnu pour bien manier la langue, s'y est trompé en pleine campagne électorale: «Cette argent-là, elle appartient aux Québécois», avait-il déclaré. Le même M. Bertrand souligne que le péché fréquent du premier ministre Charest, c'est de se tromper de genre: «J'en ai fait cinq campagnes électorales [...], d'abord, ils ont tous été différentes. Ils ont tous été un défi à chaque fois.»
Latin
Certains devraient refaire du latin, à l'instar de Bernard Landry. Par exemple, l'expression ad nauseam pose des difficultés aux élus. Alors qu'il était dans l'opposition, le député Jacques Dupuis avait déclaré: «Peu importe que le ministre dise ''ad vomitum" que le système marche bien tel qu'il est institué actuellement... » Ministre péquiste à la même époque, Linda Goupil avait aussi du mal avec ad nauseam, qu'elle remplaçait par «nauséabonde». «Si on propose une modification qui touche le registre foncier, bien, bien sûr, ça va être le ministre qui est responsable du registre foncier. [...] On l'a exprimé de façon nauséabonde depuis le début de cette commission.»
Pure invention
On invente souvent des mots au Salon bleu. Le député adéquiste d'Arthabaska, Jean-François Roux, a lancé mercredi: «Est-ce que la ministre peut réalistiquement... ?»
Cette semaine, pourtant, la palme revient au député adéquiste de Chambly, Richard Merlini, qui a fait rire l'Assemblée jeudi lorsqu'il a lancé: «Pour contrôler l'appétit "gargantuante" de l'industrie, le ministre nous a dévoilé son arme secrète.» «Gargantuesque!», ont alors crié les libéraux, dont Philippe Couillard. Réponse du ministre des Ressources naturelles, Claude Béchard: «Contrairement à ma collègue de l'Éducation, le chef de l'opposition officielle appuie l'approche holistique dans les questions du député [sic].»
Parfois, ce sont des expressions qu'on forge, comme le faisait l'ancien entraîneur du Canadien, Jean Perron. Jeudi, le député adéquiste de La Peltrie, Éric Caire, a parlé d'«un cri du coeur qui nous jette au visage l'abandon dont sont victimes nos enfants handicapés».
Mais plusieurs conviendront avec la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, que nous vivons «dans une société qui a une libre opinion».
Et nous sommes tous «pêcheurs» en ce domaine...


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