Qu'y a-t-il derrière les élections ?

Chronique de Claude Bariteau



En août 2007, des banques et des fiducies canadiennes et internationales s'associent à l'Entente de Montréal. Son but est de gérer la crise découlant des problèmes de liquidité que rencontrent les détenteurs de PCAA (papier commercial adossé à des actifs) non bancaires. Le 20 octobre 2008, au coeur de la crise financière internationale, l'avocat Crawford, qui pilote le tout, espère atteindre le but visé, soit l'étalement des échéances des titres, fin novembre 2008.
Pour John Greenwood (Financial Post, le 20 août 2008), selon des observateurs, il s'agit d'un espoir flou. UBS s'est retiré de l'entente et Merrill a été acheté par Bank of America, ce qui modifie la participation de ce courtier. De plus, les banques canadiennes et internationales en cause ont d'autres chats à fouetter. Et le 17 octobre, l'organisme canadien de réglementation du commerce et des valeurs mobilières a révélé que les courtiers ne connaissaient pas bien le contenu de ces titres et qu'il y a eu des anomalies (inadequacies) dans la façon dont les firmes promotrices les ont mis en vente.
Peu après, des rumeurs d'élection se répandent au Québec et, dans Le Devoir du 25 et 26 octobre, les membres d'une coalition pour la protection des investisseurs invitent la Banque du Canada à rendre liquides les PCAA non bancaires qui se retrouvent dans les régimes de retraite, soit 16 milliards sur les 33 milliards, la plupart émis par Coventree, depuis leur gel en août 2007.
Deux motifs justifieraient cette intervention:
- Le défaut de crédit de ces titres qui s'est accentué avec la crise d'octobre 2008 du système financier mondial.
- L'impact sur la liquidité des régimes de retraite.
Dans ce cas, faire passer la durée des échéances de 30 à 90 jours à de 1 à 9 ans obligera les régimes en phase terminale à étaler les paiements de rente. Pour les autres, qui se retrouvent en majorité à la Caisse de dépôt et de placement du Québec (CDPQ), il sera impossible d'obtenir un rendement optimal.
A priori, cette requête séduit. Il faut cependant se rappeler que la ministre des Finances du Québec a sollicité en ce sens la Banque du Canada, qui a refusé et s'est contenté d'appuyer la signature de l'Entente de Montréal. Alors, pourquoi cette banque, qui a stoppé l'hémorragie des PCAA bancaires, inclurait-elle aujourd'hui les PCAA non bancaires? Par compensation pour les retraités? Pour sortir la CDPQ du pétrin dans lequel elle se retrouve? J'en doute.
Il faut aussi savoir que les PCAA non bancaires ne sont pas de la même nature que les PCAA bancaires. Les premiers sont émis par des fiducies indépendantes, les deuxièmes par des fiducies appartenant aux banques canadiennes. Sur le marché canadien, il y a pour 83 milliards de PCAA bancaires et pour 33 milliards de PCAA non bancaires. Des 33 milliards de PCAA non bancaires, la CDPQ détenait 13,2 milliards en août 2007. Quant aux régimes de retraite membres de la CDPQ, ils détenaient 70 % des PCAA non bancaires de l'ensemble des régimes de retraite du Canada.
Ces titres transfèrent temporairement aux détenteurs les dettes qu'ils regroupent (hypothèques, prêts automobiles, prêts personnels, etc.). Au Canada, les banques, selon la réglementation existante, ne sont pas contraintes à assurer leur liquidité. Cette liquidité découle en fait du roulement des titres, de telle sorte que son arrêt, comme celui observé après la faillite de banques qui en détenaient, crée le défaut de liquidité chez les détenteurs. Devant ce défaut, les banques internationales (Deutsche Bank, HSBC, RBS et UBS) impliquées dans Coventree se sont déclarées non liées à cause de la réglementation canadienne. Quant aux banques canadiennes, elles ont bénéficié de l'intervention de la Banque du Canada pour faire face à leur problème de liquidité.
Autre point important. Invitée à noter les PCAA non bancaires, la firme canadienne DBRS, qui en fut promotrice au début de 2000, leur accorda l'excellence avant de changer récemment d'avis. Quant à S&P et Moody's, selon Duncan Manvin (Financial Post, le 4 avril 2008), elles ont refusé de procéder à cause précisément de la réglementation canadienne qui diffère des réglementations européenne et états-unienne en la matière.
Compte tenu de cela, deux types de questions se posent. Le premier concerne le motif d'une intervention de la Banque du Canada. Pourquoi celle-ci viendrait-elle à la rescousse de banques qui ne relèvent pas de sa juridiction et couvrirait leurs activités au Canada, ce qui n'est pas son mandat? Poser la question permet de comprendre pourquoi, au tout début, la Banque du Canada a privilégié d'appuyer la démarche initiée par la CDPQ.
Le deuxième est l'importance de ces titres dans le portefeuille des régimes de retraite et des organismes membres de la CDPQ. Leurs fiduciaires ont-ils demandé les informations susceptibles de les rendre «confortables» dans leur décision d'achat? Savaient-ils que la CDPQ a détenu 28,96 % de l'avoir de Coventree, dont elle entendait, selon le Financial Post (octobre 2006), vendre une part pour n'en détenir que 9,99 %, soit un centième de 1 % en deçà du pourcentage l'obligeant à révéler sa participation? Par ailleurs, les dirigeants de la CDPQ les ont-ils avisés:
- De cette participation?
- Des réserves de S&P et Moody's à l'égard de ces titres, ce qui révèle le risque de liquidité de ces titres?
- De l'implication de DBRS dans leur promotion?
- De l'absence de validation par la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario?
- De l'absence de prospectus approuvé par une agence canadienne reconnue?
Seuls les fiduciaires de ces régimes peuvent répondre à ces dernières questions. Une chose est certaine. Le gouvernement du Québec sait ce qui s'est passé. Il a des représentants sur les régimes de retraite et sur des organismes membres de la CDPQ. De plus, la ministre des Finances, qui a ses antennes à la CDPQ, est intervenue au tout début, connaît les règles du jeu au Canada et est au courant des risques associés à ces titres.
En d'autres termes, le gouvernement du Québec sait très bien que des régimes de retraite, membres ou non de la CDPQ, et des organismes membres de la CDPQ se retrouvent maintenant avec des PCAA non bancaires en cours de transformation de placements à court terme en placements à moyen terme mais dont la valeur, toujours inconnue, est fortement à la baisse, selon la coalition. Soit une perte de 40 % pour les 22 milliards $ de PCAA non bancaires sous forme synthétique, ce qui, ajouté aux baisses de valeur des autres produits, peut s'avérer une perte de près de 5 milliards pour les membres de la CDPQ. Peut-être plus.
Les sous que la ministre des Finances a vus dans sa «sacoche» ne suffiront pas. Là se trouve, je pense, l'une des principales explications de la tenue d'élections. Le premier ministre, à moins qu'il rêve lui aussi à un sauvetage de la Banque du Canada, sait que le gouvernement du Québec devra corriger le tout.
Il sait aussi que les moyens à sa portée n'ont pas la qualité de ceux des États souverains (une banque centrale, une monnaie, un pouvoir de réglementation et la possibilité de faire des ententes sur la scène internationale). Or, le peuple québécois, qui sait cela, s'apprête à élire des députés et des partis qui ne semblent pas en être conscients.
***
Claude Bariteau, Anthropologue. L'auteur a été président d'un régime de retraite et fiduciaire d'un fonds commun de placement

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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