Malgré les erreurs passées, le développement anarchique des berges de Québec et de Lévis persiste. Voici trois exemples actuellement sur les planches à dessins: la réanimation de la plage de l'Anse-au-Foulon, malgré son éloignement du quartier touristique, l'espace restreint au pied de la falaise, le fort courant du fleuve à cet endroit et l'existence d'un projet de plage rassembleur au centre-ville (bassin Louise); la construction de deux quais par le Port de Québec à même la baie de Beauport, pour augmenter le transbordement de vrac en plein visage de la plage léguée pour le 400e de Québec; la construction du terminal méthanier de Rabaska. La cause de cette improvisation est l'absence d'un cadre législatif, qui nous obligerait en tant que nation à nous doter d'un plan d'aménagement de ces zones particulièrement précieuses que sont les berges des lacs, cours d'eau et océans. Chaque exemple cité plus haut pourrait faire l'objet d'un article, mais regardons ici le cas de Rabaska.
Le feu vert du BAPE pour Rabaska est sans surprise. Un port méthanier est un port méthanier, une infrastructure située au bord de l'eau. On sait que ce port méthanier contribuera à augmenter les émissions de gaz à effet de serre du Québec. Plusieurs ports méthaniers existent à travers le monde. Si le BAPE considère que le risque d'un accident majeur est négligeable, la conclusion devient favorable. Les enjeux que sont les besoins énergétiques du Québec (a-t-on besoin de terminaux méthaniers?), le respect du protocole de Kyoto (pourrait-on obtenir l'énergie autrement?) et la gestion intégrée des berges du fleuve (si c'est vraiment nécessaire, on le met où?) ne sont pas considérés parce qu'ils sont au-delà des compétences du BAPE. L'occasion d'affaires l'emporte, occasion aussi pour la Ville de Lévis qui décide seule de l'aménagement d'une zone précieuse pour tous les citoyens du Québec.
Beaucoup de gens favorables à Rabaska évoquent la nécessité du progrès. Or, le progrès réside plutôt dans une gestion intégrée des berges du fleuve. Le Canada accuse en ce domaine 40 ans de retard par rapport aux États-Unis. Il n'existe ici aucune loi fédérale ou provinciale qui force nos gouvernements à se doter de programmes afin que les valeurs écologiques, patrimoniales, esthétiques, récréatives, économiques et stratégiques des berges soient protégées pour le bien de tous les citoyens sans exception.
Les États-uniens ont depuis longtemps reconnu la grande valeur écologique des territoires côtiers (océans et Grands Lacs), au point de les protéger du développement chaotique à l'aide de législations. Par exemple, grâce au McAteer-Petris Act de 1965, seule l'extrême nécessité autorise un remblaiement dans la baie de San Francisco, cette perte devant être compensée par une restauration d'habitats ailleurs dans la baie. Sans cette loi, ce magnifique plan d'eau, de la superficie du lac Saint-Jean, serait peut-être devenu un chenal, car on le remplissait alors au rythme de neuf kilomètres carrés par année.
En 1972, le Congrès des États-Unis vota le Coastal Zone Management Act, qui déclare l'importance des zones côtières pour la prospérité de la nation et incite les États côtiers à se doter d'un plan de gestion intégrée des berges. Ce plan doit entre autres garantir des accès publics pour usages récréatifs, un privilège chez nous. Aujourd'hui, tous les états côtiers possèdent un plan de gestion intégrée de leurs littoraux. À cette fin, la Californie vota en 1976 le California Coastal Act, qui déclare entre autres que la côte est une zone naturelle distincte, unique et vitale pour tous les citoyens, qu'elle constitue un écosystème fragile et que la protection permanente de ses ressources naturelles et paysagères est d'une importance capitale pour les résidants actuels et futurs de l'État et du pays. Il sera étonnant pour un Québécois d'y lire aussi que les accès publics aux berges et les possibilités d'usages récréatifs doivent non seulement être protégés, mais maximisés! Toutes ces lois déclarent également que la participation du public à l'élaboration des politiques de gestion du littoral est absolument essentielle. Quiconque jette un oeil sur les lois de nos voisins du Sud s'aperçoit que le territoire côtier y est géré avec une cohérence à la mesure de son importance pour la nation entière. Le même constat pourrait être fait pour la France.
Comme le démontre la complicité entre la Ville de Lévis et les promoteurs de Rabaska, ou le statut d'État dans l'État du Port de Québec, le terreau demeure fertile pour le développement chaotique des rives du fleuve. L'absence de lois encadrant ce développement en est la cause fondamentale. Le BAPE ne suffit pas. N'en déplaise à ceux qui sacralisent le BAPE lorsqu'il tranche en leur faveur, la pression populaire demeure un recours légitime et démocratique pour changer le cours des affaires sur les rives du fleuve.
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Jean Lacoursière, Québec
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