Pourquoi je ne voterai pas conservateur

Élections fédérales du 14 octobre 2008

À Québec, ma ville natale, pendant toute mon enfance et mon adolescence, j'ai entendu parler en bien du Parti conservateur. Ce n'était pas un discours si courant à cette époque, c'est-à-dire dans les années 50 et 60. Québec était alors une ville «rouge» de bord en bord, dominée sinon verrouillée par la puissante machine libérale des Lapointe et des Power sur laquelle s'appuyait Louis St-Laurent pour se faire élire.
Mon oncle Jacques Flynn a raconté dans ses mémoires intitulées Un Bleu du Québec à Ottawa (Septentrion, 1998) comment il avait réussi, l'espace d'un mandat (1958-1962), à briser cette tradition dans ce qui s'appelait alors la circonscription de Québec-Sud. Je n'ai jamais été mal disposée envers les conservateurs, parti dans lequel mon père a milité. Mais aujourd'hui, ce parti est aux antipodes de tout ce à quoi je crois, de tout ce que je suis.
Ce qu'il y a de bien avec son chef Stephen Harper, c'est qu'il nous force à nous questionner sur la société dans laquelle nous vivons et voulons vivre. Sur nos valeurs morales et sociales profondes, sur notre rapport à la création, sur l'importance de notre culture pour nous définir dans notre identité et notre ouverture au monde.
Je suis une femme et je fais partie de la nation québécoise que Stephen Harper clame vouloir accepter tout en dévaluant la culture qui la nomme et l'exprime.
Je suis d'une génération qui sait reconnaître tout le courage et la détermination de ceux et celles qui nous ont précédés et qui ont posé les jalons de la société qui est aujourd'hui la nôtre, une société ouverte, capable de se mesurer à la modernité, qui brille grâce à ses artistes sur la scène internationale, une société construite sur un désir de solidarité, de justice sociale et d'égalité des chances et qui n'acceptera pas, j'espère, de revenir à ces temps obscurs où le pouvoir politique était inféodé aux grands barons de l'économie et à l'Église dans ses égarements. Époque où la culture, ses artistes et ses artisans étaient tenus dans la plus haute méfiance et où les oeuvres quelque peu décapantes étaient censurées.
Je suis de ces femmes qui doivent leur liberté, leur carrière, leur accès au pouvoir à toutes celles et à tous ceux qui ont cru que les droits de la personne concernaient aussi les femmes et qui ont lutté et luttent encore pour la liberté des femmes à décider de leur destin et de celui de leurs enfants.
Y a-t-il des raisons de voter conservateur lorsqu'on ne flirte pas avec la droite ultraconservatrice et le lobby du pétrole? Qui veut importer ici les idées et la philosophie conservatrice du ticket républicain McCain-Palin?
Pourquoi voter conservateur? Par morosité? Par peur ou insécurité? Mais ce qui devrait nous inquiéter, c'est l'idéologie conservatrice exprimée très clairement par Stephen Harper. Car le cahier de doléances et le bilan du gouvernement Harper, pourtant minoritaire, ne rassurent pas. Et aujourd'hui, Dr Jekyll ne peut plus et ne veut plus cacher Mr Hyde.
Chassez le naturel, il revient au galop, comme ces projets réformistes et alliancistes concernant la morale, la sécurité, la culture et la sacro-sainte liberté des marchés financiers dont on voit aujourd'hui les effets chez nos voisins américains.
Le vrai Stephen Harper s'est levé. Le CHEF -- car on peut difficilement parler de ses troupes sinon pour recenser leurs gaffes -- a parlé. On ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir clairement indiqué la voie qu'il entend suivre. Pour l'environnement, on connaît sa couleur -- noir bitumineux -- avec en toile de fond la conviction que le réchauffement climatique est une lubie, conviction que ses porte-voix ont clamée dans les forums internationaux pour tenter de détruire le protocole de Kyoto; et cette façon honteuse de tendre vers la criminalisation de l'avortement par voies détournées avec la présentation du projet de loi privé
C-484, mort (temporairement?) au feuilleton, et qui visait à faire condamner pour deux meurtres une personne qui tue une femme enceinte, accordant ainsi une personnalité juridique au foetus; et le projet de loi censurant les productions cinématographiques qui seraient jugées à l'aune de la droite ultrareligieuse.
La semaine dernière nous a montré à quel point un gouvernement qui veut toujours moins d'État, qui conspue les contrôles des marchés financiers peut mener une puissance économique comme celle des États-Unis au bord du gouffre. Or la politique du président Bush, on ne le répétera jamais assez, demeure un exemple à suivre pour Stephen Harper.
Margaret Atwood coiffait un article «décoiffant» sur Stephen Harper publié dans le Globe and Mail du 24 septembre de ces questions fondamentales: «Dans quel pays voulons-nous vivre? Dans quel pays vivons-nous? Qui sommes-nous?»
J'ajouterais: à quelle époque vivons-nous? Certainement pas dans le Jurassique de Stephen Harper alors que certains de ses candidats-dinosaures glosent sur le créationnisme.
On voudrait en rire si cela n'était pas si triste.
Je voterai bien évidemment pour le Bloc québécois le 14 octobre. D'abord, parce que je suis indépendantiste; ensuite, parce que je veux que le Québec s'exprime d'une voix forte sur des questions importantes pour moi: par exemple, que s'applique la loi 101 aux organismes fédéraux sur notre territoire et que ne s'applique pas la loi sur le multiculturalisme, car elle empêche, en semant la confusion, une véritable intégration des nouveaux arrivants. Le Bloc québécois est le seul parti à s'engager sur ce terrain; enfin, parce que je souhaite stopper le rouleau compresseur conservateur.
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Membre associée au CERIUM et coordonnatrice du Réseau Francophonie, l'auteure s'exprime ici à titre personnel.


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