François-Olivier Dorais, Jean-François Laniel
Historien et professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi, Sociologue et professeur à l’Université Laval
Qui eût cru, il y a à peine quelques mois de cela, que l’Ontario français se trouverait propulsé au coeur de l’actualité politique et médiatique québécoise ? Que l’Assemblée nationale du Québec, dans une rare unanimité dont elle a le secret, déciderait de hisser le drapeau vert et blanc de l’Ontario français à l’une de ses tours ? Que le premier ministre François Legault semoncerait son homologue ontarien en lui rappelant que les Franco-Ontariens ne constituent pas une minorité ethnique et linguistique parmi les autres au Canada ? Qui eût cru, bref, que les ressorts du Canada français demeuraient si tendus ? Pour être bien compris, cet élan de solidarité du Québec à l’endroit des francophones de l’Ontario doit être interprété à l’aune du temps long dans lequel il s’inscrit et du nouveau cycle politique qu’il annonce. […]
C’est peut-être d’abord par l’épaisseur de l’histoire que peuvent s’apprécier les liens entre francophones au Canada aujourd’hui, plus particulièrement celle du projet national canadien-français, qui a cherché à édifier, en terre d’Amérique, une civilisation catholique et française. […] Si les turbulentes années 1960 ont engendré, comme on le sait, une remise en cause profonde de ce Canada français et de ses solidarités traditionnelles, un horizon commun a bel et bien persisté entre francophones au Canada. Cet horizon se donne notamment à lire dans la permanence d’une intention nationale, c’est-à-dire dans la volonté commune des francophones au Québec et hors Québec de participer au continent nord-américain comme une société à part entière, et non comme un simple élément de sa diversité ethnique. Il en va autant de l’affirmation autonomiste du Québec que de l’enjeu de la binationalité chez les francophones hors Québec, qui se montrent encore attachés aux institutions de la dualité (par exemple, Radio-Canada) et aux pratiques autonomistes (en éducation, notamment). […]
Partant du principe que le Québec et les francophones du pays sont engagés sur des voies politiques divergentes depuis 50 ans mais qu’ils s’abreuvent à une même histoire, à un même univers culturel et à une même intention politique ; partant aussi de l’idée que la fragmentation politique, l’isolement et la dispersion démographique n’offriront jamais d’horizon porteur pour la francophonie canadienne, il y a lieu de réfléchir, selon nous, à la possibilité d’une réactualisation d’un projet franco-canadien à caractère national. Une telle option converge avec l’expression d’un nationalisme autonomiste de « troisième voie » au Québec. Celle-ci ne présuppose aucune adhésion au fédéralisme politique pas plus qu’une renonciation au souverainisme ; il s’agit plutôt ici de renouer avec un questionnement national canadien-français pour assurer la pérennité de la langue et de la culture françaises. […]
Six leçons politiques nous semblent devoir être prises en compte dans l’élaboration d’une solidarité nationale et politique renouvelée entre communautés francophones au Canada. Nous les présentons ici sous forme d’avertissement. Trois s’adressent au Québec : 1) attention au paternalisme : les francophones hors Québec ne demandent pas à être sauvés. Ils se sont bâti des institutions et des identités fortes dont ils sont fiers ; 2) attention à l’instrumentalisation : les francophones hors Québec ne veulent pas servir de chair à canon aux fédéralistes jovialistes ou aux souverainistes déclinistes. Ils ont un projet, et estiment eux aussi leur autonomie ; 3) attention à l’impérialisme : les francophones hors Québec ne sont pas des Québécois sous un autre nom. Ils habitent leurs terres depuis la Nouvelle-France et le Canada français, et comptent bien y rester.
Trois autres avertissements s’adressent aux francophones hors Québec : 1) attention à l’insécurité linguistique : n’ayez pas honte du français que vous parlez et prenez garde de ne pas confondre la facilité que vous avez à parler anglais avec une affinité culturelle et politique plus grande avec le Canada anglais ; 2) attention à la victimisation : les Québécois ne vous méprisent pas et sont aussi heureux de savoir que vous existez que curieux de vous entendre. Ne confondez pas la dynamique centre-périphérie (métropole-régions) avec une dynamique Québec-hors Québec : les différentes régions du Québec déplorent elles aussi que Montréal prenne toute la place à Radio-Canada ; 3) attention au sens unique : il est normal de demander au « grand frère » québécois de vous aider. Mais demandez-vous également ce que vous pouvez faire pour le Québec, en tenant compte de ses défis propres : la solidarité véritable est à ce prix.
Des Idées en revues
Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue L’Action nationale, février 2019, volume CIX, no 2.