Pour une gouvernance indépendantiste

Tribune libre

« Avec le recul, le référendum apparaît comme la plus grande erreur du Parti québécois. Jusque-là, sa stratégie avait été extrêmement efficace pour le Québec et extrêmement dangereuse pour le Canada. Claude Morin me l’avait décrite il y a longtemps : “Nous nous séparerons du Canada de la même manière que le Canada s’est séparé de l’Angleterre. Nous couperons les liens un par un, nous obtiendrons une petite concession ici, une petite concession là et, finalement, il ne restera plus rien.” Dans un premier temps, c’est exactement ce que fit le gouvernement du Parti québécois. Il exigea de nouveaux pouvoirs, imposa sa présence internationale et, comme chaque demande paraissait raisonnable en elle-même et dans l’intérêt de la province, la population suivit. Avec le temps, le Québec serait devenu indépendant dans les faits et son indépendance juridique serait allée de soi. Mais le référendum cristallisa le débat et, en dépit de l’ambiguïté extrême de la question posée (le mot “indépendance” en avait été exclu), la population fut forcée de faire un choix. Elle dit Non à l’indépendance. »
— Jean Chrétien, Dans la fosse aux lions, 1985

Le Québec n’est pas né avec l’élection de Jean Lesage, ni au moment du premier référendum de 1980. L’histoire du Québec ne se résume pas à des moments ponctuels ni à d’éternels recommencements. Notre histoire est celle d’une continuité, d’une volonté constante de préserver l’existence d’une nation française en Amérique.
Les bases du Québec, de son existence, furent posées en trois étapes :

1 - découverte et prise de possession du territoire;
_ 2 - habitation du territoire et implantation de la nation;
_ 3 - fondation d’un État encadrant la nation.

Le 24 juillet 1534, Jacques Cartier plante une croix de bois de trente pieds sur les plages de Gaspé : par ce geste, le territoire du Québec était découvert, la France en prenait possession. Le 3 juillet 1608, Samuel de Champlain fonde la ville de Québec : le territoire du Québec est maintenant occupé par les Français, marquant le début d’une nation française en Amérique. Le 5 avril 1663, Sa Majesté Très Chrétienne Louis XIV émet l’Édit de création : par cette proclamation royale, la nation française d’Amérique est dotée d’un État, d’un système juridique, d’une capitale (Québec). Ce document, qui en quelque sorte fait office de première constitution, vient encadrer notre existence et ses composantes fondamentales qui traversent le temps, c’est-à-dire que nous constituons une Nation française, catholique, régie par le droit civil et installée le long du fleuve Saint-Laurent et de ses affluents.
Avec la Conquête, survenue cent ans après l’établissement de notre première constitution, s’ouvrira une ère de résistance tranquille et de reconquête : rachat de terres, occupation du territoire, gains politiques. L’héroïque révolte des Patriotes, écrasée dans le sang, fut suivie par l’annexion du Bas-Canada au Haut-Canada et à la fusion de nos institutions politiques respectives. Le combat ne prit pas fin pour autant : explorant les rouages du parlementarisme britannique, les Réformistes de Lafontaine apprendront à utiliser les outils destinés à notre assimilation pour s’en servir comme instruments de notre libération nationale sur le long terme. Cette stratégie mena finalement, dans le cadre de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, à la création de la Province de Québec. Les frontières du Bas-Canada étaient retrouvées, le droit civil, la pratique de la religion catholique et l’usage du français étaient préservés, les Canadiens français renforçaient maintenant leur pouvoir, se dotant de leur propre assemblée législative, de leur propre gouvernement avec des pouvoirs spécifiques garantis par la constitution.
À partir de 1867, le Québec possède donc ses propres institutions, les assises de son pouvoir sont posées : dans les faits, c’est à partir de là que l’indépendance redevient possible, même si le sujet n’était pas évoqué. C’est qu’en possédant les pouvoirs véritables d’un État véritable, la nation québécoise a maintenant la possibilité d’avancer par actes d’État. Pensons, dès 1880, aux emprunts sur le marché français par le gouvernement Chapleau, ou encore à la création en 1882 d’une Agence du Québec à Paris (Hector Fabre y agissant comme agent général de la Province de Québec.) En fait, à partir de la Confédération, les seules limites imposées au Québec sont celles qu’il s’impose lui-même. Ces limites dépendent des orientations du gouvernement en place à Québec; un gouvernement nationaliste (pensons à Honoré Mercier, Maurice Duplessis, Daniel Johnson père ou René Lévesque) agissant comme un gouvernement national, un gouvernement soumis (pensons à John Jones Ross, Simon-Napoléon Parent, Alexandre Taschereau ou Jean Charest) conduisant à des reculs.
En clair, le Québec se situait constamment sur un continuum, oscillant entre toujours plus de pouvoirs (jusqu’à l’indépendance à terme) ou toujours moins (laissant le gouvernement fédéral envahir ses champs de compétence jusqu’à l’avènement d’un État canadien unitaire à terme.) Ce cadre prit cependant fin en 1980. Le gouvernement de René Lévesque débuta sous la forme d’un gouvernement national, mais l’obligation que Lévesque s’était fixée de réaliser un référendum mit fin à toute perspective de gouvernance nationaliste, de gouvernance indépendantiste. Le Québec ne cherche donc plus à acquérir plus de pouvoirs, à empiéter sur les pouvoirs du gouvernement fédéral par des actes d’État de manière unilatérale et effective; il entend respecter à tout prix le cadre constitutionnel canadien, il espère remporter un référendum lui permettant d’aller négocier sa souveraineté avec Ottawa. Le rapatriement unilatéral de la Constitution (et donc la Nuit des longs couteaux), le « Beau risque », les accords du Lac Meech puis de Charlottetown, le référendum de 1995 et le Plan B d’Ottawa sont les résultats de ce changement crucial d’approche : le Québec ne peut plus avancer, car il s’est embourbé dans la logique des référendums et du respect constant de la constitution canadienne (qu’il n’a pourtant pas signé!)
Dorénavant, pour recommencer à avancer, le Québec ne devra pas hésiter à braver le cadre constitutionnel canadien, à exercer toujours plus de pouvoirs plutôt que d’emprunter l’approche référendaire du « tout ou rien ». C’est ce que promettait Pauline Marois avec son Plan pour un Québec souverain de juin 2009, tout aussi ambivalent qu’il soit. Ce plan proposait « une rupture avec l’attentisme », mais malheureusement pas une rupture avec l’étapisme référendaire. Se positionnant à mi-chemin entre les deux approches, le Parti québécois a créé une sorte de confusion au fil du temps. Plus personne n’est certain des intentions réelles du Parti québécois quant à son action, ce qui explique en partie les résultats mitigés obtenus par le Parti québécois le 4 septembre 2012. Le changement d’approche souhaité, s’il a été entamé, ne s’est pas concrétisé intégralement, d’autant plus qu’au passage le Parti québécois a minimisé l’importance d’en expliquer les tenants et aboutissants. On ne change pas d’approche en faisant l’économie d’une pédagogie de l’action indépendantiste dans un cadre national.
Si le Canada a sa Loi sur la clarté, le Québec a un devoir de clarté. Clarté sur le processus et les moyens pour que l’indépendance advienne et que notre État soit effectif dans toutes les sphères de compétence normalement dévolues aux États souverains. L’action d’un gouvernement national doit renouer avec l’action d’un gouvernement indépendant qui agit sans contraintes et qui, surtout, ne s’en impose pas lui-même. Rappelons que le système parlementaire britannique garantit au gouvernement une liberté d’action sans bornes. Jacques Parizeau l’a déjà mentionné : « Un gouvernement c’est fait pour gouverner. » Si un parti se dit nationaliste et indépendantiste, entendons qu’il doit gouverner comme tel. Comme le fait précède le droit, exigeons du Parti québécois qu’il réalise d’abord l’indépendance, la souveraineté suivra qu’un référendum soit tenu ou non.
Pierre Norris
_ Félix Pinel
_ Citoyens du Québec


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2 commentaires

  • Michel Laurence Répondre

    30 novembre 2012

    C’est exactement ce que je pense aussi. Et demander une gouvernance indépendantiste est tout à fait différent de ce que le Parti québécois nous a offert le 4 septembre dernier.
    J’en veux pour preuve tous les reculs effectués et ceux à venir par le Parti (beeep! beep! beep!) québécois depuis la dernière élection.
    Je constate avec plaisir qu’un des signataires du texte est M Félix Pinel celui-là même qui, durant la campagne électorale, a traité d’idiots utiles tous les indépendantistes qui affirmaient ne pas avoir l’intention de voter PQ justement parce qu’ils savaient que jamais le PQ ne « braverait le cadre constitutionnel canadien, ni n’exercerait toujours plus de pouvoirs ». Les trois derniers mois leur donnent raison et, s’il vous plaît, ne me dites pas que c’est parce que le gouvernement est minoritaire, je n’ai toujours pas de poignée dans le dos.
    Ai-je besoin de rappeler :
    - la participation à la conférence du Conseil de la fédération canadienne
    - la rencontre avec les agences de notation à New-York
    et pour emprunter les mots de Pierre Cloutier, « le recul sur la taxe santé, la valse-hésitation sur la francisation des immigrants, le louvoiement sur le transport du pétrole albertain, les mots d’ordre répétés sur la collaboration, la gouvernance souverainiste du PQMarois ressemble plus à une gouvernance "collabo" qu’autre chose. »
    Malheureusement, je demeure convaincu que jamais le Parti québécois ne « renouera avec l’action d’un gouvernement indépendant qui agit sans contraintes et qui, surtout, ne s’en impose pas lui-même. »
    Comme vous l’avez écrit, « exigeons du Parti québécois qu’il réalise d’abord l’indépendance, la souveraineté et les associations (mon ajout) suivra(ont) qu’un référendum soit tenu ou non. »

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    30 novembre 2012

    La genèse de l'État du Québec ?
    Je partage tout à fait cette lecture, Depuis quelques année je travail avec des amis sur un petit projet concernant notre histoire à partir d'une question fondamentale et existentielle : Qu'est qui fut nécessaire pour qu'apparaisse, se développe et existe encore une nation française en Amérique ? Réponse : les assises d'un État
    "Nation : un peuple en possession d'un État" (Karl Deutsch)
    Ce projet propose une lecture des temps forts de notre histoire, décodés à partir de la grille géopolitique : Statut et principes.
    Pour initier ce projet nous avons fait suivre à une quarantaine d'historiens (universitaires) une double question : L'État du Québec existe t il si oui depuis quand ?
    Nous avons obtenu une dizaine de réponses disparates, allant de, seul l'État souverain existe, à, oui il existe, et de donner différentes dates de son apparition.
    Un seul historien a eu l'intelligence de répondre : l'État n'est pas ma spécialité. En effet la discipline qui fait de l'État l'objet premier de son étude c'est la géopolitique.
    ..
    Pour en revenir à ce texte : Trudeau a vu la monté en puissance de l'État du Québec au moment de la Révolution tranquille,il a bien compris que cette dynamique menait à la souveraineté : L'État devient ce qu'il fait" (G Bergeron), d'où son fameux "finie le folies". Chrétiens a fait la même lecture, qui est la bonne et que je partage.
    Il faut revenir sur les les assises de notre État national et agir : " L'État se nomme dans l'agir " (anonyme)
    Le but de l'exercice n'est pas de sortir le Québec du Canada mais bien le contraire, de sortir le Canada du Québec. Et on y arrive non pas en récitant des mantras, mais en reprenant systématiquement le contrôle effectif de notre territoire :
    "L'action de l'État est une conquêtes sans cesse renouvelée de sa compétence sur son territoire" (Charles Chaumont)
    "Territoire: lieu des effectivités". (G. Bergeron)
    JCPomerleau