Pour un plat de lentilles

Mais oups. En fin d'après-midi, Radio-Canada, rapportant que le «marché semblait donner raison au BAPE», rapportait aussi que, tout à coup, selon son «entourage», les paroles du premier ministre n'auraient pas représenté sa «pensée».

Le Québec et la question environnementale


Ce matin, si vous avez vu la une du quotidien Le Devoir, il y a de très bonnes chances que vous soyez tombés en bas de votre chaise en lisant ce sous-titre: «Le Québec serait privé de revenus de cinq milliards de dollars».
Quoi???
Du moins, c'est ce qu'avance le rapport du BAPE sur le gaz de schiste, rendu public ce 8 mars par le gouvernement Charest. Comme quoi, lorsque, volontairement, on remet un rapport de 336 pages aux médias qu'en fin d'après-midi, certaines «perles» mettent un peu plus de temps à sortir...
Celle-ci est aux pages 200 et suivantes.... Allez jeter un coup d'oeil. Vraiment, allez voir: http://www.bape.gouv.qc.ca/sections/rapports/publications/bape273.pdf
Faisant état de rentes annuelles pour des permis d'exploration qui ne s'élèvent au Québec qu'à 10 cents l'hectare en milieu terrestre et de 5 cents en milieu marin si la superficie excède 100 000 hectares, le rapport commence par faire cette comparaison à titre d'exemple:
Au Québec: «les rentes d'exploration dans le shale d'Utica rapportent environ un million de dollars annuellement à l'État pour les quelques dix millions d'hectares sous permis».
En Colombie-Britannique: «les revenus de la seule année 2008 (...) provenant des droits d'exploration gazière décernés pour les shales de Horn River et de Montney ont cumulé 2,43 milliards de dollars».
En Alberta: «en moyenne, pour 2009-2010, les droits sur les titres mis aux enchères pour l'exploitation pétrolière et gazière ont totalisé 512,12$/ha, pour un revenu total de 1,17 milliards de dollars».
Et, c'est ici que la brique du BAPE tombe: «En se référant au prix moyen de 500$/ha de l'Alberta, le Québec aurait pu percevoir environ 5 milliards de dollars pour les dix millions d'hectares sous permis. Ces revenus auraient été conservés par l'État qu'il y ait eu ou non développement de gisements gaziers.» (p. 201)
Cet écart gargantuesque, s'explique, comme le note le BAPE, par le fait que dans les provinces de l'Ouest, le processus d'attribution de permis fonctionne par un «système d'enchère» ou, si vous préférez, d'appel d'offres. Obtiennent donc les permis que les compagnies dont l'enchère est «la plus élevée et offre la valeur la plus juste pour le titre».
Tandis qu'au Québec, comme on le sait, c'est un régime proprement colonial qui régit encore et toujours l'allocation de permis aux compagnies privées pour plusieurs catégories de ressources naturelles, de même que pour les maigres redevances qu'elles payent, parfois...
Pas surprenant donc qu'entre autres compagnies, Talisman Energy Inc. - cette compagnie albertaine qui se paye les services de Lucien Bouchard à la tête de l'Association pétrolière et gazière du Québec -, trouve cela vachement profitable de venir faire des affaires ici....

Les ressources naturelles du Québec, ça s'achète pour vraiment pas cher, pas cher...

Et ce n'est pas tout.
Côté redevances, le BAPE dit ceci: «À un taux moyen de redevances de 10%, l'État québécois recevrait 21 milliards de dollars à terme, soit l'équivalent de 13% de la dette du Québec qui s'établit actuellement à 160 milliards». De quoi se payer plus qu'un seul bain par semaine pour nos personnes âgées et combien plus encore?...
Alors, imaginez seulement ce que ce serait si, comme en Colombie-Britannique, les taux de redevance allaient de 9% à 27%... Ou encore, si l'État, en partenariat avec le privé, devenait l'actionnaire principal de l'exploitation du gaz... ou encore, si la propriété collective des ressources naturelles - ce qui est pourtant le cas au Québec -, se traduisait aussi par un profit collectif...
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Aujourd'hui, en réaction, le premier ministre Jean Charest a parlé de «pure fabulation» et s'est demandé de quoi le BAPE pouvait bien parler... Pourtant, son gouvernement a le rapport en mains depuis le 28 février dernier.
M. Charest donnait toutefois comme exemple les «30 puits creusés» au Québec. Or, le rapport du BAPE calcule sur la base du nombre d'hectares sous permis. Ce qui est différent.
Mais oups. En fin d'après-midi, Radio-Canada, rapportant que le «marché semblait donner raison au BAPE», rapportait aussi que, tout à coup, selon son «entourage», les paroles du premier ministre n'auraient pas représenté sa «pensée».
Mais ce, sans préciser pour autant la vraie position du premier ministre sur ces «5 milliards de dollars» dont le Québec n'aurait jamais vu la couleur pour cause de vente de permis à des prix dignes d'une vente de feu...
Bref, on ne s'en sort pas. Si ces chiffres étourdissants avancés par le BAPE s'avéraient fondés, c'est alors que les Québécois seraient les victimes d'un véritable hold-up collectif.
Et ce, à coup de milliards de dollars. Et quant à la plupart de ses ressources naturelles, depuis longtemps.
Lorsqu'on ajoute les autres milliards engloutis depuis des années dans une industrie de la construction dont des pans entiers sentent la collusion et les dépassements de coûts systémiques, force est de croire que le Québec doit être pas mal plus riche qu'on ne le pense pour se permettre de voir ses propres coffres publics détroussés de la sorte, pendant aussi longtemps et dans autant de domaines.
Ce qui, pourtant, n'empêche aucunement d'imposer toute une brochette de hausses de tarifs aux citoyens au nom, justement, de «finances publiques» qui, semble-t-il, crient encore et toujours famine.
Or, d'énormes sommes d'argent ne sont pas perçues de certaines industries -et doit-on aussi rappeler que plusieurs ex-attachés politiques libéraux travaillent pour l'industrie du gaz de schiste -, alors que d'autres milliards sont dilapidées du moment où ils se retrouvent dans les mauvaises poches...
C'est ce que Paul Krugman - économiste renommé, Prix Nobel et chroniqueur au New York Times - appelle «affamer la bête». La «bête» en question étant les coffres de l'État...
Ici, mais pas seulement ici, un autre symptôme de ce phénomène est la diminution constante de la portion de l'assiette fiscale globale des États payée par les entreprises et, bien entendu, l'augmentation constante de la portion payée par les particuliers... http://m.ledevoir.com/politique/canada/317901/le-contribuable-vache-a-lait-d-ottawa
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La manière dont les gouvernements du Québec bradent plusieurs des ressources naturelles de ce territoire à des intérêts privés en échange d'un plat de lentilles en est un formidable exemple.
Vous vous souvenez peut-être de ma chronique récente sur «Le bien commun»... http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2011/02/16/le-bien-commun.aspx
Ce que le rapport du BAPE avance offre une énième illustration de cette analyse...
À moins que le premier ministre ne réussisse à démontrer que le BAPE est complètement dans l'erreur.
Les Québécois attendent...


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