Pour Ségolène Royal, sans illusion

Par Philippe Descamps

France - élection présidentielle 2007

Depuis des mois, vous subissez la campagne d’une presse largement au service de Nicolas Sarkozy. Ce courriel est une modeste contribution au pluralisme...
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1 - Les trois urgences : sociale, démocratique et environnementale
> L’urgence sociale
La France n’a jamais produit autant de richesses qu’en 2006. Notre économie devrait nous permettre d’envisager l’avenir de nos enfants avec sérénité. Et pourtant, nous avons de quoi nous inquiéter, car les inégalités ne cessent de se creuser en France et dans le monde.
En France, les cadeaux fiscaux faits aux plus riches par les gouvernements Raffarin-Sarkozy et Villepin-Sarkozy n’ont fait qu’aggraver une lourde tendance de fond. Alors que la proportion des salariés n’a cessé d’augmenter (+ de 90 % de la population active), l’ensemble des salaires ne représente aujourd’hui que la moitié du revenu disponible, contre les deux tiers il y a 25 ans. De 1991 à 2005, le salaire moyen net a augmenté de 6 %, les dividendes de 125 %. Aujourd’hui, 40 % des salariés gagnent moins de 1 064 euros net par mois (lire l’excellent article d’un administrateur de l’INSEE : « Travailler plus pour gagner moins » dans Le Monde diplomatique d’avril).
Il est urgent de sortir de la financiarisation de l’économie, du culte des nouveaux rentiers qui ruinent l’économie. Tous ceux qui ont un petit patrimoine immobilier imaginent qu’ils s’en sortent bien. Lorsque la vie (chômage, changement d’emploi, séparation) les conduit à chercher un nouveau domicile, ils prennent conscience de ce leurre qu’est le « boum » immobilier, ne profitant qu’aux spécialistes.
La croissance de la précarité et des inégalités est encore bien plus grave et lourde de menaces au niveau international. L’émergence de la Chine ou de l’Inde masque une concentration toujours plus grande des richesses entre quelques décideurs transnationaux.
> L’urgence démocratique
Nous venons d’être gouvernés pendant 5 ans par un courant politique qui représentait 19,8 % des voix exprimées au premier tour des élections présidentielles de 2002 (32 %, si on ajoute à Chirac, Madelin, Boutin et Bayrou). Plus de 40 % des électeurs ayant voté ce jour-là n’ont pas de représentants à l’Assemblée nationale. Depuis 1958, la majorité des sénateurs a toujours été de droite et peut bloquer toute réforme institutionnelle prenant la voie parlementaire. Dans une démocratie normale, sans cette immunité en forme d’impunité, le chef de l’État sortant aurait été poursuivi dans plusieurs dossiers judiciaires.
Peut-on encore continuer longtemps comme cela, dans un régime hyper-présidentiel qui ne peut fonctionner à peu près démocratiquement qu’en période de cohabitation ? L’instauration d’une dose de proportionnelle, la réhabilitation de l’Assemblée, le mandat unique et la réforme du Sénat sont devenus des préalables si l’on veut libérer les forces démocratiques de notre pays.
> L’urgence environnementale
L’avenir de notre planète est une chose beaucoup trop sérieuse pour être laissé aux seuls militants de l’écologie politique, ce courant d’une génération à l’approche de la retraite, empêtrée dans ses querelles de chefs, ignorant de la question sociale, aveugle sur la dérive de l’Europe, obnubilé par les questions « sociétales ». C’est une affaire trop sérieuse aussi pour être laissée aux défenseurs de l’environnement au sens étroit. La défense de l’ours ou de l’Érythrone révoluté est sans doute pas inutile, mais l’enjeu n’est pas là. Si nous voulons permettre un avenir aux générations futures, il nous faut repenser fondamentalement nos modes de production et notre mode de vie.
2 - Une triple menace : Le Pen, Sarkozy, Bayrou
> Le Pen et la « lepenisation » des esprits
Depuis 2002, on sait que Le Pen a très peu de chance d’accéder au pouvoir. Mais il a déjà gagné la prochaine élection dans une bonne partie des esprits et des programmes. En axant la campagne de 2002 sur la sécurité, Chirac et les médias dominants lui avaient permis d’accéder au second tour. Ils ont recommencé en bonne partie en couvrant les mensonges de Sarkozy, sur Clichy, sur les chiffres de la sécurité, sur les chiffres du chômage, sur les conditions d’achat de son appartement, etc. Selon le principe que le millionnaire du FN aime rappelé : « Les électeurs préfèrent l’original à la copie ». Le souvenir du « 21 avril » provoquera probablement un vote « utile » à gauche, mais on ne peut exclure une réédition du même phénomène de balkanisation du vote populaire au plus grand profit de l’extrême droite.
> Sarkozy et la négation de l’identité française
Nicolas Sarkozy est de loin le candidat le plus dangereux pour la nation et l’identité française, faite d’intégrations successives, d’indépendance nationale et de conquêtes sociales. Je ne suis pas sûr qu’il ait une véritable idéologie, autre que celle de la promotion de sa personne. Mais pour arriver au pouvoir, il s’est fait clairement le porte-parole d’un néo-conservatisme français, fortement inspiré d’outre-atlantique. Habile stratège électoral, il s’appuie sur ce que les Américains appellent la « majorité morale » et une rhétorique « sécuritaire » pour faire gober à la majorité sociologique un programme basé sur la défense des intérêts d’une petite minorité de nantis ; parmi lesquels il compte tous ses amis...
Nicolas Sarkozy est la parfaite synthèse des « 3 B » : Bush, Blair et Berlusconi. Comme Bush, il était partisan de la guerre en Irak. Pour mieux imposer l’impérialisme occidental, il use de la fable du choc des civilisations, quitte à inventer un adversaire à sa mesure. Comme Blair, il est très astucieux pour masquer les fondements idéologiques de sa politique. Blair se disait l’héritier du travaillisme alors qu’il était celui de Thatcher. Sarkozy se recueille à Colombey, alors que son atlantisme, son communautarisme et son ultra-libéralisme feraient retourner De Gaulle plusieurs fois dans sa tombe. Comme Berlusconi, il est passé maître dans l’art du mensonge le plus grossier et l’assujettissement des médias, généralement contrôlés par ses amis Bouygues, Bolloré, Dassault ou Lagardère.
Sarkozy est de loin plus dangereux que Le Pen, car il a lui de très bonnes chances d’être élu. Leurs programmes ne divergent que marginalement. Sarkozy n’hésite même plus à nier 150 ans de science avec des thèses farfelues sur la génétique.
> Bayrou et la fin de l’alternance
François Bayrou a fait une excellente campagne avec des audaces de ton (contre les médias, les patrons voyous, les dérives monarchistes du régime) qui auraient dû être celles de la candidate du PS. Mais n’oublions pas que François Bayrou et ses amis ont voté tous les budgets de Jean-Pierre Raffarin et la plupart des « réformes » de la dernière législature, avant le virage opportuniste préparant la campagne.
Plus fondamentalement, la recomposition politique que propose Bayrou est une dérive à l’américaine avec la constitution de deux grands partis, animés chacun par des tendances plus ou moins progressiste ou conservatrice... et se retrouvant sur le fond pour promouvoir des politiques ultra-libérales et impérialistes, avec un vernis social et environnemental. Le ralliement de forces de gauche à Bayrou serait la mise à mort de tout espoir d’une véritable alternance.
En faisant campagne au centre-gauche, Bayrou a réussi le tour de force de capter une partie des voix et de faire apparaître le vote de gauche comme minoritaire, après 5 années de gouvernement de droite désastreuses pour l’économie en général et pour les classes populaires en particulier.
3 - L’impossible vote d’adhésion
La Ve République ne permet pas un vote d’adhésion. C’est pourquoi il est urgent d’en changer. Tous les courants politiques espérant exister jettent leur force dans une bataille généralement inutile, perdue d’avance. Contrairement à ce que l’on pense, elles ne capitalisent rien du tout et ne pèsent pas davantage dans les politiques mises en place.
Il y a dans les programmes de plusieurs candidats et candidates des choses séduisantes. Mais on est dans un jeu de dupes où, moins on a de chance d’arriver au pouvoir, plus on présente des positions radicales. J’aimerai que l’on m’explique en quoi les 2, puis 5, et même 10 % (avec Besancenot) d’Arlette Laguillier ont changé en quoi que ce soit notre vie et celle de notre planète depuis 30 ans ? Les quelques % des écolos et des communistes leur ont simplement permis de négocier avec le PS des strapontins à l’Assemblée nationale.
Toutes les forces de progrès qui avaient contribué au rejet du Traité constitutionnel européen auraient pu changer la donne en s’unissant pour une troisième force capable de devenir la première. Mais les forces les plus organisées ont suivi une logique d’appareil qui a ruiné tout espoir de ce côté là. Elles ont une lourde responsabilité dans l’impasse politique actuelle.
Étant donné que quatre candidats sont aujourd’hui en situation d’être présents au second tour, l’abstention, le vote blanc ou la dispersion du vote républicain sont autant de voix d’avance pour Sarkozy ou Le Pen.
On ne vote pas dans l’absolu. On vote dans un pays ayant son système électoral et institutionnel propre. Bien sûr que Ralph Nader était plus prometteur qu’Al Gore, héritier du conservatisme démocrate de Clinton. Mais ceux qui ont voté Nader ont eu Bush...
Quant à penser que 5 ans de Sarkozy permettront une révolte populaire et des changements plus profonds après-demain, c’est mal connaître les mécanismes du pouvoir en France et du conditionnement de l’opinion.
4 - Sans illusion et sans état de grâce
Mon vote ne sera pas un repentir du « 21 avril ». Je n’avais pas voté Jospin à cause d’au moins deux de ses décisions majeures : la baisse de l’impôt sur le revenu et l’inversion du calendrier qui a renforcé les tares de la Ve République. Il est aussi probable que l’élection de Jospin aurait conduit à l’adoption du traité constitutionnel européen par la France et à une position beaucoup plus timide sur l’Irak, voire une participation des troupes françaises et allemandes aux côtés des États-Unis dans cette guerre imbécile.
Il ne faut pas se faire d’illusion sur le programme de Ségolène Royal, qu’au mieux elle ne mènera qu’à moitié et qui est des plus timides sur des questions aussi essentielles que les médias et la démocratie. On ne peut pas compter non plus sur le parti socialiste pour mener une véritable rupture avec le modèle ultra-libéral dominant en Europe (au pouvoir, il a ratifié le « compromis d’Amsterdam » puis la « stratégie de Lisbonne »).
S’il veut exister au pouvoir en tirant les leçons du passé, il doit tout de même prendre des distances avec le dogme éculé de la concurrence avant toute chose. Bien que minoritaires, des forces hostiles à l’ultra-libéralisme pèsent soit à l’intérieur du PS, soit parce qu’elles se sont ralliées à la candidature Royal.
Je vois mal Ségolène Royal ne pas tenir sa promesse de réforme institutionnelle dans les 6 mois suivant l’élection. Et ce point est capital pour l’avenir de notre démocratie et de la recomposition politique. Elle sera également obligée de tenir ces principaux engagements en matière de salaires minimums, de logement, d’environnement. Le volet « social » du traité constitutionnel qu’elle promet de renégocier a de bonnes chances d’être cosmétique. C’est pourquoi il ne faudra plus attendre que tout vienne d’en haut.
Il faut que l’on arrête de penser que la citoyenneté consiste seulement à glisser un bulletin dans une urne tous les 5 ans. Même si ce geste est vraiment nécessaire.
Philippe Descamps, journaliste et citoyen, le 19 avril 2007.


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