Une question d'équité

Pour que vivent les langues amérindiennes

Langue commune et maintien des langues régionales

Tribune libre

Il y a quelques années, Découverte, l’émission de vulgarisation scientifique de Radio-Canada télévision, révélait une étude de l’UNESCO sur les perspectives des idiomes parlés dans le monde. Selon l’organisme onusien, des 7000 idiomes parlés actuellement, 2000 disparaîtront d’ici 2050. Est-ce une fatalité ou peut-on et doit-on préserver cette diversité culturelle au même titre que la biodiversité ?

Même si elle ne répondait pas à ces questions éminemment politique, à en croire ce reportage de Découverte, l’amenuisement de la diversité culturelle n’est pas une fatalité en autant que la communauté des locuteurs d’un idiome croient en leur langue et souhaitent vivre dans cette langue, élément identitaire essentiel. À titre d’exemple rapporté par l’émission, les 300 000 locuteurs du norrois moyenâgeux et le gouvernement islandais ont compris l’importance d’adapter les TIC et particulièrement la typographie des claviers d’ordinateur et le développement d’interfaces du norrois médiéval à internet pour préserver et affirmer leur identité :

«Depuis le XVIIIe siècle, les autorités islandaises appliquent une politique volontariste pour préserver la « pureté » de la langue. Suite à cette politique, des écrivains et des terminologues sont chargés de créer de nouveaux mots afin d'adapter la langue islandaise à l'évolution des usages et aux nouveaux concepts et de lui éviter ainsi le recours à des néologismes empruntés à des langues étrangères, notamment au danois et à l'anglais. »

Les Islandais participent aujourd’hui à la toile et gardent bien vivante leur langue. La publication de nombreuses œuvres littéraires islandaises traduites dans plusieurs langues atteste cette vivacité.

À l’instar de l’Islande et de ses locuteurs, d’autres pays et leurs locuteurs de la langue nationale ou d‘une des langues régionales font preuve de détermination pour préserver, voire augmenter le nombre de locuteurs de ces langues. Parmi ces pays et leurs locuteurs, citons la France et le Guatemala qui, chacun à leur échelle, font rayonner leur langues et idiomes.

Ainsi, la France fait rayonner le français à l’échelle mondiale par le truchement, entre autres, de l’Alliance française et celui de la chaîne de diffusion télévisuelle TV5. L’Alliance française, est en quelque sorte une antenne culturelle qui offre, notamment offre des cours de langue française dans de nombreux pays tandis que TV5 diffuse des émissions produites par les pays francophones membres de la chaîne dont le Canada. En outre, la France délègue des consuls généraux dans les terreaux fertiles au développement de la langue française. Par exemple, la France délègue habituellement un consul général par pays. Exceptionnellement, elle délègue un consul général en Louisiane en témoignage de l’importance qu’elle accorde aux cajuns et au développement de leur langue.

Mais pour faire vivre une langue ou idiome, il est indispensable, comme l’ont démontré les Islandais, de la faire rayonner à l’échelle nationale. C’est aussi l’échelle nationale qu’a choisie le Guatemala. En 1996, après une longue guerre civile, ce petit pays de 12 millions d’habitants, dont plus de 50% parlent un des vingt-deux idiomes du pays, a légiféré pour rendre obligatoire l’enseignement des différents idiomes mayas. Par exemple, un de ces idiomes, le cakchiquel, est aujourd’hui enseigné aux écoliers de la région du lac Atitlan.

Le Québec peut-il s’inspirer de ces exemples pour faire rayonner, sinon à l’échelle mondiale, à tout le moins à l’échelle nationale ses propres idiomes, tel l’abénakis, le micmac ou l’innu ?

Pour autant, le Québec n’est pas en reste. Déjà, il a institué deux commissions scolaires autochtones qui doivent dispenser, outre le français et l’anglais, l’enseignement du crie et de l’inuktitut. Mais, il peut aller plus loin en s’inspirant de l’expérience inuit. Ainsi, en plus d’apprendre leur langue à l’école, les Inuits ont, eux aussi, réussi le pari de l’appropriation technologique avec leur équivalent de TV5 mais à l’échelle régionale avec leur radio et leur télévision communautaires en inuktitut.

Cette expérience invite le Québec à être plus audacieux et visionnaire. À l’instar du Guatemala, le Québec pourrait légiférer pour rendre obligatoire l’enseignement des langues amérindiennes dans les écoles du Québec, particulièrement dans les écoles des commissions scolaires voisines des réserves amérindiennes. Aucune objection ne saurait empêcher cet enseignement. Comment pourrait-on s’y objecter alors que le Québec, à l’exemple de nombreux autres pays, a favorisé l’intégration scolaire des enfants d’immigrants en instituant le Programme d’enseignement des langues d’origine, mieux connu sous l’acronyme PELO ? Comment pourrait-on refuser un enseignement des langues amérindiennes et l’intégration des peuples aux élèves québécois et amérindiens alors que nous l’avons promulgué pour les nouveaux arrivants ?

Le projet est faisable mais encore faut-il avoir la volonté comme les Islandais et se donner une véritable politique de pérennisation des langues intégrant à la fois l’enseignement, les communications et le développement de l’institutionnalisation des différentes langues amérindiennes dans leur gouvernance locale. De surcroît, la législation, conséquente à une politique de pérennisation des langues amérindiennes, devra éviter le piège de l’interprétation équivoque de ces nouveaux droits. En cette matière, la jurisprudence des 30 dernières années de la charte canadienne des droits et libertés nous a enseigné les erreurs à ne pas commettre, soit l’interprétation des droits et libertés dans la perspective anglo-saxonne et communautariste. À l’interprétation communautariste des droits et libertés, il faut préférer une interprétation universaliste qui donne la primauté aux droits collectifs.

Dans son essai, La dernière utopie, Caroline Fourest livre, à l’égard de l’interprétation universaliste, un plaidoyer convaincant. Elle démontre la nécessité pour un pays et pour les citoyens qui l’habitent d’avoir une langue nationale forte tout en valorisant les langues régionales. Ne serait-ce que pour accéder pleinement à la citoyenneté et à la jouissance de ses droits, le citoyen a avantage à bien saisir la langue du pays, de sa législation et de ses institutions, la maîtrise de la langue commune est une première nécessité. À cette langue commune s’ajoutent les langues régionales auxquelles s’identifient différentes ethnies.

Actuellement, après des années de dévalorisation, de dénigrement et d’interdiction de l’enseignement du français par l’État, 5000 écoliers fréquentent l’école française en Louisiane et participe à la réhabilitation du cajun. Il en va de même pour le cakchiquel et l’inuktitut. Si la politique peut éteindre des langues et elle peut aussi faire qu’elles vivent comme l’islandais. Pour que vivent les langues amérindiennes du Québec comme le cajun louisianais, le cackchiquel guatémaltèque et l’inuktitut du Québec, il faut une politique volontariste de pérennisation des langues amérindiennes.


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1 commentaire

  • Gilles Verrier Répondre

    20 décembre 2014

    L'auteur écrit comme si le Québec possédait tous les attributs d'un pays, ce qui fausse la suite de son raisonnement. Quand il parle de langue nationale (au singulier), on voudrait bien comprendre le français mais la langue nationale au Canada est en pratique l'anglais, n'est-ce-pas ? À bien des égards, le français au Canada pourrait être correctement décrit comme une de ces langues régionales en perte de locuteurs sur l'ensemble du territoire, mais qui conserve encore la possibilité du rayonnement mondial, ceci en accord avec l'auteur.
    Quant à l'ultra diversité linguistique dont l'auteur se fait le champion, il ne faut pas oublier que cette diversité n'est pas synonyme de diversité culturelle, bien au contraire. Moins les langues ont de locuteurs, moins il leur sera possible d'imposer une présence culturelle autre que folklorique. On pourra certes maintenir artificiellement en vie ou faire renaître des langues pratiquement éteintes, le contenu audio-visuel de ces dernières restera forcément limité et, au mieux, atteindra les meilleures cotes d'écoute, financement oblige, par la retransmission du cinéma hollywoodien, du Grand prix et du Mundial. Dans un tel cas, l'investissement des États centraux (ou des organismes supra nationaux qui s'y substituent) dans les langues locales, pour généreux qu'il puisse apparaître de prime abord, ne serait qu'une coquetterie du mondialisme. Il est assez clair que la question de savoir en quelle langue communiquerait entre elle la petite armée de fonctionnaires (linguistes, terminologues, traducteurs et professionnels de la communication) n'est pas perçue ici par l'auteur comme la question la plus structurante pour l'avenir linguistique du monde. L'Union européenne n'est-elle pas massivement une machine qui carbure à l'anglais et favorise son rayonnement ? Dans ce contexte, pas étonnant que ces idées (Caroline Fourest, etc.) nous viennent directement d'une Europe sous forte influence anglo-saxonne.
    Je n'ai rien contre les langues locales mais elles doivent trouver au sein même des communautés qui les parlent la volonté d'exister. La question décisive n'est toutefois pas là, car tous les locuteurs des milliers de langues dont parle l'auteur devront maîtriser une autre langue de communication plus répandue. Or, l'hégémonisme anglo-saxon, nourrit à l'exceptionalisme américain, pour reprendre l'expression de Barak Obama dans son discours de début d'année, repousse le territoire des autres langues majeures. Dans la hiérarchie des risques, la possibilité de retrouver d'un coté 5000 langues locales et de l'autre l'anglais et le chinois avec rien entre les deux m'apparaît à terme moins souhaitable que le rayonnement concurrent de plusieurs langues majeures. Le véritable enjeu de l'écologie linguistique se situe à ce niveau.