Pour mieux reprendre l'initiative

1997


LeDevoir 13-14 décembre 1997

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Entendre et comprendre sont deux choses fort différentes. Ce week-end, on a tous entendu Jean Chrétien et Stéphane Dion nous dire que s'il y avait un OUI au prochain référendum, Ottawa négocierait avec le Québec. A condition qu'il y ait une «majorité solide», une «question claire» et qu'on ait surmonté «beaucoup d'autres obstacles».
On les a entendus. Mais on ne les a pas tous compris de la même façon. Certains médias titraient que le fédéral s'était «durci». D'autres, que MM. Chrétien et Dion ouvraient la porte à une négociation suivant un OUI. Qui dit vrai? Ceux qui ont senti le bâton du plan B ou ceux qui ont vu un petit bout de carotte?
Réponse: tout le monde a un peu raison. En effet, Stéphane Dion et Jean Chrétien semblent avoir ouvert la porte à une éventuelle négociation. Mais c'est une ouverture qui emprunte un ton impérial où toute négociation serait tenue sous des conditions imposées par Ottawa. En plus de vouloir rédiger la question, imposer un pourcentage plus élevé que le 50% plus un et ajouter d'autres «obstacles à surmonter», Stéphane Dion annonce maintenant que le fédéral et ses institutions resteraient actifs au Québec même s'il y avait un OUI. Certains y ont vu un appui du fédéral à la «période de transition» que le PQ propose depuis longtemps.
MM. Dion et Chrétien sont toutefois allés plus loin. Cette présence du fédéral, semble-t-il, se poursuivrait aussi le lendemain d'une déclaration dite unilatérale de souveraineté. On va donc nettement au delà d'une simple transition. Ce qui, d'ailleurs, serait compatible avec la résolution à saveur partitionniste que les libéraux fédéraux ont adoptée ce week-end: «Advenant une déclaration unilatérale d'indépendance, le gouvernement fédéral serait dans l'obligation de protéger les droits des citoyens qui souhaitent demeurer au Canada.» «On reste présent, disait Stéphane Dion, tant qu'il n'y a pas l'assurance que les Québécois veulent cesser d'être Canadiens.» Cette dernière phrase, moins sibylline qu'on le pense, semble aussi ouvrir la voie à un référendum fédéral au Québec pour défaire les résultats d'un OUI. N'en jetez plus, la cour est pleine!
Ce qu'il faut comprendre, c'est que tout ce charabia sert trois objectifs: déstabiliser le gouvernement Bouchard, occuper un espace maximal du discours public et persuader les indécis, les discrets et les nationalistes mous que l'accession à la souveraineté serait chargée d'embûches telles qu'il vaut mieux ne pas s'y engager. Le tout en vue de permettre à Ottawa de conserver l'initiative qu'il a su prendre depuis deux ans.
Bien sûr, tout cela est plutôt académique. Dès le lendemain d'un OUI, les Chrétien, Dion, Pettigrew et cie pourraient être occupés à se chercher du boulot plutôt qu'à imposer des conditions au Québec. S'ils perdent le référendum, les Canadiens anglais risquent de se débarrasser illico de leurs politiciens québécois qui seraient alors tenus responsables de cet échec. Les Canadiens anglais ne seraient tout de même pas assez fous pour laisser des Québécois négocier, en leur nom, avec le Québec!
Tout aussi académique qu'elle puisse être, l'approche dure à la Dion-Chrétien a néanmoins réussi à influer sur une partie de l'opinion québécoise. Ce qu'elle fait d'ailleurs depuis deux ans. Ce succès relatif du tough love fédéral fait qu'il est impératif de se demander ce que fait le camp souverainiste pendant qu'Ottawa, lui, met le paquet dans son plan B.
Même s'il accuse un inquiétant retard de deux ans, il semble bien qu'à Québec, il y ait un début d'éveil. Par exemple, l'idée d'un référendum sur le «statut de peuple», telle qu'avancée par le groupe de Pierre Drouilly, est née de cette constatation tardive voulant que les souverainistes aient perdu l'initiative, voire qu'ils aient dilapidé une partie du capital politique qui était le leur au lendemain du 30 octobre 1995. Cette idée n'était certes pas l'approche appropriée, mais elle avait au moins le mérite d'être une des premières idées concrètes à émerger de ce camp depuis longtemps.
Cela dit, l'épisode Drouilly comporte une précieuse leçon pour le gouvernement Bouchard. Si ce dernier s'était doté d'un véritable think tank souverainiste, on y aurait sûrement analysé cette même idée beaucoup plus en profondeur, ce qui aurait fait apparaître ses faiblesses intrinsèques. Bref, on aurait peut-être évité le cirque de la semaine dernière. Le problème, c'est que contrairement au fédéral, le gouvernement Bouchard, tout comme celui de M. Parizeau, n'a pas investi les ressources essentielles à la mise sur pied de véritables structures d'analyse et de réflexion.
En ne comptant que sur un personnel politique trop limité et occupé à la stricte gouvernance, en confiant l'analyse et la stratégie à un cercle restreint de conseillers qui, de surcroît, pilotent trop de dossiers à la fois, le gouvernement se prive de cette précieuse matière première que seraient des réflexions produites par des analystes souverainistes qui pourraient, individuellement, fournir aux décideurs des points de vue variés et novateurs. Aux stratèges et tacticiens s'ajouteraient des gens de contenu.
Ce serait peut-être là une manière de se donner les outils aptes à reprendre cette initiative tant convoitée. Et de le faire de manière réfléchie. Le fait est que sans un décloisonnement de la pensée, sans des idées et du sang neufs, le gouvernement Bouchard, parce qu'il en a plein les bras avec la gouvernance quotidienne, aura peine à trouver les moyens aptes à reprendre le terrain et le temps perdus. Si Ottawa a pu gouverner et défendre l'option fédéraliste en même temps, Québec peut sûrement faire de même pour la sienne.
En construction, on ne bâtit pas une maison solide sans les bons outils. En politique, on ne va pas loin si on ne se donne pas les moyens de comprendre les succès et les erreurs du passé pour mieux se donner une pédagogie sobde, réfléchie et tournée vers l'avenir.
On dit que c'est du choc des idées que naît la lumière. Pour mieux reprendre l'initiative, pourquoi ne pas se donner les moyens de le provoquer?


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