À Tout le monde en parle, Jacques Parizeau, maintenant à l'aube de ses 80 ans, a laissé tomber ceci avec son élégance habituelle: "Je quitte graduellement les choses..."
Qu'il l'ait dit par un 15 novembre - date marquant le 33e anniversaire de la première élection du PQ - ajoutait à la gravité symbolique du moment. Trente-trois années. Déjà. Deux référendums sur la souveraineté, un rapatriement unilatéral et deux échecs constitutionnels déterminants. Sans compter la mort de René Lévesque, Robert Bourassa et Pierre Trudeau, disparus dans le triangle des Bermudes de la "question constitutionnelle".
Pendant ce temps, Jacques Parizeau aura été, et demeure, l'indépendantiste impénitent et vacciné à vie contre la peur. Il fut et demeure impossible à acheter ou louer. Même pour Paul Desmarais, dont l'écurie de chefs politiques bien domptés est pourtant bien garnie. Un intellect exceptionnel et une force déterminée à créer ce foutu pays. Résultat: comme il le rappelle dans son nouvel ouvrage - La Souveraineté du Québec. Hier, aujourd'hui et demain -, seules 52 000 voix sur plus de 5 millions l'ont fait avorter en 1995. Dixit Monsieur: "61 % de ces francophones à qui on avait tenté depuis 30 ans de faire peur ont voté Oui." Une défaite. Mais aussi un progrès.
C'est pourquoi la "peur" est le véritable fil conducteur du livre. La "peur" ou, plus précisément, son recul. Cette peur qui paralysait une majorité de Québécois à la seule pensée d'une séparation. La peur de perdre ses épargnes, son emploi, sa pension de vieillesse ou même les Rocheuses! Lire ce livre, c'est comprendre le travail colossal ayant mené à ce début de recul de la peur.
Mais ce livre nous dit aussi que son inquiétude se tourne maintenant vers un nouveau phénomène: l'indifférence. Comme un goût de passer à "autre chose" face à cette reprise incessante des mêmes vieux refrains sans que RIEN ne change. Un Canada devenu impossible à réformer et une souveraineté qui n'arrive pas n'ont rien pour faire mousser la ferveur populaire! La question Québec-Canada fait figure d'escargot attardé face à ce monde qui ne cesse de changer à la vitesse grand V.
C'est pour cette raison que son livre ne s'adresse ni aux "convaincus" de la cause, ni à une classe fictive de l'ancien professeur des HEC. Je crois qu'il s'adresse plutôt à la suite du monde, comme on dit. À ces moins de 45 ans dont plus de la moitié passent lentement à "autre chose". C'est à eux que Monsieur parle ici.
Eux, qui ne se retrouvent pas dans des élites peu inspirantes et peu audacieuses. Alors que les plus de 45 ans, eux, ont déjà été portés par le leadership politique le plus dynamique que ce peuple ait jamais connu. Sans compter ce désir profond de concilier nationalisme et internationalisme, plutôt que de les opposer...
Ce livre parle donc aux plus jeunes de ces 33 dernières années. De ce qu'elles veulent dire. Il leur parle aussi d'environnement et de mondialisation. Il leur rappelle ce que le discours dominant cherche à leur faire oublier. Soit que l'État doit jouer un rôle actif parce qu'il demeure le seul vrai "protecteur" de chaque citoyen. Mais dans la mesure où il est démocratique et représente une société aux intérêts justement communs.
Il démontre que, contrairement à ce qu'avancent les Lucides, ces "déclinologues", le Québec n'est pas trop pauvre pour voir plus grand. Il leur montre qu'en politique, nul besoin de chercher les "complots". Il s'agit seulement de comprendre les "intérêts" en jeu. Comme lorsqu'il cite en exemple le "lâchage" du Québec par Nicolas Sarkozy. Un lâchage livré par reconnaissance envers son mentor Paul Desmarais père. Dont les intérêts d'affaires et l'anti-souverainisme légendaire s'en sont trouvés par le fait même récompensés.
À LA RECHERCHE DE LA RELÈVE PERDUE
Bref, ce livre est une ligne jetée à l'eau. Espérant nourrir une certaine réflexion tournée vers l'avenir. Pas seulement l'avenir du reste de la planète, de nos déchets et des ours polaires. Mais aussi le nôtre, ici. Ce livre rappelle donc aux plus jeunes que ce sont encore les hommes et les femmes qui font l'Histoire. Comme eux. Un jour.
À TLMEP, Jacques Parizeau fut incapable de nommer un seul leader d'ici "porteur d'espoir". "Nous sommes entre deux générations", disait-il, se demandant où sont passés les 30-40 ans. En fait, ce sont les 30-50 ans qui manquent à l'appel. Surtout les esprits plus indépendants, dont le principal handicap est de rebuter des élites frileuses au confort devenu un peu trop douillet.
Mais monsieur Parizeau connaît son histoire. Il sait qu'un jour, la nécessité les appellera. Mais il craint aussi, avec raison, qu'entre-temps, le goût de l'indépendance, si peu nourri, finisse par s'étioler. Sans tambour ni trompette. D'où cette ligne lancée à l'eau.
En refermant ce livre vivant, clair et beaucoup plus accessible que certains l'ont dit, je me suis rappelé les paroles musclées du jeune Jules Falardeau aux funérailles de son père Pierre: "(...) je m'adresse au Parti Québécois. Vous êtes censés être notre levier vers l'indépendance. Si vous ne la faites pas, vous n'avez aucune raison d'exister."
Mais Jacques Parizeau, l'œil encore et toujours tourné vers l'avenir, était quant à lui déjà rendu à la prochaine étape. Celle de l'appel à la relève. Avec ce livre, il lui passe tout simplement le témoin...
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