Jacques Parizeau a encore espoir de voir le projet souverainiste se réaliser. «Le jour où la souveraineté va de nouveau intéresser les gens, des leaders jeunes et intéressants vont émerger», dit-il. Photo: François Roy, La Presse
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Jacques Parizeau aura 80 ans en août prochain. L'approche de ce cap important l'a poussé à vouloir faire de l'ordre dans ses idées pour redonner à la souveraineté ce qui lui fait défaut depuis longtemps : du lustre et de la crédibilité. Nous l'avons rencontré cette semaine dans un hôtel de Montréal au lendemain du lancement de La souveraineté : hier, aujourd'hui et demain, un livre testament.
Le pas est lent, le souffle est court, les lèvres ont la sécheresse des vieux parchemins et la lune légendaire du visage est maintenant légèrement émaciée. À 79 ans, Jacques Parizeau n'est pas dans la meilleure des formes physiques. En revanche, son esprit et sa pensée sont aussi vifs et vigoureux que lorsqu'il était un conseiller de Jean Lesage en route pour la Révolution tranquille ou un jeune et fringant économiste qui avait la vie devant lui.
Notre rencontre a lieu au fond d'une salle à manger de l'hôtel Hilton. Pour s'y rendre, monsieur, qui a de plus en plus de difficulté à se déplacer même avec l'aide de sa canne, a dû traverser un couloir bondé de jeunes infographistes et informaticiens qui participaient au cinquième Sommet du jeu vidéo de Montréal et qui, à l'époque du référendum de 1995, devaient à peine avoir 10 ans. Leurs ordinateurs portables sur les genoux, le regard rivé sur l'écran, plusieurs n'ont même pas vu l'ex-premier ministre passer devant eux. Quelques-uns, cependant, dont quatre jeunes dirigeants d'entreprise, l'ont reconnu et sont venus le saluer en se disant honorés de le rencontrer. Même âgé et mal en point, Jacques Parizeau continue d'exercer une fascination sur bien des gens, y compris les jeunes.
En prenant place sur le fauteuil en face de moi sous les caméras et les réflecteurs de Cyberpresse, il se braque un instant, subitement inquiet que ses propos soient découpés, manipulés, cités hors contexte puis diffusés en boucle sur YouTube. L'homme par qui le scandale est déjà arrivé trouve qu'il a payé trop cher pour certains de ses propos. Cela l'a rendu méfiant et prompt à voir des pièges tendus partout.
Je le rassure tant bien que mal avant de le ramener à Gérard Parizeau, son père, à qui il a dédié La souveraineté du Québec : hier, aujourd'hui et demain.
Avec un titre pareil, on aurait pu s'attendre à ce que son auteur dédie le livre à ses enfants ou à ses petits-enfants, non? Jacques Parizeau voit les choses autrement.
«Mon père, raconte-t-il, a réussi le tour de force, dans un certain sens, de devenir un homme d'affaires important. Il a créé au Canada le plus gros bureau de courtage d'assurances indépendant au sens de non britannique ou américain. Et puis, à 70 ans, il s'est transformé en historien et a publié sept volumes en quelques années. C'est dire qu'il a combiné une vie d'action et une vie d'intellectuel. À cet égard, il a été un modèle toute ma vie. Vous savez, quand on est rendu à mon âge, on revient sur ses origines. On est plus conscient de ce qu'on a tiré de ceux qui sont partis avant nous. À 60 ans, oui, on pense à ses enfants et à ses petits-enfants, mais rendu à mon âge, on se demande de qui on tient tout ça.»
Participer à sa manière
Sur le plateau de Tout le monde en parle, dimanche dernier, Jacques Parizeau avait une voix émue et un sourire triste lorsqu'il a dit : «Je quitte graduellement les choses. I am on my way out.»
Je lui demande ce qu'il ressent à l'idée d'un jour quitter définitivement les choses sans avoir fait le pays pour lequel il s'est si âprement battu. «Je trouve ça dommage, évidemment, répond-il sans sentimentalisme. Ç'aurait dû se produire en 1995 et si ça c'était produit en 1995, aujourd'hui, on discuterait de choses fort différentes. Mais ça ne s'est pas fait. Alors au lieu de pleurer dans mon coin, j'essaie de participer encore à ma manière.»
Pourtant, pleurer est à la mode cet automne. Dans La donation, le cinéaste Bernard Émond pleure un Québec arrivé au bout de sa jeunesse, de ses ressources et de ses illusions. Dans la pièce La maison face au nord, chez Duceppe, Michel Dumont pleure le pays qu'il n'aura jamais. Lorsque j'évoque la noirceur qui se dégage de ces oeuvres, monsieur me rappelle que ce n'est pas parce que certains artistes broient du noir à la manière d'Ibsen ou de Kafka qu'il faut se laisser enfermer dans le noir avec eux.
Monsieur n'aime pas les gens qui se complaisent dans leurs problèmes - pas qu'il ne partage pas le sentiment d'échec de certains baby-boomers convaincus que le rêve de souveraineté mourra avec eux. «N'importe qui a participé autant que moi à la Révolution tranquille garde le sentiment d'avoir participé dans la vie à quelque chose d'extraordinaire. Je reste reconnaissant d'avoir pu vivre cela. Ça console de bien des choses.»
Consolé, plus optimiste que la moyenne des ours et refusant avec la dernière énergie de gérer la décroissance d'un idéal, voilà le Jacques Parizeau qui a voulu écrire un livre qui, à défaut de ranimer la flamme souverainiste, relancerait le débat, à tout le moins. Je lui demande qui a écrit ce livre. Le militant? L'économiste? Le premier ministre? Le prof? L'évocation de son passé académique le rend nostalgique. «Mon Dieu que j'ai aimé être enseignant, dit-il avec affection comme s'il voyait défiler les plus belles années de sa vie. Les journalistes ont souvent fait des blagues au sujet de mon style professoral. C'est vrai que j'aime ça, démontrer des choses, et que je n'aime pas beaucoup affirmer sans démontrer. Si je ne suis pas clair, je ne suis pas content. On ne change pas la nature profonde de Bernadette... Pour le reste, j'ai écrit ce livre pour faire réfléchir, mais sans prétendre que la souveraineté rend immédiatement intelligent ni qu'elle rend stupide. Dans ce sens-là, il ne s'agit pas d'un texte militant.»
Militant ou pas, les lecteurs du livre décideront. Pour le reste, ces mêmes lecteurs risquent d'être surpris de trouver nulle trace de Parizeau le polémiste dans ce livre. Cette absence a étonné plusieurs chroniqueurs politiques qui s'attendaient à ce que le réputé franc-tireur en profite pour régler ses comptes. Je fais part de leurs commentaires à monsieur, qui s'empresse de les contredire.
«Le côté polémiste de ma personnalité est une légende urbaine, s'écrie-t-il. À cause de quelques interventions publiques que j'ai faites sur des sujets délicats, on m'a donné une image de gros méchant loup. C'est grossièrement exagéré.»
Quinze minutes plus tard, il avouera pourtant : «Vous aurez remarqué qu'il n'y a presque aucun nom propre dans ce livre. Je ne voulais pas mêler des questions d'actualité politique, mais, surtout, je ne voulais pas faire un document polémique.»
Problème de crédibilité
Frappé par un sondage révélant que même si la majorité des Québécois pensent que la souveraineté est réalisable, seule une minorité croit qu'elle va se réaliser, Parizeau s'est dit que la souveraineté avait un problème de crédibilité. Il en énumère les raisons.
«Beaucoup de gens en 1995 ont été déçus de perdre par seulement 52 000 voix. D'autres se sont découragés. Puis il y a eu une longue période où on ne parlait plus de souveraineté, où elle n'était plus mise en valeur, et puis la vie a continué dans d'autres voies puisque celle-là était fermée. C'est normal que la situation soit ce qu'elle est, mais le défi, c'est de rétablir la crédibilité de l'option. Je pense que c'est faisable. Pourquoi? Parce que je l'ai déjà réalisé.»
Parizeau raconte qu'en arrivant à la tête du Parti québécois en 1988 après la première défaite référendaire, la ferveur souverainiste était vacillante. «Sur le plan international, c'était pire. Le premier voyage que j'ai fait en France, j'ai fait rire de moi. Pourtant, cinq ans plus tard, on a repris le pouvoir et sept ans plus tard, le référendum, on a failli l'avoir. Je sais que c'est encore possible de faire ça, mais seulement dans la mesure où on comprend pourquoi on fait ça, où on comprend les avantages, où on ne se contente pas de slogans ni de phrases creuses. Ça peut prendre un certain temps, il ne faut pas se faire d'illusions.»
Monsieur est le dernier à se faire des illusions. Tout comme il est le dernier à croire que la souveraineté a absolument besoin d'être portée par un leader charismatique à la René Lévesque.
«On pense trop au charisme et pas assez à la décision. Le charisme est important, mais mon Dieu, vous ne pouvez pas construire un pays sur de belles images et quelques discours. Je suis très intéressé par la génération des 35-40 ans, un groupe de gens qui font des carrières remarquables à titre individuel. Et ne venez surtout pas me dire qu'ils ne veulent pas se battre pour la souveraineté, moi non plus, je ne le voulais pas quand j'étais un jeune économiste... Le jour où la souveraineté va de nouveau intéresser les gens, des leaders jeunes et intéressants vont émerger», affirme-t-il avec conviction.
Le temps file. Une dernière question peut-être sur ce pays qui n'a jamais existé et dont l'absence a souvent été le moteur de la créativité, du dynamisme et de l'ambition des Québécois. En d'autres mots, qu'est-ce qu'un pays peut apporter de plus aux Québécois qu'ils n'ont déjà? Un grand sourire illumine le visage fatigué de monsieur : «C'est exactement la question que je pose dans mon livre et à laquelle je tente de répondre. Quand on y pense bien, la souveraineté, c'est quoi finalement? C'est être responsable de soi-même.»
Son imperméable sur le dos, sa canne sous la main, Jacques Parizeau s'éloigne, conscient que la route devant lui est courte, mais encore rempli d'espoir pour le temps qui lui reste.
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