JACQUES PARIZEAU - «Un renouvellement s'impose»

Parizeau relance le projet de souveraineté

Mathieu Turbide - Constatant que les péquistes ont «cessé de réfléchir à la souveraineté», l'ex-premier ministre du Québec Jacques Parizeau, qui approche les 80 ans, a décidé de faire lui-même le travail en publiant un livre dont l'objectif clair est de paver la voie à un troisième référendum sur la souveraineté.
Le livre, simplement intitulé La Souveraineté: hier, aujourd'hui et demain, sera en kiosque dès aujourd'hui.
Sans contenir de véritables surprises, le texte de M. Parizeau comporte quelques flèches bien senties à l'endroit de ses cibles préférées: le milliardaire Paul Desmarais, les médias, notamment Radio-Canada et La Presse et même son successeur, Lucien Bouchard.
L'ex-chef du Parti québécois adresse aussi des critiques aux dirigeants du mouvement souverainiste actuel, sans toutefois nommer directement ni Pauline Marois, ni Gilles Duceppe.
«Un tel renouvellement s'impose. Les deux partis indépendantistes sont de centre gauche. Comme tous les partis progressistes d'Occident, ils doivent repenser leurs rapports avec le syndicalisme, avec le capitalisme d'État, bloquer les dérives vers la défense des droits acquis qui finissent par aboutir à des formes de corporatisme, accentuer la défense des plus fragiles, s'adapter à la mondialisation.»
En entrevue hier à l'émission Tout le monde en parle, à la SRC, il en a remis. «La mouvance souverainiste a besoin de réfléchir à nouveau. Il est temps qu'on cherche à définir le pays qu'on veut», a-t-il dit.
Le déficit zéro: un dogme
À son avis, les souverainistes ont cessé de réfléchir à l'indépendance peu de temps après le référendum de 1995, alors que Lucien Bouchard était premier ministre et qu'il a fait de l'atteinte du déficit zéro sa priorité.
«Cette priorité, qui devient rapidement un dogme, occupe à peu près toute la place du débat public pendant plusieurs années», écrit-il.
Jacques Parizeau croit donc qu'il faut remettre l'idée de souveraineté sur la table. L'option souverainiste, écrit-il, est plus que jamais nécessaire dans le contexte de la mondialisation.
Une bonne partie du livre de 254 pages est consacrée à l'explication de la pertinence, toujours actuelle à ses yeux, du projet d'indépendance du Québec. Puis à l'analyse de la viabilité économique d'un Québec souverain.
Sarkozy et Desmarais
À ce sujet, il prend plusieurs pages pour s'attaquer à la sortie récente du président français Nicolas Sarkozy, qui a pris position clairement en faveur d'un Canada uni. À son avis, le président Sarkozy a fait ses déclarations pour «faire plaisir à son grand ami», le financier Paul Desmarais.
«Il faut lire les propos dithyrambiques avec lesquels le président français souligne les services que Paul Desmarais a rendus, non pas à la France, mais au nouveau président. La reconnaissance de l'un à l'égard de l'autre va complètement bouleverser la donne des rapports entre le Québec, la France et le Canada», écrit-il.
Extraits du livre La souveraineté du Québec: hier, aujourd'hui et demain
Sur ce qui arriverait après une victoire du Oui au référendum
«C’est pourquoi il est tellement important que le mouvement souverainiste élabore les programmes de gouvernement d’un Québec indépendant avant même de prendre le pouvoir. Il faut tirer les leçons de 1995.»
Sur la question identitaire
«Dire "nous" en parlant des Québécois est devenu suspect. Peut-être ce "nous" exclut-il les anglophones, les immigrants de fraîche date, les musulmans? Peut-être est-ce la preuve que le Québécois de souche, bien sûr, est raciste? La Commission Bouchard-Taylor, dont toutes les audiences publiques ont été diffusées aux heures de grande écoute à la télévision de Radio-Canada, a été un exercice de provocation. Dans un pays moins placide, cela aurait pu mal tourner.»
«Les anglophones de souche ont des droits acquis qui n’incluent pas le droit d’angliciser les nouveaux arrivants.»
«Les Québécois acceptent sans difficulté, je pense, qu’un Québécois est celui qui veut l’être. Quant à celui qui ne le veut pas, on n’a pas le choix. La Charte des droits s’applique à lui aussi.»
Au sujet de la gauche souverainiste
«Les deux partis indépendantistes sont de centre gauche. Comme tous les partis progressistes d’Occident, ils doivent repenser leurs rapports avec le syndicalisme, avec le capitalisme d’État, bloquer les dérives vers la défense des droits acquis qui finissent par aboutir à des formes de corporatisme, accentuer la défense des plus fragiles, s’adapter à la mondialisation.»
Au sujet de Paul Desmarais (propriétaire de Power Corporation et de La Presse)
«Milliardaire, ce dernier (Desmarais) a fait sa fortune grâce à un sens prodigieux de ce qu’il faut acheter à temps et vendre à temps. Ce n’est pas vraiment un entrepreneur, mais plutôt un grand financier. La politique le fascine. Fédéraliste convaincu, il lutte depuis toujours contre le mouvement souverainiste. S’il a commencé sa carrière au Québec (même s’il vient d’une petite ville de l’Ontario), il va se débarrasser assez tôt de tous ses intérêts québécois sauf les journaux et un immense domaine, Sagard, dans le comté de Charlevoix.»
Au sujet de la relation entre Paul Desmarais et Nicolas Sarkozy
«Il faut lire les propos dithyrambiques avec lesquels le président français souligne les services que Paul Desmarais a rendus, non pas à la France, mais au nouveau président. La reconnaissance de l’un à l’égard de l’autre va complètement bouleverser la donne des rapports entre le Québec, la France et le Canada. En quelques mois, le président Sarkozy, pour faire plaisir à son ami, va tellement en rajouter, que le premier ministre du Québec, tout fédéraliste qu’il soit, va être forcé de calmer le jeu et, au fond, de désavouer l’exubérant président. Quant à Paul Desmarais, après sept pages d’entrevue dans l’hebdomadaire français Le Point, il va revenir à sa place, celle qui consiste à tirer les ficelles sans faire de vagues.»
À propos des médias
«Quelques mois avant notre référendum de 1995, la Slovaquie devient tout à coup l’objet d’une curiosité vorace de la part des plus grands noms des médias canadiens et québécois. [...] Tout ça pour dire aux Québécois: «Méfiez-vous, regardez vers quel gouffre on veut vous entraîner.» [...] Par la suite, la Slovaquie disparaît de nos médias comme par enchantement. Sa vie utile pour la cause fédéraliste est terminée. [...] En 1995, le taux de croissance de la Slovaquie, en termes réels, a été de 7 %, un des plus élevés, sinon le plus élevé de tous les pays d’Europe. [...] En somme, tout ce qu’on nous a laissé entendre est faux. Mais cela après tout n’a pas d’importance… Ce qui compte essentiellement, c’est que le Non l’emporte au référendum de 1995.»
Il propose une deuxième assemblée, celle des régions: «Une seconde chambre, qui pourrait s’appeler l’Assemblée des régions, serait constituée d’un nombre de représentants égal à celui des députés élus directement par les comtés, soit 75. [...] Cette assemblée aurait à examiner l’impact régional de la législation et du budget. Elle aurait le pouvoir de proposer des amendements à l’Assemblée nationale sur tout ce qui a un impact régional, mais un pouvoir de veto sur certaines dispositions essentielles à la vie des régions. Par exemple, les budgets des universités autres que celles de Montréal et de Québec [...] L’important dans cette opération, c’est qu’on atténue l’opposition entre Montréal et les régions.»
Au sujet de la mondialisation et du projet souverainiste
«Je pense qu’au contraire, la mondialisation rend plus nécessaire que jamais le rôle traditionnel de l’État-nation. Face aux menaces, aux abus, aux dérives que, au-delà d’indiscutables avantages, la mondialisation entraîne, le citoyen ne dispose vraiment que d’un seul protecteur: l’État.»


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