OUI, tournons la page !

Le passé qu'on a cru oblitéré n'en finit plus de hurler sa vérité

IDÉES - la polis



Entre Canadians et Québécois, le fossé s'élargit, la tension augmente et l'avenir s'assombrit. Les discours se multiplient. Les gestes des uns et des autres semblent ne plus converger vers des objectifs partagés. Comment saisir l'essentiel de ce que nous sommes, à travers l'épaisseur des choses et des événements ?
(...)
Ainsi, imaginons, comme le suggère Paul Ricoeur (dans un livre dont malheureusement j'ai oublié le titre et que je cite de mémoire) que nous sommes à la place de ce voyageur assis dans un train qui file à haute vitesse. Que voyons-nous?
Au premier plan, les choses défilent à toute allure. Elles se fondent dans une espèce de chaos. C'est le lieu de la confusion. Trop vite, trop proche. Difficile de séparer ce qui se donne ainsi dans des formes mélangées. Au fil des jours, dans le brouhaha de l'actualité, les paroles, les gestes, les actions ne révèlent pas aisément leur sens. Tout paraît insaisissable. Au mieux, problématique. Ces discours sont des opinions parmi bien d'autres; elles ne se laissent pas comprendre facilement. Qui a tort, qui a raison? Où nous conduisent les stratégies bouchardiennes? Où va le peuple québécois ? Problème !
Au second plan, le paysage se laisse saisir dans ses contours - une rivière ici, un mont là, un village, des campagnes. Cela passe, mais moins vite. L'esprit a meilleures prises, et les mots peuvent se lier aux choses, mobiles mais saisissables. Le paysage que j'aperçois, c'est celui du différend Québec-Canada. Paysage accidenté, aux contrastes violents. De mers et de rivages. De rocs et de vagues se heurtant violemment, inlassablement... Depuis 30 ans, le Québec, conférence constitutionnelle après conférence constitutionnelle, référendum après référendum, exige une place dans la fédération canadienne... qui, indifférente, sûre de son bon droit et de sa force, la lui refuse.
Sûre? Pas tout à fait. Elle frissonne encore, cette fédération, du choc de 1995. Elle réagit. Elle tente par tous les moyens de renforcer la place et d'empêcher que ne se reproduise le choc référendaire québécois.
Par tous les moyens! Par exemple, en confondant la question politique avec une question juridique. En invoquant des procédures juridiques (Renvoi, C-20) pour imposer des obstacles infranchissables à la volonté politique du peuple québécois. La majorité qualifiée est l'une de ces procédures. Peut-on comprendre qu'elle puisse être soutenue, comme vient de le faire sournoisement Claude Ryan, qui associe furtivement le «principe démocratique» avec "au plus" la «majorité des électeurs inscrits», comme si cela coulait de source? Ah! le vieux sacripant... qui ne craint pas de se contredire en forçant des conclusions mal ficellées au principe.
Par exemple, l'exigence d'un «large consensus» de la société québécoise qu'on sait divisée sur la question... comme toute société complexe est divisée sur une question aussi complexe qu'une question constitutionnelle.
Ces moyens s'inscrivent dans une stratégie d'obstruction et de contrainte qui prend tantôt le visage d'une agression contre nos chefs politiques, contre la qualité de nos institutions et de nos moeurs démocratiques, tantôt le visage d'une accusation à propos nos pseudo-penchants racistes et intolérants (on se souvient du Saturday Night et du «nettoyage ethnique par attrition»: "In Vieux Quebec, ethnic cleansing occurs by attrition "...), ou encore celui de la négation de notre statut de peuple (combat incessant des citélibristes) et de notre droit à la libre détermination de notre avenir politique, etc.
Je vois ces faits et ces gestes prendre un certain sens, s'inscrire dans une certaine «structure de sens». Dans une certaine logique. Mais il me faut aller plus loin. J'ai besoin de comprendre pourquoi les choses en sont arrivées là. Il me faut un cadre plus stable dans lequel les choses prennent sens, invariablement, les choses qui disent le passé, qui fécondent le présent et discernent l'avenir. Un cadre où mes souvenirs et mes projets convergent, où ma conscience, présente à elle-même, connaît sa liberté, sûre qu'elle est de ses choix, dans un présent qui lui appartient.
Au troisième plan, sur la ligne d'horizon, tout semble immobile: une chaîne de montagnes, un bord de mer, un désert, les grandes steppes, un large fleuve. Les choses durent, elles restent égales à elles-mêmes. Et l'esprit contemple. Et dit. Sur la ligne d'horizon du temps, je saisis enfin le sens plein de ces stratégies. J'observe au fond de notre histoire le principe même de la crise de la fédération canadienne. Je vois la Grande fracture: la Conquête de 1760. Je mesure toute l'ampleur des dégâts.
Une société conquérante s'est implantée à côté d'une autre, conquise, qu'elle a cherché, par tous les moyens, à détruire, en l'assimilant; puis, devant son échec, elle a cherché à la subordonner à ses intérêts. Une subordination à laquelle elle a donné le visage du fédéralisme, ne pouvant ouvertement lui prêter celui de l'État unitaire, mais y rêvant toujours...
Entre Canadians et Québécois, il y a cela qui ne passe pas !
C'est le point immobile de nos rapports. La donnée historique de fond. «La relation entre la France et le Québec a porté longtemps la marque d'un drame fondateur, vieux de plus de deux siècles mais dont le souvenir s'est perpétué dans les esprits.» (Lionel Jospin, 1998). Aujourd'hui même, dans le Boston Globe: «Once the jewel in the crown of France's New World empire, Quebec was conquered by the British in 1759, eventually thrust into unhappy confederation with English-speaking Canada, and has twice since 1980 sought to break free by democratic means - most recently in 1995, when Bouchard's secessionists won 49.4 percent of the vote in a referendum on independence.»... Telle est la ligne d'horizon de la crise canadian. Ignorer cela, comme le suggère le mari de la gouverneuse générale du Canada, au nom des «trajectoires subjectives», c'est masquer le sens des choses, c'est divertir l'esprit de l'essentiel, c'est abuser et s'abuser...
La guerre de Sept ans est terminée depuis longtemps. Mais le germe qu'elle a planté n'a pas encore produit tous ses fruits empoisonnés. L'emprise coloniale britannique, puis canadian, ne s'est pas desserrée. Le peuple québécois n'a pas encore assuré les conditions de sa survie. Bien au contraire. Il est aujourd'hui menacé plus que jamais, nié qu'il est, dans son existence même, par son partenaire-rival qui, persistant dans l'ancien dessein, tente de le réduire à l'état de «minorité régionale et linguistique», tout récalcitrant soit-il à ce destin imposé par "l'autre majorité".
Et parmi ces menaces, on trouve les exigences anti-démocratiques du gouvernement Chrétien, qui continue à distiller d'une mer à l'autre, au nom de la démocratie, du droit et des valeurs supérieures de l'éthique fédéraliste, un faux-discours de grandeur, de tolérance et de réconciliation. La solidarité entre Canadians et Québécois serait une valeur si fondamentale, tellement supérieure, qu'un Stéphane Dion se croit en droit de l'imposer... fût-ce aux dépens de la liberté elle-même. C'est ce qu'il fait en recourant au principe de la majorité qualifiée... Il bloque la liberté de notre peuple!
C'est que notre ministre a intégré la morale du vainqueur. Il a choisi le camp de l'oppresseur.
L'examen de la question constitutionnelle canadienne, à ces trois niveaux de réalité, révèle donc très "clairement" qu'entre Canadians et Québécois, les jeux sont faits. Le passé qu'on a cru oblitéré n'en finit plus de hurler sa vérité. Il n'y a plus d'entente possible. Depuis 1982, toutes les chances du Canada se sont épuisées. Il faut vraiment «tourner la page»!...
Faisons la bonne lecture des choses. L'amitié s'est dissoute dans la rivalité. Et la confiance aussi. Reste la séparation de ce qui ne peut s'harmoniser spontanément.
Le salut est dans le retour chez soi. Là seulement sont assurées la liberté d'être soi et la possibilité de s'ouvrir à l'autre, dans la confiance et le respect.
Ne nous laissons pas abuser par les arnaqueurs professionnels du discours culpabilisant, ni par les manipulateurs des symboles et des procédures civilisées. Nous sommes! Voilà la réalité. Et nous sommes libres de nos choix....
C'est en portant notre regard sur les trois plans de notre histoire que notre esprit demeurera ferme dans les décisions qui ouvriront notre avenir sur un chapitre nouveau, rempli du bonheur d'être enfin soi-même.
Bernard Frappier

Vigile

23 avril 2009

réédition du texte du 7.4.00

(Texte du 8 mars 1999 remanié)

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Fondateur, directeur et animateur de Vigile.net de 1996 à 2012.

Récipiendaire de la médaille Bene Merenti de Patria de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal, 2012.

« Bernard Frappier a réalisé une oeuvre d’une importance capitale dans le destin du Québec. Contre ceux qui voudraient effacer la mémoire de la nation, il a créé Vigile, grand phare et lieu de débat incomparable. » - Bernard Desgagné





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1 commentaire

  • Laurent Desbois Répondre

    23 avril 2009

    Contant de te revoir en écrit!!!!