Le blogue de Josée Legault

Option nationale: le levain dans la pâte?

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Un nouveau souffle?

Jacques Parizeau a toujours eu le don de la métaphore. Quoique, l’image qu’il utilisait pour décrire Option nationale (ON) à son premier congrès était en fait tirée d’une parabole bien connue.
Dans un discours fort attendu, l’ex-premier ministre disait souhaiter voir ce nouveau parti devenir le «levain dans la pâte» du mouvement souverainiste en lui communiquant son enthousiasme, de même que la clarté et la modernité de son discours.
Bref, qu’il le fasse lever…
Il faut dire que le parti créé en 2011 par l’ex-député péquiste Jean-Martin Aussant compte déjà près de 8 000 membres dont la moyenne d’âge frôle à peine les trente ans et le profil, hautement scolarisé, compte aussi de nombreux professionnels. Son conseil national de direction de 16 personnes compte également des membres d’origines diverses.
Le samedi, une des candidates au conseil national – Béatrice Zako, originaire de la Côte d’Ivoire – a d’ailleurs livré un bref discours qui souleva la salle :
Québécoise et fière de l’être. (…) J’ai eu deux enfants ici. Le Québec est leur patrie, leur pays et c’est mon pays. (…) Regardez notre chef, regardez les candidats qui se présentent à vous, regardez-vous, les militants. Quelle énergie! Quelle intelligence! Quel avenir! (…) je veux donner un pays à mes enfants. J’ai hâte de changer mon passeport canadien contre un passeport québécois!
Jeune et en ascension
Le double choix très stratégique d’y recevoir la bénédiction publique d’un Jacques Parizeau et de tenir ce premier congrès dans la grande salle du Palais des congrès de Montréal avec un bon 1 000 participants, aura fortement contribué à l’image d’un parti jeune et d’une formation en pleine ascension. Et ce, ironiquement, malgré la défaite électorale de son chef, le 4 septembre dernier.
Pour ce qui est de la communication et de la mobilisation politiques, ON semble savoir y faire…
Par contre, pour le Parti québécois, cette même présence de Jacques Parizeau et d’autant de jeunes souverainistes au congrès fondateur d’un de ses compétiteurs nés de l’initiative d’un de ses propres ex-députés, c’est une moins bonne nouvelle.
D’autant que le discours de Jean-Martin Aussant vise à démarquer de plus en plus la marque de commerce de son parti de celle du PQ.
Sa méthode? Présenter son parti comme celui qui propose une promotion plus proactive et positive de la souveraineté; une question «claire» si prochain référendum il y a un jour;, un argumentaire plus structuré sur les avantages économiques de l’indépendance; un nationalisme moins porté sur les questions identitaires et des positions plus cohérentes sur la question linguistique, dont l’application de la Loi 101 au niveau collégial.
Le chef d’ON et ses membres ont beau insister pour dire que leur parti n’a pas été créé «contre» le PQ, l’impression qui se dégageait au congrès était que pour eux, le PQ manquait sérieusement le bateau de l’avenir. Encore plus, depuis le 4 septembre…
Vu comme un «vieux» parti de pouvoir «comme les autres» et dont les décisions sont de plus en plus prises à des fins électoralistes, le PQ n’y avait vraiment pas bonne presse…
Que ce soit sur l’indexation des frais de scolarité au lieu d’un gel ou sur l’imposition de compressions-surprises à l’aide sociale, ce qui se disait du gouvernement Marois dans la salle et les corridors était plutôt critique.
En point de presse, tout en lançant qu’ON est«le vrai parti souverainiste avec un message clair», Jean-Martin Aussant réagissait en ces termes aux compressions à l’aide sociale:
Pour un parti qui se dit social-démocrate, ça se détache un peu d’une autre racine du Parti québécois. Il y avait la souveraineté et la social-démocratie qui définissait ce parti-là avant, et on peut se demander maintenant si ce n’est pas simplement une alternative de gestion provinciale aux libéraux.
Quelques minutes avant, en discours de clôture, il s’était fait encore plus cinglant. Rappelant qu’il avait quitté le PQ en juin 2011 parce qu’il n’y voyait plus de volonté claire de faire la souveraineté, il ajoutait qu’il y avait également vu ::
(…) un parti axé vers les calculs stratégiques professionnels, politiciens, opportunistes, pour améliorer son score aux élections avant de se poser la question «qu’est-ce qui est bon pour l’intérêt collectif?».
Jacques Parizeau parle d’une autre vision aux militants de ON…
En juin 2011, Lisette Lapointe, épouse de Jacques Parizeau, démissionnait du caucus péquiste avec Pierre Curzi et Louise Beaudoin. La démission-choc de Mme Lapointe scellait en fait un divorce politique définitif entre M. Parizeau et la chef péquiste. Un tel divorce envoyait un message plutôt inquiétant à la base militante du PQ.
Si, depuis, Louise Beaudoin est revenue au bercail tout en marrainant son successeur Jean-François Lisée dans le comté de Rosemont, Mme Lapointe et M. Curzi étaient quant à eux au congrès d’Option nationale en compagnie, notamment, d’un autre ex-député péquiste notoire, Camil Bouchard.
En s’exclamant «quelle belle salle!» en guise d’ouverture à son discours, Jacques Parizeau confirmait en quelque sorte que ce divorce ne serait pas suivi de sitôt d’un remariage…
S’il prenait la peine de rappeler qu’il est «membre à vie» du PQ et que l’y connaissant bien, «ils ont collé ma carte de membre à vie sur un morceau de bois, si bien que je ne peux pas la déchirer», il pesa surtout ses mots pour insister que s’il était présent au premier congrès du PQ en 1969, il se retrouvait aujourd’hui «devant un autre congrès fondateur». «Dans un certain sens, ça me rajeunit!», lança-t-il avec plaisir.
Puis, souhaitant à Jean-Martin Aussant et à ON d’«avancer longtemps et rapidement», il faisait sienne la fameuse phrase de Jean-Paul II – «n’ayez pas peur!» – ajoutant à la blague que son message était «en quelque sorte pontifical»: «n’ayez pas peur de vos rêves et des obstacles qu’on va mettre dans votre chemin».
L’ex-chef péquiste décrocha ensuite quelques flèches bien senties dans la direction du gouvernement Marois.
Certaines de ses observations, il les avaient d’ailleurs déjà faites à Lucien Bouchard et Bernard Landry du temps où ils étaient au pouvoir. S’adressant directement au gouvernement Marois, il lançait tout haut ce que bien des souverainistes, de même que des membres et des députés du PQ, pensent tout bas. Soit que:
Ça fait 15 ans que j’entends, maintenant, les chefs successifs du Parti québécois au pouvoir dire qu’on ne peut pas utiliser les fonds publics pour promouvoir la souveraineté. Ah? Si vous ne voulez pas utiliser les fonds publics pour promouvoir la souveraineté, pourquoi êtes-vous là? Il faut avoir des idées claires sur ces choses-là. Si on se fait élire pour réaliser la souveraineté du Québec, on ne peut pas rester neutre par rapport à l’appareil gouvernemental. Il faut l’orienter par rapport aux objectifs qu’on a. Évidemment, comme premier ministre, j’en ai dépensé de l’argent. Et comment! Et comment! Moins que le fédéral, par exemple…
Critiquant le refus de Mme Marois d’investir le moindre dollar public dans la promotion de son option – s’il ne l’a pas mentionné dans son discours -, il aurait pu aussi rappeler une déclaration récente du ministre de la «Gouvernance souverainiste», Alexandre Cloutier. Étonnamment, il s’enorgueillissait du fait que sous le gouvernement Marois, pas un seul fonctionnaire ne travaillait au dossier de la souveraineté…
À l’opposé, le PLQ, une fois au pouvoir et donc, ayant, lui aussi, la légitimité pour le faire en tant que gouvernement – qu’il soit majoritaire ou minoritaire -, n’a jamais hésité a investir des fonds publics, à mobiliser ses ministres et l’appareil gouvernemental, pour tenter de faire avancer son option constitutionnelle.
Jacques Parizeau est aussi revenu sur l’absence de préparation au PQ pour un éventuel référendum. Autant sur le plan interne, international que sur celui des droits fondamentaux dans un Québec, dit-il, «débarrassé de la Cour suprême».
Même constat pour ce qu’il appelle l’approche «comptable» de l’indépendance et de la gouvernance : «si on laisse les comptables gagner, comme ils le font depuis des années, on ne pourra plus rien faire!».
Peur et désinformation
Dénonçant le discours de «peur» et de «désinformation» sur un Québec dangereusement endetté au point d’imposer à nouveau de difficiles compressions et ce faisant, de créer l’image d’une indépendance trop «risquée» pour les finances publiques, Jacques Parizeau s’est alors adressé à Stéphane Bédard, président du Conseil du trésor :
Quand j’ai entendu le président du Conseil du trésor déclarer récemment que si l’on ne faisait pas les coupes demandées, le Québec deviendrait l’équivalent de la Grèce ou de l’Espagne, là, j’ai pété une fuse!
Comme le rapportait ici le Journal de Montréal, M. Parizeau a ensuite pris plaisir à remettre quelques pendules à l’heure sur la question controversée de la dette trop souvent utilisée comme prétexte à des coupures mur-à-mur :
«Ça m’énerve depuis longtemps. C’est une énorme supercherie», dit-il. Le gouvernement du Québec est le seul au Canada à présenter sa dette à l’état brut, sans en déduire les actifs dont il dispose, signale celui qui a été premier ministre en 1994 et 1995.
«C’est comme quelqu’un qui présente son bilan personnel et qui montre son hypothèque sans tenir compte de la valeur de la maison. Personne n’utilise sa dette brute, c’est idiot pour un individu et pour un gouvernement» (…)
Ainsi, la dette brute du gouvernement du Québec s’élève à 183 milliards $. «Si on utilise l’expression de la dette utilisée par le fédéral, l’Ontario et l’Alberta, la dette du Québec est à 114 milliards», corrige l’ancien professeur d’économie.»
Sa conclusion sur le sujet: «il faut arrêter cette tentative de convaincre le Québécois, comme on le fait depuis si longtemps, que c’est un pas bon, qui est pris dans un étau, qu’il pourra jamais s’en sortir. C’est pas vrai.»
Puis, sortant sa parabole du «levain dans la pâte» et faisant référence au PQ en termes à peine voilés, il s’adressait aux membres d’ON en ces mots :
Face à des gens souvent fatigués, souvent apeurés, souvent un peu désorientés aussi, vous arrivez dans le portrait souverainiste avec de l’enthousiasme, de l’ambition, des idées claires. Et si tant est que votre enthousiasme se propage graduellement dans les milieux souverainistes, à partir de ce moment-là, une entente de tous les souverainistes deviendra possible. Et ça aura été votre œuvre!
En d’autres termes, M. Parizeau semble espérer que si ON prend suffisamment d’expansion dans les prochaines années et conserve un discours aussi différent de celui du PQ, cela pourrait obliger ce dernier à s’ajuster politiquement en conséquence par le biais, entre autres, d’une alliance tactique… Dans la mesure où la direction actuelle du PQ refuse obstinément d’envisager la moindre alliance tactique pré-électorale avec les deux autres partis souverainistes – ON et Québec solidaire.
L’An deux
Avec ce premier congrès – lequel ne fut pas sans incohérences dans le vote de certaines propositions, ni sans heurts et désaccords exprimés dans la salle quant à l’application des statuts et règlements -, Option nationale enclenche sa deuxième année d’existence avec presque 8 000 membres et un budget qui, dépendant du scénario envisagé, pourrait osciller entre 500 000$ et 800 000$.
Maintenant que ses membres lui ont donné un vote de confiance de 97% et lui ont voté, très publiquement, un salaire équivalent à celui d’un député de l’Assemblée nationale pour s’occuper de son parti à temps plein, pour Jean-Martin Aussant, le premier défi sera d’établir ON dans la perception populaire comme «un des cinq partis nationaux» au Québec – pour reprendre sa propre expression…
Son second défi sera de préparer le terrain pour recruter de nouveaux appuis. Non seulement chez des électeurs péquistes déçus du gouvernement Marois, mais aussi en tentant de séduire des électeurs souverainistes désengagés de la chose publique de même que les plus jeunes à la recherche d’une option partisane à laquelle ils pourraient s’identifier.
Pas le choix, en fait, Le gouvernement Marois étant minoritaire, le temps court déjà pour ON d’ici la prochaine élection.
S’il relève ces défis ne serait-ce qu’en partie, au PQ – déjà grugé à sa gauche par Québec solidaire -, l’inquiétude risque d’être de mise à la prochaine campagne électorale. Du moins, si Option nationale réussit à lui prendre une partie de ses appuis sur les questions de l’indépendance et du renouvellement de la classe politique.
Espérant y arriver, Jean-Martin Aussant annonçait que ce sera l’année de la «consolidation», de la «relève, de la chasse aux candidats et de nouveaux «porte-parole» qui l’accompagneront dans des sorties médiatiques plus fréquentes lui permettant de réagir aux actualités du jour et aux positions du gouvernement.
Pas le choix, non plus. Il devra identifier un comté pour se présenter au prochain scrutin. En point de presse, celui d’Hochelaga-Maisonneuve semblait faire partie des possibilités. Une inconnue: ON et Québec solidaire conserveront-ils ou non leur pacte mutuel de non agression en période électorale?
Un nouveau souffle?
Lorsque Jacques Parizeau souhaite voir ON devenir le «levain dans la pâte» du mouvement souverainiste, en fait, il dit essentiellement trois choses.
Primo : qu’à son avis, le PQ manque sérieusement de levain depuis le dernier référendum.
Secundo : que les effets de ces dix-sept années d’inaction sur ce front politique font que pour la souveraineté, le temps presse.
Tertio : comme le temps presse, il semble néanmoins déceler une pointe d’espoir chez Option nationale, son jeune chef et la jeunesse aussi enthousiaste que scolarisée de ses membres.
Qu’à l’instar de l’ancien premier ministre, Jean-Martin Aussant soit un souverainiste convaincu tombé dans la marmite de l’économie et qu’il soit bardé de diplômes en administration des affaires, actuariat, économie des affaires, sciences économiques et analyse économique, n’y est sûrement pas étranger non plus.
Les plus jeunes au Québec savent-ils vraiment qui étaient ces deux hommes? Et les plus vieux s'en souviennent-ils encore?...
Qu’en plus, le congrès d’Option nationale ait eu lieu en même temps qu’ailleurs, à Montréal, d’autres marquaient le 50e anniversaire de fondation du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) par, entre autres André D’Allemagne – un penseur et intellectuel d’avant-garde auquel se joindra Pierre Bourgault, certes le plus grand tribun de l’histoire moderne du Québec -, a sûrement dû paraître à M. Parizeau comme le plus heureux des hasards…


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