Nordiques : opération résurrection

Pour les plus jeunes, sachez que pendant près de 20 ans les matchs Canadien-Nordiques ponctuaient nos hivers comme autant de tempêtes du siècle.

Quand le sport devient politique

Je suis tombé l’autre jour, par hasard, sur un chandail des Nordiques. Je l’ai acheté, pour les séances d’entraînement de hockey de mon fils, qui aura bientôt six ans. Mais bon, il m’a donné une bouffée de nostalgie, ce chandail avec le grand « N » et les fleurs de lys. Et un peu de remords, aussi.

J’étais au cabinet du premier ministre quand la tentative de sauvetage des Nordiques par Marcel Aubut a échoué. Je n’étais pas chargé du dossier. J’avais suivi la chose de loin. Jacques Parizeau avait fait un effort louable, mais chacun sentait l’échec inévitable. Et fallait-il vraiment, après son départ de Québec pour Denver, en 1995, que l’équipe se venge en remportant, dès l’année suivante, la coupe Stanley ?

Pour les plus jeunes, sachez que pendant près de 20 ans les matchs Canadien-Nordiques ponctuaient nos hivers comme autant de tempêtes du siècle.
Chacun retenait son souffle. Pendant les retransmissions, les rues étaient désertes. Les billets, hors de prix. Cela attisait la rivalité Québec-Montréal ? Pas du tout, cette rivalité gît dans le code génétique des deux villes. Mais cela la canalisait, lui offrait un exutoire. Et au moins, sur la glace, en fin de troisième période ou de prolongation, on savait clairement qui avait gagné, qui avait perdu, jusqu’à la prochaine fois.

Les Nordiques ont survécu de façon subreptice sous la forme de l’équipe fictive du National, dans l’inépuisable série de Réjean Tremblay, Lance et compte (dont la prochaine saison porte sur un affrontement National-Canadien). Les tentatives d’entrepreneurs de Québec pour faire revivre la vraie équipe disent aussi combien elle nous manque, comme un membre qu’on nous aurait coupé, mais que l’on sent encore, dans les moments de grande émotion.

On parle beaucoup d’identité ces temps-ci au Québec. De langue, de culture, d’efforts à déployer pour ne pas, comment dire ? dégénérationner. De respect pour le patrimoine culturel, historique, religieux du Québec. Et cela me frappe qu’on ait si peu compris combien l’existence d’une équipe de hockey dans chacune des deux grandes villes québécoises constituait, non seulement pour les gens de Québec, mais pour tous les Québécois, un élément structurant de la vie collective. Cela tenait à la fois du divertissement, de la présence de notre sport national dans nos vies et même de l’aiguisement de notre esprit compétitif. Et du respect de notre langue. Car avez-vous remarqué que le départ des Nordiques a signifié le déclin du français au hockey, même au sein du Canadien ?

Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’au moment où le climat se réchauffe et restreint la période où on peut patiner sur les ronds de glace extérieurs (imaginez, il y a maintenant des patinoires extérieures réfrigérées à Montréal !) l’attachement à ce sport se raffermit, plutôt que de fondre au soleil. Le film sur Maurice Richard a contribué à raviver cette flamme (et il est scandaleux que si peu soit fait, à Montréal, pour commémorer le « Rocket », un des seuls grands héros modernes du Québec).

L’État québécois dépense à lui seul plus de 600 millions de dollars par an pour la culture, les artistes, les musées, l’opéra. Je suis pour. La culture ne peut pas s’autofinancer. Même nos films les plus courus seraient déficitaires sans aides publiques, car notre marché est trop petit pour absorber tous les coûts. Idem pour les Nordiques. L’État va investir 105 millions dans la construction d’une nouvelle salle pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Quelque 1 900 mélomanes pourront y prendre place. Bravo. C’est de la culture avec un grand « C ». Mais pourquoi les 14 000 partisans des Nordiques (l’assistance moyenne à leurs matchs, à l’époque) n’ont-ils pas droit à une somme équivalente pour construire l’aréna qui pourrait faire revenir leur équipe ? (Le Colisée actuel, désuet, fut construit en 1930.) Pourquoi est-il interdit d’investir dans la culture populaire avec un grand « P » — ou avec un grand « H » ou un grand « N », en l’espèce ?

Maintenant que le dollar canadien vaut davantage que l’américain, réduisant les coûts, je crois le temps venu de faire un effort collectif pour retrouver le tandem Canadien-Nordiques. La somme totale nécessaire : 260 millions. Que le gouvernement du Québec s’engage à investir, dollar pour dollar, ce que la Ville de Québec y mettra. Que la Ville, de son côté, demande par référendum à sa population si elle désire verser une contribution spéciale pour ramener l’équipe. Qu’une campagne de financement générale soit lancée en plus des aides publiques.

Retrouverons-nous la magie des matchs d’autrefois ? Pas du tout. Ce sera mieux. Parce qu’avec les nouvelles règles de la LNH, les Nordiques et le Canadien pourront s’affronter en demi-finale de la Coupe Stanley. Jamais nous n’aurons vécu ce niveau d’intensité. Jusqu’au jour dit, on en rêvera. Lorsqu’il arrivera, on sera en transe. Après, il entrera dans la légende. Divisés pendant cette étape cruciale, les Québécois s’uniront ensuite derrière le vainqueur pour la finale, contre la meilleure équipe du reste de l’Amérique. Pour donner du tonus à l’identité québécoise, la résurrection des Nordiques serait la plus belle mise au jeu.

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Le saviez-vous ?

Notre chroniqueur n’a pas fini de parler d’identité.[ Il publie un essai sur le sujet : Nous, aux éditions du Boréal, au début de novembre.->9862]

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par Jean-François Lisée

publié dans L'actualité du 15 novembre 2007

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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2 commentaires

  • Réal Ouellet Répondre

    27 octobre 2007

    C'est un projet emballant qui compenserait admirablement la fermeture du jardin zoologique.
    La nouvelle député récemment élue dans la région de Québec pourrait s'atteler à mousser le projet. Québec possédant déjà son chateau et la député aussi, elle pourrait offrir celui-là au monde ordinaire!!! Chacun son chateau!
    J'espère aussi qu'on ne détruirait pas un quartier du vieux Québec pour y installer le futur amphithéatre. Vous vous souvenez de ce qui est arrivé à Montréal.

  • Jean Pierre Bouchard Répondre

    27 octobre 2007

    Excellente idée J.F.Lisée. J'ai été un partisan fanatique des Nordiques à Montréal parce que trop souverainiste pour accepter le bilinguisme mur à mur du Canadien de Montréal!
    En cette époque d'investissements de plusieurs milliards forcés pour la remise en état des infrastructures routières et des viaducs, en quoi un investissement initial de 160 millions de la part du gouvernement du Québec ajouterait à ce point à la dette?
    Les hauts cris des contribuables seraient limités si effectivement un référendum dans tout le Québec posait la question de ce financement à la condition que les camps pour et contre disposent du même temps égal de parole!
    À Montréal comme dans sa grande région comprenant la Montérégie et Laurentides Lanaudière on y trouve rien que là 2 millions et demi de personnes ou plus nostalgiques de la rivalité. Il n'y a pas que les populations de la ville de Québec avec toute sa région des Trois Rivières à Chaudière Appalaches en passant par la très belle région de Charlevoix pour rentabiliser le projet.
    Le hockey peut canaliser effectivement la compétition économique et politique entre Montréal et ses régions plutôt que de la traduire sur le plan électoral et social. Cela aussi serait un progrès.
    La question du financement pour y revenir est capitale car pour rendre le projet réalisable il n'en n'est pas moins vrai qu'il faudrait lancer une souscription populaire capable sur une période de 3 ans de trouver au minimum une somme de 30 à 40 millions s'ajoutant au 160 millions du gouvernement. Évidemment ces fonds ne pourront être utilisés que si un ou deux gros investisseurs privés s'impliquent dans la construction d'un colisée et dans l'achat d'une équipe existante aux États-Unis. Une équipe qui par exemple pourrait être celle actuelle des Pingouins de Pittsburgh.
    L'économie mondiale est instable. Une question concrète: Québécor ou Bombardier sauront t'ils intéressés d'investir en tant que citoyens corporatifs en se privant de bénéfices à court et moyen terme sur une équipe de hockey tout en bénéficiant de l'hyper visibilité de leur marque de commerce?
    Dans ce cadre c'est surtout Québécor avec sa convergence multimédia qui serait le candidat logique associé pour partager le capital avec des petites entreprises commerciales comme les dépanneurs Couche Tard, (ou autres) Simmons à Québec qui a offert la fontaine en guise du 400ème.
    On imagine que faire renaître les Nordiques redonnerait le goût au hockey à des centaines de milliers de Québécois, voire à un million et demi de gens. Devenu athée du hockey, j'en serais du nombre.
    Reste à voir si la synergie des acteurs se fera d'ici 5 ans.