Budget « provincial », politique « provinciale », la « province de Québec », la « belle province », la province par-ci, la province par-là.
On assiste actuellement à un retour à la dénomination du Québec, son gouvernement, son État, son territoire, son statut, comme « province » ; même de la part de ceux qui, il y a 25 ou 30 ans, n’auraient pas utilisé ce mot. C’est pour moi déplorable.
« Mais c’est ce qu’on est ! », diront plusieurs. Bien sûr. Parfois, c’est incontournable.
Mais recommencer à nous qualifier de « province » systématiquement, ça relève du choix politique, même inconscient.
C’est en tout cas renoncer à près de 60 ans d’efforts pour voir et concevoir le Québec comme une nation d’abord et avant tout, possédant son État, peu importe qu’il ne soit pas souverain. Pour le dire comme Robert Bourassa : une « province pas comme les autres ».
Landry et Lesage
Lorsque je m’amuse à provoquer le débat sur la question, on me répond souvent que c’est une toquade de souverainiste.
Certes, le chef péquiste Bernard Landry a été un des plus farouches contempteurs du terme, y rattachant une étymologie honteuse : du latin « provincere » ; il signifierait au fond un lieu pour les vaincus. (Certains remettent cette interprétation en question.)
« Je n’aime pas du tout le mot “province” ni la chose », lançait-il en chambre le 16 avril 1985. « Mon action politique jusqu’à ce jour, et dans [...] les années qui vont suivre, va consister justement à ce que l’on se débarrasse le plus rapidement possible et du mot et de la chose. »
Mais le déboulonnage du mot « province » avait commencé bien avant. En fait, au début de la Révolution tranquille. C’est un chef libéral, Jean Lesage lui-même qui, un des premiers, a proposé de changer de vocabulaire pour parler du Québec. Il préférait État du Québec à province.
« Quand je parle de l’État du Québec, ce n’est pas pour soutenir que le Canada serait composé de neuf provinces plus un État. C’est pour affirmer plus fortement encore [...] la personnalité du Québec », déclarait-il en 1963.
Sans adopter systématiquement le vocable d’« État du Québec », les chefs libéraux jusqu’à nos jours, ont toujours préféré parler du « Québec » tout court, du gouvernement du Québec ; ont évité la « province ». L’administration québécoise et même les médias avaient pris l’habitude d’en réduire l’usage.
Dans les années 1960, à plusieurs endroits, on a substitué des termes qui référaient au statut provincial par le terme « national ». C’est pourquoi on a une Assemblée « nationale » ; des Archives nationales, etc.
Une certaine idée
Malgré la reconnaissance par la Chambre des communes en 2006 que « les Québécoises et les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni », la re-provincialisation des esprits semble s’accélérer. On aperçoit le mot province dans des communiqués. De jeunes souverainistes l’utilisent même.
Même la vieille expression « La belle province » pour désigner le Québec fait un retour en force dans nos médias. Il n’y avait jadis que les journalistes français pour utiliser cette phrase touristique qui enjoliva, avant 1978, nos plaques d’immatriculation. Avant le puissant « Je me souviens ».
Difficile de ne pas conclure que c’est une certaine idée du Québec qui se perd.
Rectificatif
Dans ma chronique de samedi, j’ai confondu deux noms : au lieu de « Maxime Carignan-Martel », j’ai écrit « Jean-Philippe Décarie-Mathieu ». Mes plus plates excuses aux deux, surtout à M. Décarie-Mathieu, qui n’a rien à voir avec ce dont je parlais.