Nomination des juges et loi 101

Chronique de Louis Lapointe

L’ancienne juge en chef de la Cour du Québec, Huguette St-Louis, a parfaitement raison. Le processus de sélection des juges à la Cour du Québec est rigoureux et les juges nommés au Québec sont compétents. C’est la dernière phase de la nomination qui est problématique, celle où des choix politiques peuvent être effectués par le gouvernement.
Or, c’est justement ce choix politique qui pose problème en droit, car il risque de créer des déséquilibres et des distinctions hasardeuses dans les décisions à caractère politique rendus par les tribunaux. Comme ces décisions sont beaucoup plus rares à la Cour du Québec qu’elles ne le sont dans les juridictions supérieures, même si certaines nominations peuvent être qualifiées d’injustes parce que partisanes, les conséquences ne sont pas si graves à long terme.
Cela devrait-il nous nous conforter comme citoyens et avocats comme semble le proposer le Barreau du Québec* ? À mon avis, non, puisque, si nous acceptons que des juges puissent être nommés pour des raisons politiques en fin d’un processus qu’on dit rigoureux, comment pourrions-nous alors critiquer le processus de nomination des juges à des juridictions supérieures mis en oeuvre par le gouvernement fédéral ?
Comme nous le rappelait le juge en chef de la Cour d’appel du Québec, le juge Michel Robert, le fait de ne pas nommer des indépendantistes reconnus qui veulent détruire la Canada à des postes de juges des tribunaux supérieurs est une question de principe. Une vision qui est certainement la source d’un profond déséquilibre dans les jugements rendus par ces tribunaux lorsqu’il est question des droits constitutionnels du Québec et des Québécois.
Si les cours de juridictions supérieures penchent toujours du même bord en matière politique et constitutionnelle, c’est parce que les juges qui y sont nommés ont, pour la plupart d’entre eux, une grille d’analyse fédéraliste. Comme je l’ai déjà écrit, s’il y avait plus d’indépendantistes dans ces juridictions, comme c’est le cas dans la société québécoise, ce déséquilibre serait moins apparent, le cas de la Cour Suprême demeurant toutefois entier, puisque la majorité des juges qui y siègent provient des autres régions du Canada.
L’exercice de la commission Bastarache, s’il est bien fait, donnera donc des armes à ceux qui critiquent la nomination des juges au fédéral et qui ne comprennent pas, comme moi, qu’un ancien président du Parti libéral du Canada puisse devenir juge en chef de la Cour d‘appel du Québec et que son successeur pressenti soit un ancien président du parti conservateur du Canada. Nous recherchons d’abord la compétence pour ces postes, pas l’affiliation politique, afin que les jugements prononcés semblent équitables. La présence de politiciens à la tête de tribunaux supérieurs affecte sans nul doute l’apparence de la justice qui y est rendue.
Nomination des juges, loi 101 et primauté de la règle de droit
Comment pourrait-il y avoir apparence de justice lorsque les premiers ministres nomment à ces juridictions des amis du parti, sachant qu’ils devront rendre d'importantes décisions qui auront de graves conséquences sur l’avenir du Québec et du Canada? Les jugements constitutionnels de la Cour d’appel et de la Cour Suprême en sont les exemples les plus percutants, en particulier les récents jugements sur la loi 104.
Comment des juges qu’on dit si compétents et intelligents ont pu se tromper à ce point sur la question des droits linguistiques au Québec ? La réponse est simple. Ils avaient tous la même grille d’analyse, le même biais politique qui provenait de leur mode de nomination, source de déséquilibre au sein de ces cours. Ils avaient tous été nommés par le premier ministre du Canada à la suite d’un processus de sélection éminemment politique où leurs éventuelles sympathies pour la loi 101 et l’indépendance du Québec, si elles avaient été exprimées publiquement, avant leurs nominations, auraient été perçues comme des gestes de trahison à l’endroit de la fédération canadienne. Comme l’ont dit le juge en chef de la cour d'appel du Québec et plusieurs de mes confrères avocats fédéralistes, on ne peut pas siéger à des juridictions supérieures lorsqu’on est séparatiste, puisque, selon eux, cela va à l’encontre des objectifs de la constitution canadienne.
Selon plusieurs de mes éminents confrères, nommer un séparatiste irait donc à l’encontre de la règle de droit telle qu’elle est perçue au Canada. Or, c’est le même genre de position que défend actuellement le Barreau du Québec à la commission Bastarache, pour qui il n’y aurait aucun problème à ce qu’un gouvernement ne nomme que des libéraux, pourvu que ces juges soient compétents, une position inconciliable avec l’article 10 de la Charte québécoise des droits et libertés qui interdit la discrimination sur la base des convictions politiques. Une vision, si on l’applique à des juridictions supérieures, donne des jugements iniques comme ceux rendus sur la loi 104.
Si les juges de la Cour d’appel et de la Cour suprême n’avaient pas eu ce biais qui découle de leur mode de nomination lorsqu’ils ont rendu leurs jugements sur la loi 104, ils auraient certainement eu la clairvoyance de se référer à l’article 1 de la Charte canadienne des droits des libertés pour éviter d’invalider cette loi.
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans les limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Comment ce fait-il que la loi 101 fasse l’objet d’un consensus aussi large au Québec, énonçant une règle de droit qui se justifie dans le cadre d’une société libre et démocratique et que cela ne trouve aucun écho dans deux cours de justice, des cours dont les juges sont tous nommés par une autre juridiction, le gouvernement fédéral ?
Ne serait-ce pas parce que la nomination des juges au fédéral est un processus éminemment politique qui ne respecte pas la règle de droit tel qu’on la conçoit dans une société libre et démocratique ?
Lorsque le facteur qui permet de discriminer en fin d’analyse la personne qui devra occupé un poste de juge est un critère éminemment politique, la nomination qui en découle ne serait-elle pas inconstitutionnelle et contraire au préambule et à l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés qui consacre la primauté de la règle de droit ?
Comment ne pas conclure que c’est en raison du mode de nomination des juges que nous nous retrouvons avec des jugements comme ceux rendus par la Cour Suprême sur la Charte de la langue française, avec des raisonnements qui vont à l’encontre des valeurs de la société québécoise ? Sans aucun doute, la loi 104 répondait au test de l’article 1 de la Charte canadienne dans la mesure où elle respectait les valeurs de la société québécoise.
Toutefois, en admettant que la Cour Suprême ait pu avoir raison en invalidant la loi 104, présumant qu’elle ne répondait pas au test de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, comment la loi 103 pourrait-elle y répondre quant à elle, cette loi proposant, ni plus, ni moins, qu’il puisse exister au Canada des droits qui reposent sur des distinctions purement économiques opposées au principe d’égalité reconnu à l’article 15 de la Charte canadienne, ce qui est contraire à la règle de droit énoncée à l’article 1 de la même charte.
Au surplus, comme je le démontrais sommairement dans un court billet**, la loi 103, créant des distinctions économiques ente les personnes, aura également la même difficulté à respecter les dispositions sur l’égalité prévues à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
À moins que la Cour Suprême trouve plus acceptable de créer des distinctions économiques entre les citoyens du Québec pour leur permettre d’étudier en anglais que de vouloir promouvoir une langue commune au Québec, le français, la règle de droit ne s’appliquant qu’à ceux qui veulent s’angliciser, une vision correspondant en cela aux vraies valeurs canadiennes reconnues à l'article 1 de la Charte canadienne!
Clause dérogatoire, règle de droit et loi 101
La primauté de la règle de droit devrait motiver l’Assemblée nationale à trouver une solution qui préserve l’objectif de faire du français la langue commune de tous les Québécois, ce qui est normal dans une société libre et démocratique, quitte à utiliser la clause dérogatoire pour en consacrer la légitimité.

Lorsque les tribunaux supérieurs, dont les juges sont nommés par le gouvernement fédéral, refusent d’appliquer la règle de droit contre tout bon sens pour des raisons qui ne seraient pas étrangères à leur mode de nomination qui est politique, le gouvernement du Québec n’a pas d’autres choix que d’utiliser la clause dérogatoire pour sauvegarder l’intégrité de la Charte de la langue française, une loi linguistique qui, sans aucun doute, si l’on s’appuie sur les valeurs de la société québécoise, est conforme à la règle de droit.
On le voit bien, le mode de nomination des juges et l’application que font ces juges de la règle de droit sont intimement liés. Croire que la compétence est un facteur désincarné dans une société canadienne profondément divisée sur la question de l’indépendance du Québec et de la langue commune des tous les Québécois, le français, relève du plus pur angélisme lorsque l’on sait que les valeurs de la société québécoise ne coïncident pas avec celle de la société canadienne.
Lorsque, manifestement, les juges nommés aux juridictions supérieures ne sont pas représentatifs des valeurs majoritairement reconnues dans une société parce que leur nomination est politique, on se retrouve avec des jugements comme ceux rendus par la Cour d’appel et la Cour suprême du Canada dans le cas de la loi 104.
Dans cette perspective, l'utilisation de la clause dérogatoire pour protéger la langue commune du Québec, le français, se justifie.
***
* Dénégationnisme à la commission Bastarache
**Projet de loi 103 : conforme à la charte canadienne, mais contraire à la charte québécoise !

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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