Langue, Indépendance, Révolution

La fin des illusions

Se pourrait-il que Pierre Bourgault ait eu raison sur toute la ligne ?

Chronique de Richard Le Hir

Je doute que Jean Charest en soit conscient, mais son obstination à vouloir enfoncer dans la gorge des Québécois sa Loi 103-115 uniquement pour s’assurer de ne pas perdre sa base électorale anglophone constitue une erreur stratégique de taille pour son camp.
Imaginez qu’à lui tout seul, il vient de faire la démonstration que le seul recours efficace dont les Québécois disposent désormais contre l’assimilation est l’indépendance. Et Pauline Marois, qui jusqu’ici ne semblait pas à la hauteur des événements, a été prompte à le souligner : « C’est bien la preuve que le Québec ne pourra pas protéger sa langue tant qu’il ne deviendra pas un pays ! »
Exit donc la Loi 101 qui, avec le temps, se sera révélée être le pire des miroirs aux alouettes à n’avoir jamais été tendu aux Québécois pour les détourner de ce qui aurait dû demeurer leur objectif premier, l’indépendance du Québec. Car il faut bien le souligner, ce qui a d’ailleurs été fait lors de la manifestation de ce soir, la Loi 101 a subi tout près de 200 modifications depuis son adoption en 1977, et elle n’est plus qu’un bien pâle reflet de ce qu’elle était au moment de son adoption.
Les Québécois auront vécu pendant 33 ans dans l’illusion que la Loi 101 leur offrait une protection. Ils découvrent aujourd’hui qu’il n’en est rien, tout comme ils ont découvert en 1982 que le droit de veto qu’ils croyaient avoir sur la modification de la Constitution canadienne n’existait pas. Entre-temps, ils se sont numériquement affaiblis pendant que s’effritaient peu à peu leurs lignes de défense.
Et les fédéralistes devront à Jean Charest qu’ils avaient justement élu pour éloigner à tout jamais la menace de l’indépendance du Québec d’en avoir rallumé les feux au moment même où la conjoncture leur est la plus défavorable. Pire, il se trouve même à tirer la carpette en dessous des pieds des promoteurs d’une troisième voie qui, si elle avait eu la possibilité de prendre son envol, aurait divisé le vote Québécois selon des lignes autres que celles des options constitutionnelles.
Dans un contexte de polarisation fédéraliste/nationaliste, il n’y a pas de place pour une option mitoyenne, comme l’a démontré la campagne électorale de 1994, alors que l’ADQ n’était parvenue à ne faire élire qu’un seul député. Et plus cette polarisation est forte, moins un tiers parti n’a de chance de faire élire ses candidats.
Exit donc aussi François Legault, Joseph Facal et Force Québec dont le ballon aura certainement été le plus rapide à se dégonfler de toute l’histoire du Québec. C’est André Pratte, Alain Dubuc et La Presse qui vont être déçus. Le conservatisme fiscal vient de passer à la trappe, tout comme les chances pour Power Corp de mettre la main sur Hydro-Québec ou la Caisse de dépôts. En effet, dans ce même contexte de polarisation fédéraliste/nationaliste, le parti au pouvoir qui se risquerait à donner le moindre signal de son intention de se départir d’un des fleurons économiques du Québec ne serait pas mieux que mort.
Une autre illusion qui se trouve à tomber avec les événements en cours est celle que le Québec ait pu connaître une révolution tranquille. Tous les gains de la révolution tranquille sont aujourd’hui menacés, à l’instar de la Loi 101. On veut privatiser la santé, miner l’enseignement public, privatiser la production de l’électricité, réduire la place de la langue française, s’emparer de la Caisse de dépôts, réduire l’importance du filet social, etc.
Comment est-ce possible ? Justement parce qu’il n’y a pas eu de révolution. Une révolution, c’est le renversement de l’ordre établi. Or l’ordre établi est demeuré en place, et il cherche à reprendre petit à petit tout ce qu’il a jugé opportun de concéder temporairement pour se maintenir en place. Le meilleur exemple de cette méthode est justement la Loi 101.
Quant à l’idée de parler de révolution tranquille, je commence à me demander si elle ne nous a pas été suggérée par l’ordre établi pour nous dissuader d’aller plus loin. À partir du moment où l’on pouvait faire accepter aux Québécois l’idée qu’ils aient pu faire une révolution tranquille, à quoi pouvait servir d’aller plus loin ? À quoi pouvait servir de faire l’indépendance et de renverser l’ordre établi au Québec si l’on avait tout ce qu’on voulait, un PQ au pouvoir, et une Loi 101 ?
Plus j’y pense, et plus je me demande si toute une génération de Québécois, la mienne pour ne pas la nommer, ne s’est pas faite royalement fourrer, comme toutes les autres qui l’ont précédé. Nos curés n’étaient pas les mêmes, nos messes étaient différentes, nos incantations aussi, mais nous nous sommes fait fourrer, dans certains cas par des personnes qui n’étaient même pas conscientes que c’était ce qu’elles étaient en train de faire, et qui étaient animées des meilleures intentions. Penser qu'on pouvait faire l'économie d'un certain radicalisme pour changer la société était une utopie.
Se pourrait-il que Pierre Bourgault ait eu raison sur toute la ligne ?


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12 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    24 octobre 2010


    « Dans l’expression Parti Libéral du Québec,il y a le mot Libéral. Alors, pas question de forcer,d’obliger qui que ce soit à parler le français,la langue officielle, la langue véhiculaire, la langue majoritaire des Québécois. » par Marie-Louise Lacroix,l’Aut’Journal, 10 mars 2008

  • Archives de Vigile Répondre

    22 octobre 2010

    Suite au Sondage Crop-La Presse,auprès de 1000 internautes du 15 au 19 octobre 2010.
    Intentions de vote :
    Parti de François Legault : 39 % [nouveau PM du Québec si]
    Parti québécois (PQ) : 22 %
    Parti libéral du Québec (PLQ) : 21 %
    Il y a un très grand appétit pour du changement. Le gouvernement libéral Charest touche le fond du baril.François Legault prendrait le pouvoir.
    Chez les francophones,le PQ décrochait 40 % des intentions de vote en septembre. Il tombe à 26 % dès que le nom de François Legault est évoqué. L’ancien ministre recueille 42 % chez les francophones .Alors imaginez si le parti Legault devient une réalité.
    Lors de son congrès au printemps 2011,le PQ devra faire une révolution.Il devra affirmer qu’un vote pour le PQ,c’est un vote pour l’indépendance du Québec,dès le lendemain des élections provinciales.Fin des guili-guili avec le fédéral pour négocier des arrangements autonomistes.Sinon,le PQ est cuit comme la gang libérale Charest.

  • Archives de Vigile Répondre

    21 octobre 2010

    Angela Merkel, la chancelière d'Allemagne, a déclaré,octobre 2010, devant des étudiants, que le projet d'une société multiculturelle pour l'Allemagne était un échec et que, dorénavant, les citoyens immigrants et leurs enfants devront parler la langue du pays.

  • Archives de Vigile Répondre

    21 octobre 2010

    En complément de lecture
    La loi 103 [115]: une merde de plus du gouvernement libéral Charest....un petit être sans envergure.
    http://www.ameriquebec.net/actualites/2010/10/19/la-loi-103-115-une-merde-de-plus-du-gouvernement-liberal-charest-5224.qc

  • @ Richard Le Hir Répondre

    20 octobre 2010

    Réponse à Guillaume Labelle
    Très intéressant, jeune homme !
    Poursuivez votre réflexion et faites-nous en profiter.
    Vous avez quelque chose à dire et vous le dites bien.
    Richard Le Hir

  • Guillaume Labelle Répondre

    19 octobre 2010

    ''Comment est-ce possible ? Justement parce qu’il n’y a pas eu de révolution. Une révolution, c’est le renversement de l’ordre établi. Or l’ordre établi est demeuré en place, et il cherche à reprendre petit à petit tout ce qu’il a jugé opportun de concéder temporairement pour se maintenir en place. Le meilleur exemple de cette méthode est justement la Loi 101.''
    ENFIN!
    Ça a été dit! Je croyais être fou, sérieusement, et ce n'est que bien timidement que je levais la main pour affirmer que la révolution tranquille n'était pas si révolutionnaire que ça. Votre texte, M. Le Hir, me réconforte en cette triste journée d'après-bâillon.
    Ce qui m'a montré la voie doré vers cette lecture de l'histoire, c'était quand j'ai lu un texte de Marshall McLuhan sur le Québec, il y a cinq ans --j'aimerais bien le partager ici, mais la source est trop vague dans ma mémoire.. -- qui affirmait que Jean Lesage avait été le premier occidental à utiliser les médias de masse pour dorer son image. Ça m'avait surpris à l'époque, surtout considérant l'importance de McLuhan, qui est le penseur du Village Global, et donc d'un milieu universitaire américain à des années-lumières de la politique québécoise.
    La ''Grande Noirceur'', c'est une expression proprement inventée par les Libéraux. Voilà pourquoi je ne l'utilise plus. De même, ''Révolution Tranquille'' est un terme traduit d'un historien anglais...
    Il y a ensuite eu l'exposition, il y a 2 ans je crois, sur Paul Sauvé, à Montréal. Autre mur qui tombe: Jean Lesage n'est PAS l'instigateur de la-dite révolution...
    Par rapport aux changement sociaux, je suis relativement mal placé pour en discuté, étant né pendant Meech... Cependant, j'apporterai quelques bémols à ceux qui affirment que tout a commencé avec la révolution tranquille, qui était, s'il en est un, LE grand phénomène générationnel du siècle. Car c'est bien de ça dont il s'agit: C'est le regard que pose la génération la plus nombreuse de notre histoire sur SA PROPRE jeunesse. Il y a donc une grande part de subjectivité. ''La révolution tranquille était ci, la révolution tranquille était ça, grande était la révolution tranquille'' etc etc.
    Faut pas se méprendre. Ma pensée est très à gauche, aussi je salue plusieurs innovations faites durant cette période. Seulement, elles étaient non pas le fait du seul état du Québec, mais de l'Occident en général. Pareil pour Duplessis: je ne suis pas d'accord avec les pratiques qui avaient cours dans son gouvernement, mais c'était monnaie courante dans la plupart des démocraties de l'époque. Et on ne le souligne pas assez: Ce n'est qu'à partir de 1960 que l'Ontario est devenue plus ''riche'' que le Québec. En 1960, commençait seulement une démocratisation et une hausse générale de la richesse. Duplessis, comme les gouvernements avant lui, promouvaient une décentralisation quasi-totale de l'économie; aussi l'économie québécoise a pu se diversifier et voir grandir les coopératives (ce qui a sauvé le Québec de la crise en 1980... ce n'était sûrement pas la Grande Centralisation de l'état que prônaient les libéraux de tout acabit!). L'électricité et le développement de la Côte-Nord, c'est Duplessis. Je suis d'accord qu'il l'a fait d'une manière assez peu louable, et oui il était vachement corrompu, mais de la à dire que les libéraux partaient de rien en 1960...
    M'enfin, je ne m'éterniserai pas trop. La révolution tranquille est un leurre, une bulle. Une autre arnaque libérale. Un appât à baby-boomers. En tout respect pour eux. Que reste-t-il de la révolution tranquille? L'état le plus endetté. Un taux de natalité qui fait pitié. Un taux de suicide aussi accablant (quoi que ces deux derniers ont tendance à fondre..) ; une démobilisation massive de la population (à ce propos, je vous renverrais aux plans de Reagan, qui affirmait autour de 1980 que la meilleure manière de faire de la politique, c'est que la population ne s'en mêle pas... aussi avait-il orchestré un plan médiatique infâme menant à long terme au désintéressement total de la population à la chose politique. Ça semble avoir dépassé les limites des USA...)...
    Bref, rien de bien reluisant.
    En fait, permettez-moi d'aller plus loin encore, en affirmant que la révolution tranquille a tout bonnement déchiré le tissu social du Québec, qui l'a sauvé, plus que la religion, de l'envahisseur et de l'assimilation. Car à part les anglais (qui contrôle ENCORE tout, à distance cette fois... la régionalisation de Montréal, ça vous dit quelque chose?) plusieurs historiens affirment qu'entre la fin du 18e siècle et les années 50, il n'existait pas de classe comme telle au Québec. Les entrepreneurs côtoyaient les paysans, etc. Ce que, dans un contexte similaire, n'arrivait pas à produire le Canada anglais rural. Et ce n'est pas tant une question de revenus moindre que l'Ontario; avant 1960, de toute façon, la richesse des anglais étaient quasiment toute concentrée à Montréal... Ce n'est qu'avec Diefenbaker et son plan ''national'' que Toronto a pu réellement commencer à s'enrichir.
    Ce tissu social a créé une société dans laquelle l'élite était près de la population, ce qui est une donne constante et indéniable dans l'histoire canadienne-française d'avant la révolution tranquille. Or, dès 1960, l'état a tout pris en charge, ce qui aurait pu être acceptable dans un contexte où une centralisation majeure n'avait pas eu lieue. C'est particulièrement cela qui a joué contre le-dit tissu social. Je m'expliquerai une autre fois, si vous voulez.

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    19 octobre 2010

    Je pense que la cruelle réalité est cette fois (à la lumière de l'actualité, avec la loi 103), en train de nous rattraper.
    Notre tendance bien québécoise, à vouloir ménager la chèvre et le chou, fait que nous n'avons pas accompli l'étape finale de ce qui aurait été une véritable révolution «tranquille»: l'indépendance!
    Un autre trait québécois qui nous coûte très cher: nous nous faisons cracher collectivement en pleine face, comme par l'actuel gouvernement libéral, mais nous oublions dès le lendemain.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 octobre 2010

    Monsieur Le Hir
    Votre texte est un bijou! Il y a longtemps que je pense comme vous que nous nous sommes faits fourrer royalement par les dirigeants du PQ depuis sa fondation. Des révolutions tranquilles dans le monde, en avez-vous déjà vu ou connu? Moi pas.
    On nous a royalement endormi avec des transformations du statu quo qui existait à l'époque, c'est tout. La loi 101 qui est maintenant devenue un squelette avec toutes ces modifications apportées, nous ramène 50 années en arrière, soit à l'époque de Jean-Jacques Bertrand et du choix de la langue d'enseignement; c'est le bilinguisme institutionnel. Rappelez-vous de la loi 63 et des troubles de St-Léonard.
    Nos illusions sont vraiment tombées une par une depuis la création du PQ; il ne nous reste maintenant qu'à nous prendre en main collectivement et nous donner le vrai pays. Il m'a fait plaisir.
    André Gignac patriote
    PS: Si les Québécois continuent à soutenir ce gouvernement corrompu, ils se feront complices de la destruction de leurs institutions démocratiques par John James Charest, ce p'tit valet au service de Desmarais et "consorts" fédéralistes.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 octobre 2010

    Le révolution tranquille n'est pas terminée. Elle se terminera lorsque l'indépendance sera acquise.
    C'est en disant qu'elle est terminée qu'on se refuse à voir les avancées, douces et calmes, qui nous conduisent vers elle.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 octobre 2010

    Biensûr qu'on s'est fait tous fourrer.
    Mais pour réveiller les Québécois, il faut au préalable les "déprogrammer".
    Les Québécois ont été programmés à penser le monde et eux-mêmes d'une certaine façon. Pas à penser SUR ce monde et SUR eux-mêmes.
    Exposer des faits aux Québécois ne suffit pas, car ils y voient des contradictions de par leur programmation et se sentent alors très insécures d'abandonner ces certitudes.
    Il faut au préalable défaire les mythes qui les tiennent prisonniers. Tout ce qu'ils ont appris est faux.
    C'est une erreur de croire qu'on peut les réveiller en substituant leurs mythes par d'autres mythes.
    Seule la vérité contre leurs mythes peut les convaincre de se libérer de ces mythes.
    Il faut ensuite les nourrir d'arguments solides appuyés sur des preuves solides et non des opinions et idéologies politiques ou autres.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 octobre 2010

    Continuez M,Le Hir,il faut continuer le combat pour se débarasser de ces rapaces de fédés qui font reculer le Québec depuis qu'ils ont le pouvoir.
    Ils sont à la solde des Paul Desmarais et de ses valets de la grosse sale presse.
    Jacques Cayouette
    St-Pascal

  • Michel Laurence Répondre

    19 octobre 2010

    « À quoi pouvait servir de faire l’indépendance et de renverser l’ordre établi au Québec si l’on avait tout ce qu’on voulait, un PQ au pouvoir, et une Loi 101 ? »
    Voilà la raison pour laquelle je parlerais plus d’ « Illusion tranquille » que de « Révolution tranquille ».
    Quant à Bourgault, non seulement il avait raison, mais il a encore raison.
    Vive le R.I.N.
    http://bit.ly/99MMPL