Réponse aux romantiques du vote

Mon devoir de citoyen: l'abstention

le refus de voter dans le système politique actuel nous apparaît être une action tout à fait valable

IDÉES - la polis



Tout le monde parle de démocratie, mais peut-on réellement considérer démocratique l’acte de déléguer notre souveraineté une fois tous les quatre ans sur un bout de papier?, s’interrogent Thomas Lafontaine et Philippe Lapointe.

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir


En ce moment, des centaines de jeunes universitaires s'amusent à courir à travers leur campus appelant leurs collègues à aller voter. Leur principal argument est que ceux qui s'abstiennent seraient apolitiques et cyniques: leur «inaction» ne contribuerait qu'à favoriser la hausse des droits de scolarité et l'élection des conservateurs. En réponse à ces affirmations, nous tenons à vous expliquer pourquoi le refus de voter dans le système politique actuel nous apparaît être une action tout à fait valable. Nous ne sommes pas apathiques, mais sans doute un peu plus exigeants quant à la teneur de nos institutions politiques.
«Des gens meurent pour le droit de vote»
L'un des arguments récurrents en faveur du vote est celui de faire honneur aux personnes qui se sont battues et qui luttent encore aujourd'hui pour obtenir le privilège d'élire leurs dirigeants. Il faut certes saluer les efforts de ces personnes, mais doit-on se contenter de ce simple privilège? Nous considérons pour notre part que l'acte de vote au sein de la démocratie canadienne relève davantage de la résignation: s'abstenir afin de revendiquer un modèle démocratique plus horizontal et participatif, voilà une bien meilleure façon de rendre hommage aux personnes qui ont participé à l'extension de leurs droits politiques et sociaux.
Tout le monde parle de démocratie, mais peut-on réellement considérer démocratique l'acte de déléguer notre souveraineté une fois tous les quatre ans sur un bout de papier? Cette critique n'est pas nouvelle et accompagne la démocratie libérale depuis ses balbutiements. Jean-Jacques Rousseau, dans Du contrat social, fait ainsi valoir qu'une telle délégation relève davantage de l'abdication que du bon usage du pouvoir: «Le peuple anglais pense être libre; il se trompe fort, il ne l'est que durant l'élection des membres du Parlement; sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien. Dans les courts moments de sa liberté [les jours de scrutin], l'usage qu'il en fait mérite bien qu'il la perde.»
À l'instar des systèmes politiques qui l'ont précédée, la démocratie représentative porte ses travers et est appelée à être dépassée. Corruption, structures autoritaires, abus de pouvoir et contrôle de l'information: loin d'être nouvelles ou exceptionnelles, les «dérives» contemporaines de ce système lui sont inhérentes et constituent en quelque sorte son coeur battant. Elles ne sont pas une exception momentanée, mais bien sa règle. Plus souples ou discrets par moment, ces travers ne sont qu'exacerbés par les orientations autoritaires du Parti conservateur.
«Il faut bloquer les conservateurs»
Mais, dès lors, la question se pose: que faire? Pour fermer la route aux régressions sociales promises par les conservateurs, le vote serait une arme — souvent présentée comme la seule — sur laquelle ne pas cracher. Les abstentionnistes politiques, par leur inaction, agiraient ainsi contre leurs propres desseins. Cette rhétorique, toute restreinte qu'elle est par ses horizons politiques, rate sa cible.
Car avouons-le, le problème ne réside pas tant dans l'acte de vote (un geste politique minime, risible), mais dans la persistance de certaines croyances sociales et politiques. Autrement dit, le problème ne nous apparaît pas résider dans l'abstention de quelques personnes, mais plutôt dans l'appui donné aux conservateurs et au système qui permet leur domination. Et pour lutter contre cet appui, rien ne vaut les organisations locales dynamiques et combatives. Aux personnes qui s'émeuvent de notre prétendue obstination stérile quant au boycottage des élections, nous répondons que nous désignons la lune, mais que vous regardez notre doigt.
«Il n'y a pas d'autres options»
Comme le laissait entendre Churchill, la démocratie (libérale) serait la moins pire des formes de gouvernement, et donc la seule valable. Cette conclusion quelque peu fataliste porte à croire que le système contemporain serait «naturel»: qu'il serait l'aboutissement indépassable de l'évolution politique et sociale des deux cents dernières années. Or, comme le fait remarquer Albert Hirschman dans Deux siècles de rhétorique réactionnaire, cette thèse de l'«équilibre politique trouvé» n'est pas nouvelle: elle était notamment professée au début du XIXe siècle alors que des opposants aux réformes démocratiques «mettaient de l'avant qu'il y avait un équilibre satisfaisant entre éléments de monarchie, d'aristocratie et de démocratie». Arrogant, ce darwinisme politique évacue la capacité des êtres humains à innover et à transformer l'environnement qui les entoure. Nous n'avons pas encore exploré tous les possibles.
***
Thomas Lafontaine - Candidat au doctorat science politique à l'Université de Montréal et Philippe Lapointe - Candidat à la maîtrise en science politique à l'UQAM


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->