Mesurer la «québécité»?

Réplique - La «québécité» de Michael Sabia

"Cette remise en question de la «québécité» de personnes ne partageant pas le caractère «pure laine» avec la majorité francophone, est regrettable" - OUPS...



Michael Sabia s'était préparé à un tir groupé en commission parlementaire, lundi, à Québec, mais l'eau a débordé du vase lorsque le député Jean-Martin Aussant a remis en question l'allégeance du nouveau patron de la Caisse de dépôt et placement envers le Québec.
«Quelqu'un qui tente de vendre un fleuron montréalais à Toronto ne correspond peut-être pas à l'interprétation de tout le monde sur la défense des intérêts du Québec», a lancé le député du Parti québécois. M.Aussant faisait référence à la transaction - finalement avortée - qui aurait vu le fonds de retraite des enseignants de l'Ontario, Teachers, prendre le contrôle de la société BCE, qu'a dirigée M.Sabia entre 2002 et 2008. Cet achat aurait pu mener, ce qui est hautement spéculatif, au transfert du bureau chef de BCE de Montréal vers Toronto.

Cette allusion de M.Aussant n'avait rien à voir avec le travail des élus de l'Assemblée nationale sur le dossier de la Caisse de dépôt et placement, sur ses pertes de 39,8 milliards$ pour l'année financière 2008, soit 25% de son portefeuille, ni avec les plans de M.Sabia pour éviter qu'une telle catastrophe ne se reproduise. Il s'agissait plutôt d'une triste attaque personnelle visant à le dénigrer parce que certains ne le considèrent pas assez Québécois pour diriger une institution si chère au coeur et au portefeuille des Québécois que la Caisse.
Cette remise en question de la «québécité» de personnes ne partageant pas le caractère «pure laine» avec la majorité francophone, est regrettable. Des voix mettent en doute l'adhésion de ces gens aux «valeurs communes» des Québécois sans trop bien les définir, ni préciser le niveau auquel un candidat deviendrait acceptable. Cette «québécité», on l'a perçue de façon sous-jacente pendant les audiences de la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables. On l'entend trop souvent lorsqu'un non-francophone, qu'un non-catholique, qu'un membre d'une minorité visible s'exprime publiquement sur un thème qui soulève un peu la controverse. Parfois c'est à mots couverts, comme si la cible était victime d'une quelconque maladie honteuse. Parfois c'est au grand jour, comme l'a fait Jean-Martin Aussant. À chaque fois, il faut s'insurger contre cette citoyenneté réductrice qui est aux antipodes d'un Québec accueillant, tolérant et ouvert sur le monde.
Cette ouverture du Québec, c'est précisément l'argument que M.Sabia a utilisé avec justesse en réponse à ce coup de poignard sournois. Visiblement irrité, il a rappelé que ses grands-parents étaient arrivés d'Italie et s'étaient installés à Montréal parce qu'ils croyaient «aux valeurs d'ouverture» dans la Belle Province. Né en Ontario, M.Sabia a pris la décision de s'installer au Québec, il y a 16 ans, et un homme de son niveau n'a pas de frontières. En choisissant la Caisse de dépôt et placement, il choisissait consciemment le Québec.
L'ère Sabia chez BCE a certes été controversée. Son bilan peut être discuté. Mais qu'il soit compris que lorsque Teachers a dirigé un consortium qui avait l'intention de prendre le contrôle de BCE, le mandat de Michael Sabia n'était pas de protéger avant tout le caractère québécois de l'entreprise, mais bien de prendre la meilleure décision pour les actionnaires et pour BCE elle-même.
Ceci n'est pas un chèque en blanc envers M.Sabia. Les qualités qu'il apporte à la Caisse peuvent très bien faire l'objet de questionnements. Nous pouvons s'informer du mandat qu'il a reçu de ses supérieurs, tout comme il est permis de douter des chemins qu'il veut emprunter pour ramener la Caisse vers les rendements positifs. Des questions lui ont d'ailleurs été posées sur le rôle potentiel que la Caisse pourrait, selon certains, ou devrait, selon d'autres, jouer au sein des grandes sociétés québécoises et qui pourraient faire l'objet de prises de contrôle étranger, comme la Banque Nationale, SNC-Lavalin ou CGI, par exemple.
Voilà les débats importants qui doivent occuper les élus à propos de la Caisse de dépôt et placement du Québec, et pas le niveau acceptable ou non de citoyenneté québécoise de son premier dirigeant.
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réplique


La «québécité» de Michael Sabia

Sur le fond, on ne peut qu'être d'accord avec l'éditorial de Pierre Jury, «Mesurer la 'québécité'?» (LeDroit, 6mai). Que viendrait donc faire, effectivement, un questionnement du caractère «québécois» de Michael Sabia, nouveau pdg de la Caisse de dépôt et placement, dans son processus de nomination?
Mais il faudrait une bonne dose de paranoïa et de rectitude politique pour lier la question tout à fait légitime de l'Opposition quant à la vente avortée de BCE à Teachers, qui aurait effectivement été à l'encontre des intérêts du Québec, et la supposée obsession pure laine de ladite Opposition. M.Sabia a choisi sciemment de monter sur ses grands chevaux, et de tourner la question en question identitaire.

Contrairement à ce que dit l'éditorialiste, il n'est pas hautement spéculatif de constater qu'un propriétaire ontarien n'aurait rien eu à faire d'un siège social au Québec. Lorsque l'on laisse nos principaux leviers économiques à des Ontariens ou à des Albertains, les sièges sociaux déménagent et il ne nous reste que peau de chagrin. La triste coquille qu'est devenue la Bourse de Montréal est fort éloquente à ce sujet. Il est plus que temps que l'on cesse de s'autoflageller sur le sens de l'ouverture du Québec, comme l'éditorialiste le fait: où est-elle, cette belle ouverture, en Ontario et dans le reste du Canada? De quand date le dernier gouverneur francophone de la Banque du Canada? Y en a-t-il jamais eu un? Peut-on imaginer, en Ontario, des ministres francophones à la Justice et à l'Immigration, comme nous avons des anglophones à ces postes névralgiques au Québec?
Non, dans le cas de M.Sabia, qui n'a pas d'expérience de gestion de fonds de placement gigantesques, il y a tout lieu de tester sa compréhension de la notion des intérêts du Québec, aussi nébuleux soient-ils actuellement.
Ce n'est pas sa faute si ses maîtres politiques ont péché par imprécision de ce côté depuis 2003. Le fait qu'il ait choisi une réponse aussi chargée, qui semble avoir précipité cette défense tout aussi exagérée de M.Jury, démontre soit une partialité politique évidente à l'encontre de l'Opposition, soit une incompréhension de la question ou même de son fondement réel. Quelle que soit la raison, il y a tout lieu de s'en inquiéter, au lieu de lui donner le bénéfice du doute du martyr identitaire.
André Dorion, Gatineau
Le Droit 8 mai 2009


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