Lutte à la collusion : le pari risqué des libéraux

Au fond, le ministre Martin Coiteux veut donner une chance à la réhabilitation. Le hic ? Il brûle les étapes et il omet l’importance du principe de dissuasion, dit le blogueur Brian Myles.

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Aucun désir sincère de réforme

Le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, a ouvert une nouvelle phase inquiétante dans la lutte contre la corruption et la collusion, cette semaine, avec le dépôt du projet de loi 26.
Depuis l’adoption de la loi sur l’intégrité par le gouvernement Marois, une entreprise qui a brisé les règles dans l’attribution des contrats publics, en se rendant coupable de collusion, de corruption ou autres magouilles, est privée automatiquement de contrats pour une durée de cinq ans.
L’Autorité des marchés financiers (AMF) procède aux vérifications d’usage, de concert avec l’Unité permanente anticorruption (UPAC), avant d’autoriser les entreprises intègres à soumissionner sur les contrats publics. L’AMF tient aussi le Registre des entreprises non admissibles (RENA).
Le ministre Coiteux n’aime pas le caractère «automatique» de la privation de contrats pour une durée cinq ans en cas de faute. Il propose de donner à l’AMF un peu de flexibilité pour qu’elle puisse retirer une entreprise du RENA, à la condition de s’assurer qu’elle respectera à l’avenir les plus hautes normes en matière d’intégrité.
En bon libéral, il veut «protéger l’économie du Québec». «Les entreprises dont il est question ont un rôle clé dans notre économie et sont d’importants créateurs d’emplois», a-t-il expliqué.
C’est toujours la même rengaine. Le gratin du «Québec inc.» est à ce point inquiet pour la survie et l’essor du «Québec inc.» qu’il est prêt à tolérer et à excuser les dérives. Il en va de la survie de notre modèle.
On voit bien qui a l’oreille du gouvernement Couillard : le lobby des affaires. Le cri d’alarme du président de SNC-Lavalin, Robert Card, a été bien entendu à Québec.
M. Card a déclaré récemment au Globe and Mail que le cabinet de génie conseil serait contraint de vendre ses actifs ou même de fermer s’il était accusé de corruption encore une fois. Un beau chantage pour éviter d’assumer les pleines conséquences des années de vol, et surtout pour éviter de rembourser les sommes perçues en trop.
Avec le projet de loi 26, il suffira aux artisans de la collusion de dire : «Pardon, je ne recommencerai plus» pour obtenir l’absolution de l’évêque Coiteux.
M. Coiteux veut assouplir la loi pour tenir compte du fait qu’une entreprise fautive peut avoir entrepris des efforts sérieux de redressement, en raffermissant ses règles de gouvernance et en limogeant les administrateurs fautifs.
Dessau l’a fait, SNC-Lavalin aussi. Pourquoi faudrait-il leur donner une punition majeure double, alors qu’un petit deux minutes au banc des punitions suffit à les faire réfléchir ?
Au fond, le ministre Coiteux veut donner une chance à la réhabilitation. Le hic ? Il brûle les étapes et il omet l’importance du principe de dissuasion.
N’importe quel dirigeant d’entreprise le moindrement futé y pensera deux fois avant de briser les règles, s’il risque d’être écarté des marchés publics pour une durée de cinq ans.
Cette disposition de la loi est un redoutable incitatif pour que les entreprises restent sur le droit chemin. C’est d’autant plus important que les bases de la «culture éthique» souhaitée par la juge France Charbonneau sont encore fragiles.
L’interdiction de cinq ans vise également à rééquilibrer un marché qui est resté trop longtemps fermé. La poignée d’entrepreneurs et de cabinets de génie conseil qui se partageaient les contrats publics à Montréal, à Laval ou ailleurs au Québec, de même qu’au ministère des Transports, ont asphyxié leurs concurrents pendant des années. Ils étaient devenus si gros et si influents qu’ils agissaient comme un état parallèle. Après avoir pris la plus grosse part du gâteau, ils laissaient des miettes à la concurrence.
Les as de la collusion et de la corruption ont faussé le jeu de la libre concurrence, ils ont compromis la croissance d’entreprises rivales et ils ont réduit la possibilité, pour l’État, de réaliser ses ouvrages publics à des prix compétitifs.
La collusion, faut-il le rappeler, a entraîné une hausse de 30 à 40 % du coût normal des travaux. Sortir ces requins de l’étang, c’est permettre à des petits poissons de prendre un peu de coffre.
Par ailleurs, le projet de loi 26 vise à faciliter la récupération de «dizaines de millions de dollars» payés en trop en raison de la collusion. Les entreprises fautives pourront faire un remboursement volontaire dans les 12 prochains mois. À l’expiration du délai, elles pourraient être poursuivies au civil, dans le cadre de procédures allégées.
C’est un pas dans la bonne direction, mais en faisant miroiter aux dirigeants d’entreprises des assouplissements dans la période d’interdiction de cinq ans, le gouvernement Couillard se prive d’un puissant argument de négociation.
Il s’interdit aussi de renouveler le bassin d’entrepreneurs et de cabinets de génie conseil aptes à faire des travaux d’envergure. Dans un Québec qui a étouffé pendant trop longtemps sous les oligopoles, c’est un pari risqué.


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