FRANCHEMENT (TANNÉ DE) MARTINEAU

Lettre ouverte à l’intéressé

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise



Monsieur Martineau,


Voilà bien longtemps que je me retiens de m’exprimer sur l’ensemble de votre œuvre, mais étant chargé de cours de profession et docteur en littérature de formation, je ne me sens plus le droit moral de surseoir davantage.

En filigrane ou de façon parfois moins subtile, vous vous présentez invariablement au public comme le « payeur de taxes moyen », vous autorisant de la sorte à poser en représentant légitime de la loi du « gros bon sens ».

Quels sont vos revenus annuels, Monsieur Martineau ? Oui, je répète : combien gagnez-vous par année, toutes sources confondues ? On vous voit partout. Ne m’apprenez pas que vous recourez aux banques alimentaires pour joindre les deux bouts. Vous me direz que ces informations n’ont pas à être divulguées mais à mon sens, prétendre que vos salaires cumulatifs équivaudraient au budget moyen des ménages québécois serait tout bonnement indécent. Jusqu’à preuve du contraire, je vous considère comme appartenant à la strate objectivement privilégiée de notre société. Mais pour vous aider dans votre démarche, je vous dévoilerai mes propres émoluments depuis septembre dernier : comme contractuel enseignant, j’ai été rétribué par l’Université de Sherbrooke, avant retenues, 44 500 $ pour 1125 heures de travail. Et savez-vous quoi ? Je juge que cela représente un revenu plus qu’adéquat pour pratiquer un métier que j’adore et qui me permet de rester en contact avec ceux que vous n’avez cesse de qualifier d’ « enfants gâtés ». Les enfants gâtés de qui, exactement, nous parlez-vous ? Je crois qu’il existe chez vous une réelle et constante confusion entre le tout et la partie.

Vous n’aimez pas les barbus. Pour ma part, j’exècre les toilettés, j’entends par là cette race de caniches gominés qui, jappant à tue-tête dans l’immense enceinte dorée du château de leur maître, s’imaginent avoir le droit d’exprimer leurs justes angoisses à telle enseigne qu’elles seront entendues jusqu’aux confins les plus misérables de son royaume.

Je croirai que le Québec est en faillite lorsque plus personne n’y sera riche. Nous sommes loin de la coupe aux lèvres. La province est dans le trou parce que son aristocratie tient mordicus au maintien de son train de vie, dont le « charme discret » scandalise de plus en plus de gens.

Vous aimez citer les classiques ? Merci pour Platon. Voici Jean-Jacques Rousseau : « Voulez-vous donner à l’État de la consistance ? Ne souffrez ni des gens opulents ni des gueux. Ces deux états, naturellement inséparables, sont également funestes au bien commun ». Or à quoi assiste-t-on depuis des décennies ? Au mouvement inverse.

J’enseigne depuis 1990 et la tendance est lourde : mes étudiants ont de plus en plus de mal à survivre. Réduire 12 semaines de débrayage à un caprice d’enfant me révolte. Et suggérer qu’un avenir économique brillantissime les attend me révulse car les principaux intéressés me semblent avoir compris un principe pourtant fondamental : à partir du moment où la formation universitaire deviendrait gratuite et accessible à tous, quelle justification éthique pourraient trouver certaines strates professionnelles à réclamer des salaires que j’estime somptuaires pour ma part ?

Quelles sont les facultés universitaires où l’on trouve les étudiants les plus indifférents à la hausse des frais de scolarité ? Administration, génie, sciences appliquées, médecine et droit. Étonnons-nous. Notre crémeuse élite, celle-là même qui, non contente d’utiliser légalement les dispositions fiscales et corporatives qui pourtant l’avantage infiniment au détriment du bien commun, n’hésite pas à verser parfois dans l’illégalité pure et simple. Il faut bien que le « milieu » se reproduise et continue de quadriller à son avantage l’espace politique et médiatique.

En ce qui me concerne, Monsieur Martineau, je vous donnerai licence de vous pavaner dans l’orbite de l’hystérie réactionnaire lorsque vous admettrez être personnellement favorisé par le régime en place. Vous n’avez aucune raison, vous, de manifester. Que les mandarins de Québec Inc., les Desmarais, Péladeau et consorts paient, eux, leur « juste part », avant de lâcher leurs poodles sur ceux à qui on la réclame et qui sont nombreux à revendiquer une plus grande justice sociale.

Et je laisse Rousseau conclure : « Cette égalité, disent-ils, est une chimère de spéculation qui ne peut exister dans la pratique. Mais si l’abus est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins le régler ? C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité que la force de la loi doit toujours tendre à la maintenir ».

Il y a quelque chose d’aussi pourri au Québec que dans la France pré-révolutionnaire. Et ce n’est pas sa jeunesse.


François Landry

Chargé de cours

Université de Sherbrooke
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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    4 mai 2012

    Très bien dit monsieur Landry

  • Archives de Vigile Répondre

    4 mai 2012

    C'est très bien dit. Que M. Martineau s'en gargarise.