par Laura-Julie Perreault - La Cour suprême du Canada rendra ce matin une des décisions les plus attendues de l'année. Et pas seulement au pays. À Washington et à Londres, tout comme à Sydney et à Copenhague, on surveillera de près le verdict du plus haut tribunal du pays sur les certificats de sécurité.
Après huit mois de délibérations, la Cour déterminera ce matin si la mesure utilisée par le gouvernement pour détenir et expulser de présumés terroristes est compatible avec les droits de la personne et les obligations internationales du Canada.
«Tous les pays occidentaux ont adopté à peu près les mêmes mesures pour faire face au terrorisme et là, une de ces mesures passe le test d'un tribunal important. La décision va faire le tour de la planète en quelques minutes», affirme François Crépeau, professeur de droit à l'Université de Montréal.
La décision canadienne, qui sera disponible sur Internet dès 9 h 45, enrichira la jurisprudence internationale et pourrait influencer les parlements occidentaux dans l'élaboration de nouvelles lois liées à la lutte contre le terrorisme, soutient M. Crépeau.
Selon l'organisation Human Rights Watch, qui surveille de près la contestation des certificats de sécurité devant la Cour suprême depuis plus d'un an, le verdict canadien tombe à point. «Il y a une tendance mondiale à utiliser le droit de l'immigration pour mener la guerre au terrorisme, car ce droit offre moins de garanties de protection. La Norvège, la Suède et les Pays-Bas essaient de rendre le renvoi d'étrangers plus facile», explique Julia Hall, de Human Rights Watch, jointe à New York cette semaine.
Mesure exceptionnelle
Julia Hall rappelle que les certificats de sécurité n'existent que dans la loi canadienne sur l'immigration et la protection des réfugiés et ne touchent que les individus qui ne détiennent pas la citoyenneté. Selon la loi, le gouvernement peut délivrer ces certificats afin d'interdire l'accès au territoire à des personnes jugées dangereuses pour la sécurité nationale.
Le gouvernement n'a pas à porter d'accusations contre les individus ni à leur intenter de procès. Il doit cependant prouver que le certificat, basé sur des soupçons, est raisonnable. Pour ce faire, les autorités exposent à un juge de la cour fédérale l'ensemble de la preuve amassée au sujet de l'individu. Si certaines informations sont jugées «sensibles», elles sont présentées à huis clos, sans la présence de la personne soupçonnée. À la suite de cet examen, si le juge détermine que le certificat est raisonnable, la personne peut être expulsée.
Pendant l'étude du certificat, l'individu peut être détenu. Une personne visée par un certificat peut quitter le pays à tout moment.
Pour l'instant, cinq hommes musulmans, soupçonnés d'entretenir des liens avec des organisations terroristes, font l'objet de certificats de sécurité au Canada. Trois d'entre eux sont détenus. Les deux autres ont été mis en liberté, mais doivent respecter des conditions sévères. Tous affirment qu'ils seront torturés s'ils sont retournés dans leur pays d'origine.
Vies en jeu
Ces cinq hommes seront les premiers touchés par la décision de la Cour suprême. «La décision m'angoisse tellement que j'en ai perdu l'appétit. C'est mon avenir qui se joue», a dit mercredi à La Presse Adil Charkaoui, un Montréalais d'origine marocaine visé par un certificat depuis 2003.
M. Charkaoui est à l'origine de la contestation des certificats de sécurité devant la Cour suprême. Il espère que la loi dans sa forme actuelle sera abolie et qu'il retrouvera son entière liberté.
Mais la plupart des avocats impliqués dans la cause croient que la Cour suprême en décidera autrement. Lors des audiences en juin dernier, le gouvernement canadien a demandé aux juges du plus haut tribunal du pays de lui accorder un délai d'un an pour ajuster le tir si les magistrats concluent que des parties de la loi sont inconstitutionnelles.
Le gouvernement canadien souligne qu'il n'utilise les certificats que très rarement, et en cas de nécessité absolue.
Depuis 1978, il n'en a délivré que 27.
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Un seul jugement, plusieurs enjeux
La Cour suprême ne rendra qu'un seul jugement ce matin, mais on sait déjà que la décision embrassera plusieurs enjeux. Petit guide pour s'y retrouver.
Constitutionnalité
Les certificats de sécurité violent-ils la Charte des droits enchâssée dans la Constitution? Le Montréalais Adil Charkaoui, soupçonné de lien avec un groupe terroriste marocain, a plaidé en juin, par l'entremise de ses avocats, que la mesure viole son droit à la justice fondamentale. M. Charkaoui affirme qu'en ne connaissant pas toute la preuve retenue contre lui, il n'a pas accès à une défense pleine et entière. Au nom de la sécurité nationale, seul le juge et le gouvernement ont en effet accès à une partie de la preuve jugée «sensible». La décision de la Cour à ce sujet pourrait aussi avoir un impact important sur les différentes commissions d'enquête présentement en cours.
Procès secrets et avocat spécial
L'avocat de Mohammed Harkat a aussi attaqué le secret qui entoure les certificats et a proposé une solution de rechange à la pratique courante. M. Harkat aimerait que la Cour impose un avocat spécial qui assisterait aux huis clos et qui aurait comme mandat de représenter les intérêts de la personne visée par un certificat. Soupçonné de liens avec Al-Qaeda, M. Harkat a été arrêté en 2002 et est présentement assigné à résidence.
Détention arbitraire
Certains des hommes visés par les certificats de sécurité sont détenus depuis plus de cinq ans, sans qu'aucune accusation n'ait été portée contre eux. Cette détention est-elle arbitraire et donc contraire à la Charte? Est-ce que la menace de renvoi qui plane sur les hommes visés, leur faisant craindre la torture, équivaut à un traitement cruel et inusité? Ces questions ont été posées à la cour par l'avocate d'Hassan Almrei. Membre présumé du réseau ben Laden, l'homme d'origine syrienne est détenu depuis octobre 2001.
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