Les certificats de sécurité ne répondent pas aux exigences d'une société libre et démocratique

Extraits du jugement unanime de la Cour suprême signé par la juge en chef Beverly McLachlin

Loi antiterroriste



L'article 7 de la Charte exige que les lois qui portent atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne respectent les principes de justice fondamentale -- c'est-à-dire les principes fondamentaux qui sous-tendent notre conception de la justice et de l'équité procédurale. Ces principes comprennent une garantie d'équité procédurale, liée aux circonstances et aux conséquences de l'atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité.
L'article 7 de la Charte exige non pas un type particulier de procédure, mais une procédure équitable eu égard à la nature de l'instance et des intérêts en cause. Les mesures procédurales requises par la justice fondamentale dépendent du contexte. On peut prendre les intérêts sociétaux en considération pour clarifier les principes applicables de justice fondamentale.
Contrairement à l'article premier, l'article 7 ne soulève pas la question de savoir si l'atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne est justifiée, mais plutôt celle de savoir si l'atteinte a été portée en conformité avec les principes de justice fondamentale. [...] Il faut se demander si la procédure est fondamentalement inéquitable envers la personne touchée. [...]
Ainsi, bien que l'analyse visant à déterminer si une procédure est fondamentalement inéquitable puisse tenir compte de contraintes administratives particulières liées au contexte de sécurité nationale, les questions de sécurité ne peuvent servir à légitimer, à l'étape de l'analyse fondée sur l'art. 7, une procédure non conforme à la justice fondamentale. [...]
Terribles conséquences
Le pourvoi a pour contexte la détention de résidents permanents et d'étrangers, que les ministres considèrent comme une menace pour la sécurité nationale, accessoirement à leur renvoi ou à une tentative de les renvoyer du Canada.
Ce contexte peut engendrer certaines contraintes administratives qui peuvent, à bon droit, être prises en considération à l'étape de l'analyse fondée sur l'art. 7. Tous les renseignements qui servent de fondement à l'affaire ne peuvent peut-être pas être divulgués. Il est possible que le pouvoir exécutif doive agir rapidement, sans recourir, du moins au départ, à la procédure judiciaire exigée normalement lorsqu'il y a atteinte à la liberté ou à la sécurité d'une personne.
Par ailleurs, ce contexte risque d'avoir des conséquences importantes -- en fait, terrifiantes -- pour la personne détenue. L'importance des intérêts individuels en jeu fait partie de l'analyse contextuelle. Comme la cour l'a affirmé dans Suresh: «Plus l'incidence de la décision sur la vie de l'intéressé est grande, plus les garanties procédurales doivent être importantes afin que soient respectées l'obligation d'équité en common law et les exigences de la justice fondamentale consacrées par l'art. 7 de la Charte.» [...]
Les conséquences possibles d'un renvoi combiné à des allégations de terrorisme sont cruellement ressorties dans le rapport récent de la Commission d'enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar.
Citoyen canadien né en Syrie, M. Arar a été détenu par les autorités américaines et expulsé vers la Syrie. Le rapport a conclu qu'en «prenant les décisions de détenir M. Arar puis de le renvoyer en Syrie, les autorités américaines se sont très probablement appuyées sur l'information concernant M. Arar que leur avait fournie la GRC», notamment des soupçons non fondés reliant M. Arar à des groupes terroristes.
En Syrie, M. Arar a été torturé et détenu durant 11 mois dans des conditions inhumaines. Dans son rapport, le commissaire O'Connor a recommandé un renforcement des mécanismes d'examen et de reddition de comptes pour les organismes menant des activités reliées à la sécurité nationale, ce qui inclut non seulement la Gendarmerie royale du Canada, mais aussi Citoyenneté et Immigration Canada et l'Agence des services frontaliers du Canada. Il a fait remarquer que ces organismes reliés à l'immigration peuvent avoir une forte incidence sur les droits individuels, mais qu'ils manquent de transparence dans leurs activités parce que celles-ci impliquent souvent des renseignements sensibles touchant la sécurité nationale qui ne peuvent être rendus publics.
En outre, en raison de la nature sensible des renseignements de sécurité, les enquêtes donnent lieu à moins de poursuites, ce qui restreint pour les tribunaux la possibilité de garantir les droits individuels: «À moins que des accusations ne soient déposées, le choix des cibles des enquêtes, les méthodes de collecte et d'échange d'information et les méthodes d'enquête en général ne feront pas l'objet d'examen judiciaire, de couverture médiatique ou de discussion publique.»
Offrir une protection véritable
Les mesures requises pour assurer la justice fondamentale doivent tenir compte des exigences propres au contexte de la sécurité. Il faut toutefois s'assurer que l'essence de l'article 7 demeure intacte. Les principes de justice fondamentale ne peuvent être réduits au point de ne plus offrir la protection de l'application régulière de la loi qui constitue le fondement même de l'art. 7 de la Charte.
Il se peut que cette protection ne soit pas aussi complète qu'en l'absence de contraintes liées à la sécurité nationale. Mais il demeure qu'il ne saurait y avoir conformité avec l'art. 7 sans une protection véritable et substantielle. [...]
La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) est censée répondre aux exigences de la justice fondamentale essentiellement grâce à un mécanisme -- soit l'examen du caractère raisonnable du certificat d'interdiction de territoire et le contrôle de la détention par le juge désigné.
Il faut reconnaître que le législateur a essayé sincèrement de conférer au juge désigné les pouvoirs nécessaires pour qu'il s'acquitte de sa tâche de manière indépendante, en se fondant sur les faits et sur le droit. Cependant, le secret requis par le processus empêche la personne désignée de savoir ce qui lui est reproché et, partant, de contester la thèse du gouvernement. Ce qui a ensuite pour effet de miner la capacité du juge de rendre une décision fondée sur l'ensemble des faits et du droit pertinents.
En dépit des efforts déployés par les juges de la Cour fédérale pour insuffler un caractère judiciaire à la procédure établie par la LIPR, elle ne garantit pas la tenue de l'audition équitable dont une personne doit bénéficier en vertu de l'art. 7 de la Charte avant que l'État porte atteinte à son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne. Par conséquent, je conclus que la procédure d'examen du caractère raisonnable d'un certificat établie par la LIPR n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale visés à l'art. 7 de la Charte. [...]
Atteinte justifiée?
Pour atteindre son objectif, le législateur n'est pas tenu d'utiliser la solution parfaite, ou celle qui soit la moins attentatoire. Cependant, tout en gardant à l'esprit le respect dû aux choix législatifs du Parlement, j'estime que les solutions mentionnées démontrent que la LIPR ne porte pas le moins possible atteinte aux droits de la personne désignée.
Sous le régime de la LIPR, le gouvernement détermine en fait ce qui peut être divulgué à la personne désignée. Non seulement cette dernière n'a pas accès aux renseignements et n'est pas autorisée à participer à la procédure qui la concerne, mais seul le juge peut prendre connaissance des renseignements pour protéger les intérêts de la personne désignée. Rien n'explique pourquoi les rédacteurs de la loi n'ont pas prévu qu'un avocat spécial examine objectivement les documents pour protéger les intérêts de la personne désignée, comme cela se faisait pour l'examen des attestations de sécurité par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (organisme qui surveille les activités du Service canadien du renseignement de sécurité) et comme cela se fait présentement au Royaume-Uni.
Du point de vue de la personne désignée, le recours à un avocat spécial n'est peut-être pas parfait puisque celui-ci ne peut communiquer l'information confidentielle. En revanche, un tel système protège mieux les droits de la personne désignée garantis par l'art. 7, et ce, sans compromettre la sécurité.
Je conclus que les procédures d'examen du caractère raisonnable des certificats et de contrôle de la détention établies par la LIPR ne peuvent se justifier parce qu'elles ne portent pas le moins possible atteinte au droit d'une personne à une décision judiciaire fondée sur les faits et sur le droit, et à son droit de connaître la preuve qui pèse contre elle et d'y répondre.
Des mécanismes conçus au Canada et à l'étranger démontrent que le législateur peut faire mieux qu'il ne l'a fait dans la LIPR pour protéger les individus tout en préservant la confidentialité des renseignements sensibles. C'est au législateur qu'il appartient de déterminer précisément quels correctifs doivent être apportés, mais il est évident qu'il doit faire davantage pour satisfaire aux exigences d'une société libre et démocratique.


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