Les vraies raisons du sous-financement de Radio-Canada

Chronique d'André Savard

Quand on parle du financement de Radio-Canada, il y a deux volets à considérer. Il y a le volet « production » et le volet politique. Ce dernier volet l’emporte de loin pour expliquer les décisions prises depuis plus de vingt ans.
Les motivations réelles du gouvernement ne font pas partie d'habitude des énoncés officiels. Au moment des annonces budgétaires, année après année, le mot « politique » est banni. On préfère parler d’offres de services et d’intégration du réseau sur tout le territoire canadien.
Quand on parle de budget, on ne se réfère qu’au contexte économique puis aux devoirs de l’Etat canadien de maintenir des services.
Aux présentations du budget dévolu à Radio-Canada, la bienséance veut que l’on justifie les décisions par les nécessités d’une économie dépolitisée. En dehors de ces moments budgétaires, les élus disent plus ouvertement ce qu’il en est. Radio-Canada n’est pas une institution sans message. Sa mission première est d’en favoriser un en particulier. La société d’Etat tout en étant pluraliste doit assurer un point de vue dominant.
Elle est l’institution fédérale par excellence qui doit montrer que, d’un océan à l’autre, nous sommes, nous, citoyens canadiens, nés pour nous développer personnellement, nés pour aimer ce pays qui nous en donne la chance si librement dans toutes ses régions où abondent spécificités et différences. C’est la vulgate, le grelot à faire tinter.
Ce qui justifie le budget de Radio-Canada, c’est la capacité de rencontrer sa mission. Si un milliard de dollars suffit pour que Radio-Canada atteigne son objectif premier, il n’y a pas de raisons d’augmenter son budget. Qu’on le veuille ou pas, il n’y a pas de raisons pour le Fédéral d’investir des sommes supplémentaires si ses sommes ne sont pas l’auxiliaire du politique.
À cause de cela, il y a belle unanimité autant de la part des gouvernements conservateurs que libéraux pour toujours restreindre le budget de Radio-Canada. Pour tous ces gouvernements, la question est de savoir si le télédiffuseur d’Etat assure le niveau de représentation nationale dont le citoyen canadien a besoin.
Pour le canadien anglais, le sentiment d’appartenance au Canada et le patriotisme bon teint dominent. Le budget à Radio-Canada anglais vise donc d’abord à donner un service aux citoyens anglais qui veulent avoir droit à une couverture médiatique plus spécifiquement régionale.
On veut aussi se tailler une part du marché américain grâce à des fictions locales. Les téléromans à saveur torontoise montreront quelques identités exclusives, des hindous par exemple dans le creuset canadien.
L’écriture de téléromans au Canada a une portée totalement différente de ce qui a lieu au Québec. Au Canada, c’est un produit différencié qui vise à rallier une partie de l’auditoire. Un peu comme pour le marché sportif, Radio-Canada fait figure de « ligue de l’expansion » dans le grand mercantilisme nord-américain.
En ce qui touche le budget à Radio-Canada français, il y a apparente similitude des objectifs. Le but officiel est le maintien de l’offre de services dans la deuxième langue officielle et la promotion de l’unité nationale. Dans les faits, cette identité des objectifs entre les services anglais et français ne les empêche pas de faire face à des défis bien différents.
Radio-Canada aurait perdu toute crédibilité si, au Québec, la société d’Etat avait promu la vision pancanadienne exactement comme elle est partagée au Canada. Aux oreilles québécoises, le message eut paru unidimensionnel, de l’embrigadement pur et simple.
Radio-Canada, s’il s’agissait simplement de permettre aux francophones de déchiffrer dans sa propre langue les monotones prédications unitaristes, aurait vite donné l’impression aux Québécois de regarder par l’œil de la serrure. Le fédéralisme canadien devait à la fois s’affirmer au réseau français tout en assurant le parrainage des nationalismes québécois. On a beau financer Radio-Canada pour promouvoir l’unité canadienne, le réseau français ne pouvait échapper à une pragmatique de la démocratie pour s’ajuster à la clientèle.
D’année en année, le Fédéral, indifféremment du parti politique au pouvoir, a constaté que la pragmatique de la démocratie instituée par Radio-Canada a défini les normes pour les autres médias privés francophones. On parle du Québec conformément à son titre officiel de province et on respecte l’équilibre des affiliations partisanes.
Vous retrouverez à l’écran les fédéralistes et tribuns indépendantistes, preuve de la diversité sociale, preuve qu’on peut bien vivre au Canada sans être solidaire du nouvel empire. Quant aux artistes, auteurs, chanteurs, spécialistes des variétés, ils font dans le divertissement et l’abstention politique.
Si tout n’est pas congruent avec le message unitariste canadien, l’ensemble s’inscrit dans le cadre opératoire de Radio-Canada. Il marche. Objectif atteint. Le jour où Radio-Canada ne définira plus la pragmatique de la démocratie et les normes de description de la politique, vous verrez son budget augmenter rapidement pour rétablir la balance en faveur du pouvoir canadien.
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Entre-temps, crise ou pas, la tendance sera à la stagnation ou aux restrictions budgétaires. Les gens du milieu artistique, eux, chahutent parce que des diffuseurs nationaux ailleurs sur cette planète sont autrement plus financés.
Les artisans du spectacle vous parleront des moyens accordés à la production d’œuvres télévisuelles. Cependant la population s’est habituée à moins depuis longtemps.
Nous nous en sommes aperçus le jour où Radio-Canada a diffusé la télésérie Omertà. Les critiques notaient que le calibre supérieur de l’émission venait du fait que chaque épisode était tourné avec les moyens de production d’un téléfilm. On remarquait alors qu’il n’y avait à peu près pas de précédents. Il y avait beaucoup d’extérieurs, un jeu de caméras de qualité, une trame sonore inédite faite exprès pour accompagner les scènes, signée par le groupe Jazz Uzeb.
On se doute bien que les créatifs n’aiment pas se confiner dans un langage statique, une caméra, des scènes sans ressource. Les artisans de la télévision, pour convaincre le politique, disent que si Radio-Canada n’offre pas d’œuvres originales, les autres pans de son offre de service risqueront d’être moins attrayants. Donc, la vraie question ce n’est pas tant d’aider les créateurs que d’avoir une production de référence par rapport aux concurrents.
Or, ni TVA ni Quatre Saisons ne fonctionnent avec des productions qui se distinguent par leur qualité ou par la hauteur de leurs moyens. En fait, les gens du milieu du spectacle québécois sont tellement habitués au régime minceur qu’ils ont développé une expertise en petits budgets. Beaucoup de producteurs américains font appel à des Québécois précisément parce qu’ils sont habitués de tirer des effets notables avec très peu de sous.
Pour ce qui est de la production anglaise, les autorités canadiennes n’ont pas eu d’autres choix que de lancer la serviette face à la concurrence des médias anglos. Les médias de langue anglaise en Amérique du Nord ont des moyens de production immenses. Cela n’est pas si grave au plan de l'unité nationale car les Canadiens ont ajusté leurs attentes au sujet de leur propre réseau. Ils veulent des nouvelles spécifiquement canadiennes et un reflet de leur communauté locale.
Au Canada, Radio-Canada occupe son créneau exclusif dans les marchés télévisuels à tendance locale. Les politiciens ne voient pas trop l’utilité de financer Radio-Canada pour concurrencer une plus large part du marché nord-américain. L’investissement parait d’autant plus inutile que les talents marquants finiront par s’expatrier à Hollywood sans souffrir de la barrière de la langue.
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En conclusion, Ottawa occupe le champ de télécommunications. Il est normal que tout soit d’abord pensé pour assurer la médiatisation du point de vue canadien. L’intérêt est politique et ne vise qu’en second lieu le développement d’une culture québécoise, compatible d’ailleurs avec le mandat de Radio-Canada.
Même si des professionnels des médias perdent leur emploi à chaque coupure, on comprendra que celles-ci ne peuvent susciter chez les intellectuels québécois un grand réflexe de défense identitaire.
La première victime de cette situation c’est la culture québécoise qui doit s’emboîter dans un champ des télécommunications fait sur mesure pour les intérêts canadiens.


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3 commentaires

  • Jean-Yves Durocher Répondre

    2 avril 2009

    C'est facile de blâmer Ottawa pour les problèmes de RadCan, mais il faudrait il voir de plus près.
    Naturellement c'est le National Post qui a un différent idéologique avec la CBC-RadCan, mais pour une fois il est tombé sur la bonne piste. 70% des coupures se font au niveau du terrain et 30% à l'administration!
    En fait, il serait possible de couper un bon $200,000,000 dans CBC/RadCan et avoir une meilleure programmation.
    Par exemple, RDI-Newsworld, jamais capable de faire ses frais et hors du mandat législatif. Idem pour la folie WEB, nulle part dans la loi de la radiodiffusion, mais possible dans celle de l'ONF. Oublions la radio satellite.
    La vérité c'est que CBC/RadCan est un monstre bureaucratique qui fait honte à la chanson de Desjardins sur les fonctionnaires. C'est plein de faiseux, d'incompétents et le moindre 'étrange' qui fait son boulot se fait foutre dehors. Demandez les détails à l'ex directeur de la programmation, Mario Clément.
    C'est sans compter que comme boîte elle pue pas mal. On connaît peu d'exemple de pays de l'Ouest (à part la France) ou on considère normal de passer du bureau du premier ministre à directeur de l'information.
    En fait, il faudrait que CBC/RadCan montre son vrai visage, une seule et unique chaîne télé, bilingue et doublée avec un bulletin national qui alterne de jour en jour entre Montréal et Toronto, la radio traduite sur deux réseaux.
    Faut être conséquent. Défendre RadCan c'est défendre ceux qui en veulent à mort aux indépendantistes. Demandez à Philpot ou Bourgeois pour voir.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    31 mars 2009

    Sur une ligne ouverte du midi de la radio de Radio-Canada, ce mardi 31 mars, le sujet porte sur le CHUM. L'animateur s'anime bien volontiers sauf les 3 ou 4 fois où des intervenants posaient une question ou commentaient sur la pertinence de construire à Montréal un CHUM pour les 80% de parlant français et un autre CHUM pour les 10% de parlant ANGLAIS... silence radiocanadien...

  • Fernand Lachaine Répondre

    30 mars 2009

    Monsieur Savard,
    Sûrement que c'est dommage pour ceux et celles qui vont perdre leur job à R-C cependant je ne suis pas de ceux qui vont pleurer à la suppression de postes de travail dans cet organisme.
    Sur le plan culturel je suis tout à fait d'accord avec vous: c'est une perte énorme car les programmations de TVA et TQS étant au niveau des pâquerettes, il est évident que des Québécois vont "s'ennuyer" de R-C.
    Cependant au fil du temps, au plan politique, R-C est devenu de plus en plus l'organe officiel ou la courroie de transmission de la propagande fédéraliste. Pour les payeurs de taxes indépendantistes, souverainistes, nationalistes qui à chaque occasion, R-C leur pousse l'unité canadian dans la gorge avec leur argent, vous admetterez que si cela se passait du côté anglophone. il y aurait "mutinerie".
    Malheureusement, contrairement aux anglos, nous nous occupons peu de nos affaires. Année après année nous constatons une baisse dans la quantité et la qualité des services offerts par le fédéral. Les fédéralistes voulant garder le statu quo ne parlent pas fort et les souverainistes se chicanent entre eux. Pas le temps pour les intérêts supérieurs du peuple du Québec.
    Il est grand temps que nous nous prenions en main. Par exemple ne pensez-vous pas que Radio-Québec pourrait remplacer adéquatement R-C. À la condition, cependant, qu'il y est volonté politique, ce que le présent gouvernement "provincial" n'a sûrement pas.
    Fernand Lachaine