Les travailleurs doivent profiter de la nouvelle richesse

« Peu importe le gouvernement et les partis politiques, ils vont être obligés de composer avec nous »

Syndicalisme québécois



Fédération des travailleurs du Québec

Relations avec les gouvernements en place. Effets négatifs de la mondialisation. Tensions ethniques en milieu de travail. Révision du mode de négociation dans le secteur public. Crise majeure dans les domaines manufacturier et forestier. Autant de dossiers majeurs qui interpellent la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) à l'aube de la fête annuelle de son demi-million de membres.
Malgré la montée du néolibéralisme, Henri Massé, président de la FTQ, ne croit pas que les dirigeants politiques québécois tentent de «tasser» le mouvement syndical dans le coin, comme pourraient le laisser croire certaines déclarations. «Dans les faits, on travaille quand même sur plusieurs dossiers incontournables. Peu importe le gouvernement et les partis politiques, ils vont être obligés de composer avec nous, comme nous on doit le faire avec eux.» Il en veut pour exemple la dernière campagne électorale: «Que ce soit du côté de l'ADQ ou du Parti libéral, il n'y a pas eu d'attaque envers le syndicalisme.»
Cela dit, il reconnaît que le climat est plus difficile: «On est dans un contexte de mondialisation. Il y a des gens du monde des finances et certaines entreprises - heureusement ce n'est pas le cas de la majorité d'entre elles - qui voudraient avoir des lois du travail à l'américaine et tout ce qui s'ensuit: il y a toujours une pression dans ce sens qui s'exerce sur de telles lois.» Existe-t-il toujours une collaboration entre l'appareil gouvernemental et les centrales? «Ça dépend des contextes. Dans le secteur forestier, nous avons travaillé ensemble de façon assez importante. On participe actuellement à un sommet sur la forêt conduit par l'université Laval et le gouvernement du Québec, sans mener le jeu, est présent. À propos des enjeux sectoriels, il y a encore des débats qui se font ici, même s'il n'y a pas eu récemment de grands sommets, à la mode de Lucien Bouchard, sur les finances publiques et l'économie. Pour autant, ça ne nous a pas empêchés de travailler.»
Des signes encourageants au sud
Les Américains sont en train de modifier sensiblement leur code du travail et, une fois que ce projet de loi, qui a déjà été sanctionné clairement par la Chambre des représentants, sera adopté par le Sénat, ce code s'apparentera à celui en vigueur au Québec. Le président se félicite d'un tel changement: «On vient de passer 25 années de mondialisation durant lesquelles on nous avait promis la grande prospérité et une meilleure répartition de la richesse; ce n'est pas tout à fait ce qui s'est passé.»
À ce sujet, il cite une étude du Fonds monétaire international (FMI): «Celle-ci montre que la part des revenus du PIB des travailleurs est passée de 68 à 61 % dans les pays bien nantis de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), soit une perte de 7 %. C'est le premier rapport des gens du FMI dans lequel ils admettent, du bout des lèvres, qu'il y a eu une augmentation des richesses assez impressionnante mais que, malgré cette prospérité, la part des travailleurs a baissé. C'est un sujet de réflexion autant aux États-Unis que chez nous.»
Le déraisonnable et le gros bon sens
La FTQ est présente dans de nombreux milieux de travail à caractère multiethnique. Le brasse-camarade sur les accommodements s'est-il répercuté à ces endroits? «On en a eu quelques exemples: j'ai eu certains cas dans une entreprise d'aéronautique. Il y a à la FTQ un comité sur le multiculturalisme et, dans tout le débat entourant les accommodements, des gens ont témoigné qu'ils avaient vécu des situations plus difficiles, mais sans parler de folie furieuse; il est plutôt question d'accrochages qui n'avaient pas lieu auparavant.»
La FTQ se propose aussi de participer à la commission Bouchard-Taylor sur cette épineuse question: «On est en train de se préparer et, dans ce but, on mène une enquête dans nos nombreux milieux de travail multiethniques.» Une chose est déjà certaine: «On va se prononcer pour la laïcité de tous nos grands espaces publics. On a toujours été très clair là-dessus en ce qui a trait aux écoles, aux cégeps et aux universités. Pour ce qui est des institutions publiques, on dit qu'elles sont de caractère laïque, donc il ne devrait pas y avoir de passe-droit: c'est la même règle pour tout le monde.»
Selon lui, ce sont des controverses comme celle au sujet de la présence des arbres de Noël dans des lieux publics qui viennent jeter de l'huile sur le feu: «Il existe une petite minorité très agissante qui vient nous demander d'enlever cela. Pour le reste, il y a eu des accommodements portant sur des questions religieuses ou sur des handicaps physiques; habituellement, on a réussi à s'arranger avec cela, même si ce n'est pas toujours facile. On va s'outiller et on va se prononcer devant la commission.» Pour lui, «tout est affaire de gros bon sens dans ce débat qui doit avoir lieu».
Un jugement favorable aux syndicats
Le Bureau international du travail (BIT) a condamné le décret gouvernemental qui a imposé par la loi 142 les conditions de travail aux 500 000 travailleurs du secteur public. Plusieurs organisations réclament le retrait de cette loi. La FTQ va plus loin: «Dans le fond, on voudrait réformer le régime de la négociation, qui est rempli de mesures répressives épouvantables. Il y a là des clauses qu'on retrouve normalement dans une loi spéciale, notamment dans le secteur de la santé où ça existe depuis une vingtaine d'années: un petit geste de travers et vous pouvez perdre trois mois d'ancienneté. Il n'y a plus véritablement de négociation car, en bout de ligne, si rien ne fonctionne, le gouvernement arrive avec une loi spéciale.»
Les syndicats sont pris dans un carcan: «La situation est difficile parce qu'on a les salariés les plus mal payés au Québec. On a un rattrapage à effectuer par rapport aux ensembles canadiens et par rapport au secteur privé; dans une quinzaine de fonctions où on retrouve passablement de monde, les salaires sont même plus bas que ceux du secteur privé non syndiqué.»
«Il y a des limites...» Et il en tire cette conclusion: «On va devoir se donner des mécanismes de conciliation pour que des gens de l'extérieur viennent aider à résoudre les impasses dans les négociations. On travaille sérieusement sur ce point et on a commencé à se lancer la balle avec les autres organisations pour trouver des solutions; on va compléter nos travaux dans les prochains mois.» Reste à savoir quel sera l'accueil patronal: «Je ne le sais pas, mais le jugement du BIT ce n'est pas rien même si cela n'a pas de dents juridiques.»
La maison manufacturière est en feu
Henri Massé y va d'une boutade pour décrire les revers sérieux que subit le domaine manufacturier: «La maison brûle et on jase de la couleur des murs.» Est-il trop tard pour éteindre le feu et comment y arriver? «Non, il n'est pas trop tard. On avait proposé de tenir un sommet à ce sujet et on a mis cet événement de côté durant les élections. On va relancer ce projet. Que ce soit un sommet ou autre chose, tous sont d'accord pour admettre qu'il faut prendre le taureau par les cornes dans ce secteur, comme il a été démontré au dernier Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre où siègent les employeurs, le gouvernement et les organisations syndicales.»
Il ne sert à rien de se tourner vers le passé ou de chercher des coupables pour expliquer les retards pris sur le plan de la productivité: «On a un retard technologique et il faut le combler au moment où les horizons sont favorables, parce que plusieurs personnes s'en vont à la retraite; on peut donc procéder à cette opération sans créer trop de dommages sur l'emploi.»
Pas question donc de baisser les bras et d'abandonner à son sort le secteur manufacturier. «Au Conseil, on est tous unanimes par rapport à cette position. Il faut conserver ce secteur qui, souvent, fait vivre des services comme le marketing et l'informatique. Il s'agit de trouver des solutions et dans ce but, il faut qu'on se parle et qu'on soit les meilleurs.»
Le fédéral n'a pas répondu à l'appel
Le gouvernement québécois a consenti de louables efforts pour soutenir l'industrie forestière en crise. Ont-ils été suffisants, selon le président de la FTQ? «Si le fédéral était venu coupler les mesures du provincial, ça le serait. Je trouve qu'on a des demi-mesures. On n'a malheureusement pas été capable de convaincre le gouvernement d'Ottawa d'embarquer.»
Il en explique la raison: «C'est un gouvernement idéologique en matière d'économie. Du cas-par-cas, ils ne croient pas à cela. Ils ne veulent pas adopter de politiques pour un sous-secteur donné, même s'il est en très grande difficulté. Eux, c'est une vision "at large", macro-économique. Ils ont supprimé la taxe sur le capital; de cette façon, ils ont donné de l'argent aux banques et aux pétrolières.» Il a tout de même été possible de résoudre une partie des problèmes inhérents à la main-d'oeuvre grâce à l'intervention de Québec.
Collaborateur du Devoir


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