Difficile de cohabiter avec « le pire gouvernement de l'histoire du Québec »

« Ce n'est pas avec le discours impuissant des lucides qu'on va arriver à faire progresser la société »

Syndicalisme québécois

Syndicat de la fonction publique du Québec
Le Syndicat de la fonction publique du Québec n'a pas fini d'en découdre avec le gouvernement Charest. Son président général, Michel Sawyer, se dit préoccupé par les retombées futures des dernières élections et le renforcement du pouvoir de Monique Jérôme-Forget au sein du nouveau cabinet. Il croit cependant au pouvoir de la société civile et au syndicalisme pour faire progresser le Québec, refusant de céder au «fatalisme» des lucides.
Joint au lendemain du dévoilement de la nouvelle composition du Conseil des ministres, le président général du Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ), Michel Sawyer, fulmine. «En nommant Monique Jérôme-Forget comme ministre des Finances, présidente du Conseil du trésor, ministre responsable de l'Administration gouvernementale et ministre des Services gouvernementaux, Jean Charest a prouvé qu'il n'a strictement rien compris au message d'insatisfaction que lui a lancé la population le 26 mars dernier! Tout ce qu'il y a de positif dans cette annonce, c'est l'atteinte de la parité hommes-femmes.»
Déjà inquiet devant la nouvelle conjoncture politique à l'Assemblée nationale, le syndicaliste d'expérience croit que l'élargissement de la tâche de Monique Jérôme-Forget n'augure rien de bon pour la fonction publique québécoise. «Son bilan est peu élogieux. C'est sans doute la "dame de fer" du gouvernement, mais si on se réfère aux actions posées par la première femme qui a été surnommée ainsi, Margaret Thatcher, on est en droit de se faire du souci.»
« Une tache pour le Québec »
«La "job" syndicale n'est pas évidente ces temps-ci», dit Michel Sawyer. Il rappelle le désastre des dernières négociations du secteur public, qui se sont soldées par l'adoption sous le bâillon du controversé projet de loi 142 en décembre 2005. Tout en imposant les conditions de travail aux employés de l'État, cette loi spéciale gelait les salaires pour une période de deux ans et trois mois.
Le Bureau international du travail a blâmé sévèrement le gouvernement du Québec pour avoir brimé la liberté d'association syndicale lors de ces pourparlers. «C'est une tache pour le Québec qui a pourtant une belle réputation sur la scène internationale en matière de syndicalisme», croit-il.
Le SFPQ n'a pas digéré, par ailleurs, l'étalement des ajustements salariaux sur une période de six ans - au lieu des quatre années prévues par la Loi sur l'équité salariale - qui privera les travailleurs du secteur public de dizaines de millions de dollars. «Et ce, après avoir gelé pendant plus de deux ans les salaires des employés de l'État soi-disant pour payer l'équité salariale», précise le syndicat.
Des effectifs en manque
Quant à la fameuse «réingénierie» de l'État, le président du SFPQ estime que le régime minceur imposé aux fonctionnaires a fini par altérer les services publics. En maintenant sa politique de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite, le gouvernement a coupé plus de 3700 postes. Couplée au gel complet du recrutement de fonctionnaires réguliers ou occasionnels, cette mesure se traduit par un manque d'effectifs important sur le terrain et un recours abusif à la sous-traitance, selon M. Sawyer.
«Par exemple, le nombre d'inspections relatives à l'environnement a diminué de façon importante, passant de 25 037 inspections en 2003-2004 à 22 962 en 2005-2006, alors que le Plan stratégique 2005-2008 du ministère prévoyait atteindre la cible de 30 000 inspections en 2007», indique le syndicaliste. Selon lui, le gel de l'embauche, qui devait se terminer à la fin du mois de mars, se poursuivra jusqu'au mois de juin. Au Conseil du trésor, on confirme cette décision en précisant qu'aucune date butoir n'a été décrétée pour le moment.
Michel Sawyer persiste et signe. «Au regard de l'administration des relations de travail, le gouvernement Charest a été le pire gouvernement de l'histoire du Québec. Il a fait preuve d'une arrogance absolue, a cherché la confrontation et a négligé le dialogue.» Pour le moment, le premier ministre et sa «dame de fer» ne se rachètent pas à ses yeux.
Il trouve «drôlement effronté» que le gouvernement aille de l'avant avec les baisses d'impôt promises en campagne électorale, alors qu'il n'y a pas si longtemps, Monique Jérôme-Forget affirmait ne pas avoir de milliard de dollars caché sous sa chaise lors des négociations avec le secteur public. «Le premier ministre n'a pas changé, remarque le président général du SFPQ. C'est un homme de mémoire, rancunier. Malgré les résultats des élections, il adoptera la même approche que lorsqu'il était majoritaire.»
La force du nombre
Devant l'intransigeance du gouvernement Charest, Michel Sawyer compte beaucoup sur la force du Secrétariat intersyndical des services publics (SISP), qui regroupe près de 300 000 membres issus de quatre organisations syndicales, le SFPQ, la Centrale des syndicats du Québec, le Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec. Depuis sa création en mars 2005, le SISP travaille au maintien et à la sauvegarde du secteur public. Déjà partie prenante de l'organisation, l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux en joindra officiellement les rangs en juin prochain.
«C'est l'une des plus belles réalisations de ma carrière, affirme le syndicaliste. C'est la première fois qu'un regroupement naît de la sorte, sans être relié au cadre des négociations. Je crois que le SISP deviendra un joueur incontournable puisqu'il est le seul à être implanté de façon unitaire dans les secteurs de la fonction publique, de la santé et de l'éducation.»
Dessine-moi un État
Si les temps sont durs pour les héritiers de Michel Chartrand, ils n'en retroussent pas moins leurs manches, comme en témoigne le programme du colloque des militants du SFPQ, qui se déroulera les 13, 14 et 15 juin prochain. Intitulé «L'État que nous voulons», l'événement réunira des sociologues, des politologues, des économistes et des politiciens qui, dans une approche pédagogique, expliqueront les rouages du courant néolibéral. «Ce sera un moment privilégié pour bien s'approprier les éléments en jeu», croit M. Sawyer.
L'assemblée pourra alors se plaire à tracer les contours d'un ministère de la Répartition de la richesse, d'un ministère de l'Administration publique au service des citoyens, d'un Office de l'éradication des paradis fiscaux, d'une Régie de la répartition équitable du fardeau fiscal entre les entreprises et les particuliers et, pourquoi pas, d'une Commission de la valorisation de la carrière dans la fonction publique.
Utopistes, ces propositions? «Pas du tout, s'exclame le syndicaliste. Ce n'est pas avec le fatalisme et le discours impuissant des lucides qu'on va arriver à faire progresser la société. Sans l'espoir, pensez-vous que les femmes auraient obtenu leur congé de maternité dans les années 70? Pensez-vous que Jean Lesage aurait pu introduire l'assurance maladie, la nationalisation de l'hydroélectricité, la Régie des rentes? [...] L'objectif n'est pas de tout réaliser demain, mais de le faire un jour.»
Lors du colloque, les militants auront l'occasion de discuter de la fonction publique, malmenée par les politiques de l'État et par l'opinion publique. Le SFPQ veut redonner ses lettres de noblesse à la profession de fonctionnaire, qui devrait travailler au service du bien commun et non à celui du client bénéficiaire.
Autrefois choisie par les jeunes travailleurs pour y faire carrière, la fonction publique fait désormais figure d'école, voire de tremplin, pour la génération actuelle. «La moitié des jeunes qui entrent aujourd'hui dans la fonction publique l'auront quittée d'ici cinq ans, déclare Michel Sawyer. Dans les années 70, on pouvait monter les échelons. Maintenant, on observe une régression d'emploi. Le climat de travail est acceptable, mais c'est "limite". En plus, trois employés sur dix ont un statut d'employé précaire.» Les conditions salariales se sont également dégradées. Selon l'Institut de la statistique du Québec, la rémunération des fonctionnaires accusait un retard de 15 % par rapport aux salaires du secteur privé.
Le recrutement difficile, conjugué au gel de l'embauche et au désengagement social, ne facilitent évidemment pas le renouvellement des membres du SFPQ. «Nous avons une branche de l'organisation plus jeune et très impliquée, mais c'est vrai que plusieurs se désintéressent de la vie syndicale, observe le président général. On doit faire sortir les jeunes de leur individualisme pour les amener vers le collectif à partir des valeurs qui leur sont propres, comme la stabilité et la reconnaissance.» Et à ceux qui considèrent les activités syndicales comme une série de négociations et de batailles sans fin, Michel Sawyer offre cette réponse: «Être syndicaliste, c'est tout simplement aimer les copains, comme disent mes amis français!»
Collaboratrice du Devoir


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