La solidarité s'impose

«Les patrons et les politiciens doivent cesser de dénigrer les organisations syndicales et travailler plutôt avec elles»

Syndicalisme québécois

Explosion du nombre de travailleurs atypiques, mondialisation, concurrence étrangère, profits records des grandes multinationales, crise dans l'industrie manufacturière: les syndicats doivent actuellement faire face à différents défis relatifs au monde du travail en pleine mutation. Ils doivent aussi essuyer les attaques de différents acteurs de la société qui n'hésitent pas à les dénigrer publiquement. À l'heure du repositionnement essentiel des grandes centrales syndicales, deux spécialistes se prononcent sur les grands défis qu'elles ont à relever.
Lors de la mise à jour de son classement des 500 compagnies américaines les plus importantes pour leur chiffre d'affaires, le magazine Fortune a annoncé que 2006 avait été une année record. Le bénéfice total des 500 entreprises a grimpé à 785 milliards, une hausse de 29 % par rapport à 2005. «Les entreprises américaines jouissent de l'ère la plus rentable depuis les 53 années d'existence du classement», estime Fortune.
Toutefois, les salaires des travailleurs ne sont pas entraînés par la vague. Au contraire, soutient le titulaire de la chaire d'études socioéconomiques de l'UQAM et professeur au département des sciences comptables, Léo-Paul Lauzon. «Partout en Occident, les salaires baissent et le nombre de travailleurs atypiques explose. Au Québec, il y en a maintenant un million, et ça augmente constamment. Ainsi, la richesse des entreprises ne profite pas aux travailleurs, ni à l'État, ni, par ricochet, aux services publics, mais aux détenteurs de capitaux.»
Les syndicats sous pression
Selon Léo-Paul Lauzon, les syndicats ont beaucoup moins de pouvoir qu'ils en avaient et que certains laissent encore croire. «Le patronat et les politiciens parlent des syndicats comme si c'était eux qui avaient le gros bout du bâton. Prenez André Boisclair, en campagne électorale, qui disait qu'il allait les mettre au pas! En réalité, ce ne sont pas les syndicats qui sont en situation de pouvoir, ni les politiciens, mais les multinationales», affirme M. Lauzon.
Pour sa part, le directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT) et professeur à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal, Gregor Murray, ne va pas jusqu'à dire que le mouvement syndical québécois est en crise. «Le Québec réussit à maintenir son taux de syndicalisation», indique-t-il. Toutefois, il affirme que le mouvement syndical subit des pressions considérables.
Différents secteurs, différents défis
D'abord, regardons le secteur privé mondialisé. «Les entreprises manufacturières doivent faire face à la concurrence étrangère. Pour affronter cette nouvelle réalité, elles doivent arriver à avoir un bon dialogue avec les syndicats et travailler avec eux à faire de la formation professionnelle, à développer des stratégies, à établir des plans d'investissement et des politiques de redressement. Ce n'est pas vrai que c'est seulement en réduisant leurs dépenses que les entreprises du Québec arriveront à concurrencer celles de la Chine. Un énorme travail est à faire dans ce secteur d'activité et pour y arriver, les patrons et les politiciens doivent cesser de dénigrer les organisations syndicales et travailler plutôt avec elles», affirme M. Murray.
Les syndicats ont également tout un défi à relever dans le secteur privé non mondialisé, qui inclut entre autres les finances, les communications et la vente au détail, où le taux de syndicalisation est plus faible et où l'on vit de graves problèmes de précarité. «Ce secteur est une véritable bombe à retardement. Dans la vente au détail par exemple, la vaste majorité des travailleurs non syndiqués n'a pas de régime de retraite. C'est très inquiétant pour le futur. De plus, les entreprises non syndiquées mettent énormément de pression sur celles qui sont syndiquées. D'ailleurs, si les travailleurs de ce secteur cherchent de plus en plus à former des syndicats, ils ont souvent de la difficulté à y arriver puisque les employeurs leur mettent des bâtons dans les roues», explique M. Murray.
Dans le secteur public, où le taux de syndicalisation est en expansion, tout n'est toutefois pas rose. «Le secteur doit gérer différents problèmes, comme la précarité de plusieurs travailleurs, la pression liée à la charge de travail qui augmente, le vieillissement de la main-d'oeuvre, les cicatrices laissées par les négociations de 2005, sans oublier les frictions entre les différentes organisations syndicales», soutient M. Murray.
Valoriser le travail des syndicats
Pour faire face aux nombreux défis auxquels ils sont confrontés, les syndicats doivent d'abord, selon M. Murray, mettre de l'avant les bienfaits de leurs actions. «Car c'est clair que les travailleurs syndiqués bénéficient de plusieurs avantages que les travailleurs non syndiqués n'ont pas, comme des régimes de retraite et des salaires plus élevés.»
Selon le directeur du CRIMT, les syndicats doivent également élargir leur terrain d'action. «Agir lors de la négociation de conventions collectives ne suffit plus. Les syndicats doivent maintenant intervenir sur les plans de la diffusion d'information économique, des investissements et de la restructuration des entreprises, de la formation de la main-d'oeuvre, mais aussi, dans certains cas, dans le développement régional», croit-il.
Les syndicats doivent également se redéfinir en fonction de la nouvelle génération qui accède au monde du travail. «Tout changement de génération s'accompagne d'un changement de valeurs. Il y a aujourd'hui une plus grande diversité en milieu de travail et les syndicats doivent s'adapter. On dit également que la nouvelle génération est plus individualiste. Les syndicats doivent donc arriver à se renouveler en prenant en considération ces changements», indique M. Murray.
Enfin, Léo-Paul Lauzon croit que les syndicats doivent d'abord s'allier à différents acteurs de la société (partis politiques, groupes communautaires, mouvements étudiants, médias, etc.) pour ensuite mobiliser la population et lutter contre la déréglementation des marchés. «Il faut se battre, puisque ça marginalise les travailleurs et que ça fait augmenter le nombre de travailleurs atypiques. Les travailleurs doivent retrouver un rapport de force avec l'entreprise. Et surtout, il ne faut pas oublier que seul, on ne peut pas négocier ses conditions de travail avec un employeur; on se les fait imposer. Pour s'en sortir, il faut se regrouper.»
Collaboratrice du Devoir


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