Les souliers orange de Pauline

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Marois - "Québécoise !" - autobiographie

Quelques pages sont consacrées au « couple antinomique » que Pauline Marois a formé dès l’âge de 16 ans avec Claude Blanchet. (Photo Jean-Marie Villeneuve, Le Soleil)

Pauline Marois avait son poudrier dans une main et son rouge à lèvres dans l’autre quand je suis entrée dans son bureau. Une dernière retouche avant que le photographe ne laisse aller son flash.

En lançant son autobiographie Québécoise !, la chef péquiste veut détruire l’image de bourgeoise hautaine qui lui colle à la peau. Juste un peu de maquillage, mais pas trop. Un tailleur-pantalon noir des plus sobres. De petites boucles d’oreilles, mais pas de collier. Et les chaussures ? Elles étaient noires. Mais je ne saurais vous dire si c’était des chaussures de designer.
(Lire un extrait du livre de Pauline Marois)
Je parle des souliers parce que c’est la première chose dont parle elle-même Pauline Marois dans cette autobiographie sans grand éclat publiée chez Fides. Elle raconte que, au collège privé Jésus-Marie de Sillery, où ses parents de milieu modeste avaient tenu à l’envoyer, elle portait un uniforme et que rien ne la distinguait de ses camarades mieux nanties. Rien, sauf les souliers. Elle rit en évoquant ce souvenir.
« Moi, j’achetais mes souliers chez Zellers dans le fond (Towers, à l’époque). Je me rends au collège et je me rends compte que tout le monde achète ses souliers chez Simard & Voyer et chez Mayfair ! Je ne pouvais même pas m’imaginer que des gens paient des souliers aussi cher ! »
Pourquoi commencer son autobiographie en racontant ça ? Parce que c’était la première fois, dit-elle, qu’elle découvrait qu’il y avait des classes sociales et des différences entre ceux qui avaient de l’argent et ceux qui n’en avaient pas. Une découverte qui l’a beaucoup marquée, dit-elle. C’est ainsi que la première chose qu’a faite Pauline Marois quand elle a commencé à travailler, à l’âge de 17 ans, c’est de se rendre chez Simard & Voyer et de s’offrir des souliers à talons hauts d’un orange éclatant.
Une paire à 25 $, ce qui était une fortune pour cette fille de mécanicien dont la mère faisait des ménages pour payer l’école privée. « C’était une façon pour moi de dire : « Moi aussi, je vais être capable de me démarquer un jour. « Finalement, c’était un peu enfantin. Mais à partir de là, je suis restée une amoureuse de souliers. J’en ai quelques paires dans mon placard. » Elle rit.
Les souliers orange de Pauline Marois l’ont suivie durant toute sa carrière, d’une certaine façon. Pour le meilleur et pour le pire. Pour elle, il s’agit d’un symbole de dignité, une façon de dire : « Moi aussi, je suis capable. » Mais l’image que cela renvoie est tout autre. Et elle en est bien consciente. Le tapage autour de son luxueux manoir de L’Île-Bizard, dont elle ne veut pas parler, n’a pas aidé sa cause.
« Les gens ont l’impression que tout a été facile pour moi, que tout m’est tombé dans les mains, que je suis née avec une cuillère d’argent dans la bouche. Mais ce n’est pas ça, ma réalité ! » répète-t-elle.
Avec ce livre empreint de rectitude politique, « pas intéressant pour les chroniqueurs politiques », précise-t-elle, elle tente donc de montrer qu’elle est une femme « simple », comme toutes les autres, « qui a vécu des tensions avec son conjoint, qui a vécu la naissance de ses enfants en même temps qu’elle était au travail ».
Quelques pages sont consacrées au « couple antinomique » qu’elle a formé dès l’âge de 16 ans avec Claude Blanchet – qui deviendra plus tard cet ex-directeur de la SGF dont la mauvaise presse lui nuit encore. Antinomique parce qu’elle, étudiante en travail social, voulait refaire le monde, lutter contre la misère et les inégalités, alors que lui, dont les parents avaient un « gaz bar » et une cabane à patates frites, rêvait d’être millionnaire avant 30 ans. Au « Pauline snack-bar », surnom donné à leur premier appartement à Sainte-Foy, où la jeune Pauline cuisinait pour tout le monde, les discussions étaient vives.
À un point tel qu’il vint un moment où la « petite séparatiste socialiste », comme l’appelait Robert Campeau (le promoteur immobilier pour qui travaillait Claude Blanchet), a sommé son capitaliste de mari de choisir son camp.
« Je ne m’imaginais pas vivre avec quelqu’un dont l’objectif était essentiellement de faire fortune et d’être bien nanti. Comme j’étais très engagée dans le milieu communautaire, je lui ai dit : «Si tu veux que l’on continue à cheminer ensemble, il faut que tu t’investisses un peu au niveau social, que tu fasses des choix différents. « Et ça a changé sa vie. C’est sûr qu’il a réussi à atteindre ses objectifs financiers. Mais en même temps, il s’est engagé dans des entreprises collectives », dit-elle en mentionnant entre autres le Fonds de solidarité FTQ.
Son côté « travailleuse sociale » a ainsi déteint sur son mari. Et lui, en quoi a-t-il déteint sur elle ? Elle hésite. « Ce qui a déteint sur moi, c’est peut-être en partie l’ambition. » Ambition qu’on lui a d’ailleurs reprochée, comme si une femme ambitieuse était nécessairement suspecte.
Claude Blanchet lui a aussi appris « à ne pas avoir peur de l’argent », dit-elle. Car il y avait chez elle un côté « idéaliste pur », selon lequel l’argent corrompt. « Lui me disait toujours : « Tu sais, quand on est indépendant de fortune, on peut faire les choix qu’on veut. On n’est pas susceptible de pressions, de chantage.»
Pauline Marois revient aussi dans ce livre sur ce qu’elle appelle un des épisodes « les plus farfelus » de sa vie politique : les fameuses « toilettes de la ministre », qui ont donné naissance, dit-elle, à cette « légende urbaine » de ministre « dépensière aux goûts luxueux ». « J’ai eu tellement honte. Ça m’a tellement blessée. Parce que je ne suis pas dépensière ! » Elle rectifie aussitôt. « C’est-à-dire que je suis dépensière POUR MOI. Mais jamais pour l’État. »
Neuf ans plus tard, peu importe ce qu’elle fait, même si elle rappelle qu’il ne s’agissait même pas des toilettes de son bureau, cette histoire la poursuit. Récemment attaqué à propos de sa prime de 50 000 $ à l’ADQ, Mario Dumont a répliqué en brandissant la carte démagogique des fameuses toilettes. « Ça me met en maudit chaque fois ! » lance-t-elle.
Dans le chapitre consacré à ses années Bouchard, Pauline Marois raconte avoir lancé à Lucien Bouchard, au moment où il lui a demandé de passer de l’Éducation à la Santé : « Lorsque ça va mal quelque part, c’est toujours à une femme qu’on demande de prendre la relève. » N’est-ce pas un peu ce qui lui arrive encore, elle que l’on a appelée après que le navire eut coulé et qui est désormais prise entre des radicaux qui la trouvent trop modérée et des modérés pour qui elle est trop « vieille garde » ? « La situation était très difficile au parti. Ils ont misé sur quelqu’un qui avait au moins de l’expérience. Et, plus humblement, je suis peut-être leur dernière chance. Mais je ne me sens pas comme ça. »


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