Les querelles belges sont aussi économiques

Chronique de José Fontaine

Le conflit communautaire en Belgique revêt également une dimension économique et sociale importante. Et on ne s'en étonnera pas puisque la Belgique n'a toujours pas de gouvernement. Les Wallons, les Flamands et les Bruxellois ne parviennent toujours pas à s'entendre sur une réforme de l'Etat et un programme politique, économique et social à réaliser au niveau fédéral. Cela presque un an après les élections fédérales du 13 juin 1970 et 14 mois après la chute du gouvernement fédéral qui les avait provoquées.
Le cri de guerre des patrons flamands en 1926
Lorsque fut fondé en 1926 le Vlaams Economisch Verbond (association patronale flamande) son premier patron, Lieven Gevaert, déclara lors de la séance inaugurale :
« Nous devons avoir avant tout conscience que l'organisme que nous appelons à la vie doit être sérieux comme le doit l'être quelque chose qui doit aider effectivement à l'émancipation morale et matérielle de notre peuple... C'est pourquoi le but que nous avons doit être bien précisé : nous désirons que notre langue occupe dans les affaires la place qui lui revient de droit et, que la puissance économique qui jusqu'ici se trouve en grande partie entre les mains de nos adversaires, passe lentement aux mains de Flamands convaincus et conscients, qui l'emploieront à revigorer et fortifier la communauté flamande.» (Cité par Michel Quévit, Les causes du déclin wallon, Editions Vie Ouvrière, Bruxelles, 1978, p. 90. C'est l'auteur qui souligne).
Voilà bien la dimension économique et sociale dans le mouvement flamand. Pour le Michel Quévit de la fin des années 70, cette déclaration et la politique qu'on peut deviner derrière, avait aussi comme finalité d'assurer l'hégémonie du patronat flamand dans la Flandre elle-même.
Quévit oppose à cela la bourgeoisie francophone dont la finalité est plus clairement économique et sociale : « les rapports sociaux sont directement rapportés à leur substrat réel : l'antagonisme de classe » (p. 89). Au contraire, pour la bourgeoisie flamande, « le champ économique ne doit pas être le lieu d'affrontements entre les classes sociales à l'intérieur de la société flamande, le conflit social fondamental est un conflit de communauté à communauté. La politique économique acquiert ainsi une dimension régionale. » (p.90).
Le Vlaams Economisch Verbond a fusionné en 2002 avec les chambres de commerce en Flandre pour former le Vlaams netwerk van ondernemingen (réseau flamand des entreprises, en abrégé VOKA). On dit parfois que le VOKA est le vrai patron du parti nationaliste flamand devenu le premier parti de Flandre et de Belgique, la NVA (Nieuwe Vlaamse Alliantie, Nouvelle Alliance Flamande), qui désire une réforme profonde de l'Etat fédéral belge impliquant de très nombreux transferts de compétences du pouvoir fédéral vers les Régions, mais également une régionalisation profonde de la fiscalité en vue de responsabiliser les entités fédérées en ce qui concerne leurs politiques économiques. C'est un peu le programme du VOKA qui remet en cause également certains aspects de la législation sociale belge comme le fait que les chômeurs touchent des allocations sans limite dans le temps. A moyen ou long terme, il y a également une tendance à vouloir que la sécurité sociale soit complètement régionalisée. Ce à quoi s'opposent les deux grands syndicats de travailleurs (la FGTB - syndicats socialistes - plus implantée en Wallonie; et la CSC - syndicats chrétiens - plus implantée en Flandre). Dans la mesure où ils pensent que la Sécurité sociale régionalisée serait aussi une Sécurité sociale dénaturée.
Le programme du VEV en 1926 est une réussite au plan économique
Dans quelle mesure peut-on dire que le programme du VEV de 1926 a été rempli? Dans la mesure où, alors que, en 1926, c'est la Wallonie qui était la région économique la plus riche du pays, c'est aujourd'hui la Flandre qui l'est devenue, ayant un PIB/habitant largement supérieur à la moyenne européenne et la Wallonie un PIB/habitant largement inférieur (entre 70 et 80% de la moyenne européenne). Le dépassement s'est effectué durant les années 60 et a été connu au début des années 70, à l'époque où, du fait de l'épuisement de ses mines de charbon et du fait des difficultés de sa sidérurgie et d'autres entreprises, la Wallonie, en crise structurelle depuis 20 ans, subissait également de plein fouet la crise conjoncturelle des années 70-80 qui frappa tout le monde.
En termes de Produit régional brut (qui mesure les revenus du travail et du capital perçus par les Wallons les Flamands et les Bruxellois quelle que soit la localisation de la production), Bruxelles représente 12,8%, soit un peu plus que le pourcentage de sa population en Belgique, la Flandre 60,6% soit en gros l'équivalent du pourcentage de sa population et la Wallonie 26,6% soit moins que le pourcentage de sa population ( 32% de la population belge) et cela depuis deux ou trois décennies.
Bien qu'il soit de notoriété générale que les transferts entre Régions belges soient parmi les plus faibles d'Europe, la Flandre les remet en cause et les Wallons le sachant, se sont lancés, surtout depuis 2005 et la mise en oeuvre d'un plan de relance baptisé Plan Marshall, à rattraper le retard qu'elle a sur le développement de la Flandre. Le patron du VOKA donne encore 10 à 12 ans (interview dans La Libre Belgique de ce 1er juin), à la Wallonie pour réduire cet écart après quoi, vu l'élargissement des compétences des Etats fédérés belges et la lente évolution du Royaume de Belgique vers une confédération d'Etats indépendants, chacun devra se débrouiller lui-même.
Mais la Flandre a-t-elle gagné la bataille de et pour sa langue?
Les deux grandes Régions belges sont en face de deux échecs qu'elles subissent au fond douloureusement. La Wallonie a très mal vécu sa rétrogradation de région économique riche à région économique plus faible et elle peine à reconquérir sinon son rang d'autrefois, du moins un niveau plus correct de développement. La Flandre a réussi à faire du néerlandais la seule langue officielle de la Flandre, ce qui a signifié une néerlandisation complète de son enseignement jusqu'aux universités, une néerlandisation complète de son administration, de ses médias etc. Mais elle n'a pu empêcher la francisation quasi complète de la capitale belge où le néerlandais était encore parlé par la majorité des habitants dans la première partie de l'entre-deux-guerres. Elle peine également à enrayer la progression du français dans la périphérie de Bruxelles. Là, le rapport de force demeure favorable sinon à la Wallonie (sans doute pas: la cause du français et la cause de la Wallonie sont deux causes distinctes), du moins au français.
De même que, sur le plan économique, on ne peut pas nier que le poids politique et économique de la Flandre explique une bonne part du retard wallon. C'est le livre de Michel Quévit paru en 2010, Wallonie-Flandre. Quelle solidarité? qui le montre le mieux. On a parfois dit qu'il parle pour le passé, mais ce n'est pas tout à fait exact puisque, par exemple pour les aides européennes des régions réputées en difficultés, et en dépit du fait que c'est la Wallonie qui connaît ces difficultés, c'est malgré tout, dans ce domaine-là aussi la Flandre qui est la mieux servie dans l'ensemble belge! On le vérifiera en consultant le tableau suivant publié l'an passé par le Professeur Quévit et qui chiffre la répartition des aides européennes en Belgique valant jusqu'en 2013. On y a joint des calculs effectués par la Fondation André Renard mettant en cause les politiques fédérales considérées comme aidant la Flandre, mais inadaptées à la Wallonie (comme les lourdes dépenses étatiques en matière de réduction des cotisations patronales qui équivalent pour la Wallonie seule à quatre fois les dépenses annuelles du Plan Marshall).

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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