PATRICE-HANS PERRIER
Journaliste indépendant, spécialisé dans le domaine du développement urbain et des nouvelles structures de gouvernance. L’auteur met en ligne le deuxième article d’une série de textes critiques portant sur l’avenir du Québec.
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Les élections provinciales du 4 septembre prochain représentent un moment charnière dans l’histoire moderne du Québec. En effet, les années 2000 auront sonné le glas d’un certain étapisme ayant permis à une classe d’affairistes politiques de conforter leur position sur l’échiquier électoral. Plus d’un tiers des électeurs n’ayant pas voté, lors des dernières élections de 2008, plusieurs analystes s’inquiètent de ce taux d’abstention qui aurait doublé depuis 1998. On comprendra que la masse des petits contribuables se désintéresse de plus en plus de ce cirque, dans un contexte où le peuple fait les frais d’une oligarchie qui serre la vis.
Les Libéraux de Jean Charest n’ont fait qu’appliquer les dictats de la banque en décidant de déliter plusieurs pans de notre souveraineté territoriale, étatique ou culturelle. Guidée en cela par le plan de match de Steven Harper, le parti Libéral du Québec aura préparé le terrain pour que le commun des mortels soit pris en serre entre un appareil d’état qui s’étiole – avec son corolaire de coupures de budgets d’opération – et une économie locale qui s’affaiblit face à la mainmise de certains grands prédateurs – locaux ou internationaux – qui convoitent ses richesses naturelles, son eau potable, ses énergies vertes, ses réseaux de transport de marchandises et ses terres arables.
Une souveraineté qui s’étiole
Alors que le débat sur la souveraineté politique tourne en rond depuis des lustres, il nous apparaît urgent de relancer celui qui traite des souverainetés liées à la survie immédiate du peuple québécois.
Agriculture et souveraineté alimentaire
La souveraineté alimentaire est menacée, alors qu’environ 250 000 personnes ne mangent pas à leur faim sur l’île de Montréal et que le prix des denrées alimentaires est en forte hausse dans plusieurs régions du Québec qui sont coupées des grands centres et qui doivent, conséquemment, subventionner les hydrocarbures nécessaires au transport des aliments. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) fait pression depuis quelques années sur le Canada pour que nos dirigeants mettent un terme à notre système de mise en marché collective et que l’agriculture canadienne (et donc québécoise) se soumette aux lois du marché alors que la mondialisation nivelle par le bas les modes de productions agraires et de mise en marché des denrées alimentaires.
Souveraineté territoriale
On pourrait parler aussi de la souveraineté de notre territoire, alors que le Grand Nord québécois pourrait bien être mis en coupe prochainement, dans un contexte où le Canada et les USA tentent de damer le pion à la Russie et aux pays scandinaves dans la course pour la mainmise sur l’espace géopolitique du Grand Nord. Rappelons que le premier ministre Charest ambitionnait, dans le cadre de son PLAN NORD, de construire des ports en eau profonde au Nunavut. En fait, il s’agirait de contourner une législation unique au monde qui stipule que sur le littoral, de la baie James à la baie d’Ungava, nous sommes en territoire québécois à marée haute … alors que l’on n’y serait plus à marée basse ! Alors, notre gouvernement construirait de gigantesques infrastructures qui deviendraient propriété canadienne à marée basse … ou quelque chose comme ça.
Que dire du contentieux à propos du Labrador, alors que la province de Québec a toujours refusé de reconnaître la frontière du Labrador imposée en 1927 par le Conseil privé de Londres. En fait, la Couronne britannique aura utilisé avec brio cette décision arbitraire faisant en sorte de rendre floue les limites frontalières entre le Québec, Terre-Neuve et le Labrador afin d’empêcher que le Québec puisse connaître ses propres limites territoriales. Dans les faits, nous sommes prisonniers des limites territoriales canadiennes et nous demeurons, de facto, une nation qui ne possède pas – en propre – un territoire bien balisé. Il s’agirait d’un cas unique au monde.
Souveraineté constitutionnelle
Qu’il nous soit permis, encore une dois, de revenir sur la proposition du politologue Marc Chevrier à l’effet que le Québec ne puisse PAS compter sur une véritable constitution définissant ses institutions politiques et protégeant la souveraineté de son assemblée nationale. Pauline Marois, cheffe du Parti québécois avait promis d’inscrire le projet d’une constitution québécoise sur la liste de ses priorités, où en est ce projet à l’heure d’écrire notre article ? En effet, le parti québécois a déposé, en octobre 2007, le projet de loi 195, première mouture de l’élaboration d’une éventuelle Constitution québécoise et de l’institution d’une citoyenneté québécoise. Si le Parti québécois remportait les prochaines élections, il faudrait que les forces vives indépendantistes et nationalistes le lui rappellent de façon sans équivoque.
La Catalogne dispose d’une constitution en bonne et due forme et jouit d’un statut d’autonomie qui lui confère certaines prérogatives d’une nation. La «nation» québécoise n’est toujours pas reconnue de jure par cette fameuse constitution canadienne rapatriée en 1982. Et, il fallait s’y attendre, les autorités canadiennes et une majorité des citoyens du ROC ne reconnaissent toujours pas notre nation, malgré toutes nos pétitions de principe en ce sens. De fait, le concept de «souveraineté-association» est un non-sens dans un contexte constitutionnel où une nation souveraine ne reconnaîtra JAMAIS une portion de ses habitants qui a des prétentions … nationalistes.
Souveraineté linguistique et culturelle
C’est un secret de Polichinelle que notre loi 101 a été émasculée de façon drastique par les nombreux recours judiciaires intentés autant par des particuliers que par des corporations et qu’il s’agit, ici aussi, d’un espace de revendications primordial pour les forces vives nationalistes et, à fortiori, du Parti québécois.
Reconnaître et enchâsser le concept de citoyenneté québécoise à même une future constitution permettra, du même coup, de redonner au Français son statut de langue officielle du Québec. À l’instar des «poupées russes», la langue, la citoyenneté et la nation s’imbriquent telles des pelures d’oignon dans cet assemblage qui préside à la création d’un état souverain digne de ce nom. Dans un contexte où le gouvernement Harper autorise de véritables «coupes à blanc» au niveau de la culture et des arts, il importe de définir une souveraineté culturelle qui est tout sauf un concept redondant en définitive.
Des élections en guise d’amorce
En fait, les prochaines élections pourraient être le théâtre d’un retour des indépendantistes aux affaires. Dans ce contexte, il convient – et Richard Le Hir l’a très bien exprimé dans son dernier article – d’accorder au PQ un appui tactique de circonstance qui permettra à ce dernier de chasser Jean Charest du pouvoir et de mettre à exécution quelques projets de loi et autres dispositifs qui permettraient de sécuriser les arrières d’un Québec qui ressemble de plus en plus à un Bantoustan. Cette victoire, véritable préambule à l’indépendance, permettra de mettre en branle certains référendums d’initiative populaire portant sur les accords de libre échange entre le Canada et l’Union européenne ou la mise en place d’un moratoire concernant l’exploitation de nos ressources souterraines, par exemple.
Le candidat péquiste, Daniel Breton, environnementaliste et activiste bien connu, a raison d’affirmer qu’il nous faudra bien revenir au concept de «maîtres chez nous» de l’équipe Lesage-Lévesque; parce que c’est notre souveraineté vécu au quotidien (richesses naturelles, culture, langue, constitution, citoyenneté, territoire, assemblée nationale, etc.) qui pavera la voie à l’indépendance. Pour en finir avec le concept galvaudé de «souveraineté-association», il convient de définir les balises de cette nation québécoise pour laquelle nous désirons créer un état.
Un gouvernement du Parti québécois minoritaire est peut-être une excellente chose. Ainsi, les caciques du PQ n’auront pas carte blanche pour reporter aux calendes grecques l’ensemble des mesures «préalables» à adopter avant, même, de songer à déclencher un référendum ou une élection référendaire.
Et, tant qu’à faire, pourquoi ne pas déclencher des élections référendaires autour des années 2014, histoire de rallier, une fois pour toutes, l’ensemble des forces souverainistes autour d’une authentique coalition gagnante. Un bémol toutefois : il est certain que nos oligarques canadiens utiliseront la crise économique qui frappera en 2013-2014 pour déstabiliser un PQ minoritaire et préparer l’entrée en force des mercenaires regroupés autour de la CAQ de François Legault. Beaucoup d’eau risque de couler sous les ponts du Québec d’ici là, c’est donc dire que les élections du 4 septembre prochain représentent un réel temps de Kairos, ou une occasion d’opportunités unique dans notre jeune histoire.
Les abstentionnistes porteront de très lourdes responsabilités sur leurs épaules et ne pourront plus prétexter un désintéressement de la chose politique eu égard à la trop grande corruption de nos institutions et de ceux qui nous gouvernent. Le temps presse !
UNE ÉLECTION PROVINCIALE SOUS FORME DE MOMENT CHARNIÈRE
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Chronique de Patrice-Hans Perrier
Patrice-Hans Perrier181 articles
Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtr...
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Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
28 août 2012"Plus d’un tiers des électeurs n’ayant pas voté, lors des dernières élections de 2008, plusieurs analystes s’inquiètent de ce taux d’abstention qui aurait doublé depuis 1998. On comprendra que la masse des petits contribuables se désintéresse de plus en plus de ce cirque..."
Et comment donc monsieur Perrier!
La politique est un spectacle qui connaît son apothéose lors des campagnes électorales comme c'est le cas présentement.
Voyez ce qu'en dit monsieur Henri Dubost dans un résumé qu'il fait de l'ouvrage de l'auteur français Yvan Blot intitulé "L'oligarchie au pouvoir":
"Les représentants élus par le peuple ne contrôlent pas le gouvernement"
"Les candidats qui se présentent devant les électeurs sont désignés à l'avance par les partis, et sont donc choisis pour leur parfaite docilité. Ainsi, souligne Yvan Blot, « ceux qui pourraient contrôler sérieusement le gouvernement (la majorité) ne le souhaitent pas (par discipline de parti), alors que ceux qui voudraient contrôler le gouvernement (l'opposition) ne le peuvent pas, parce qu'ils sont minoritaires ». Certes, « des membres de la classe politique peuvent perdre les élections, mais ils sont remplacés par des équivalents dont la politique n'est jamais très différente de celle de leurs prédécesseurs ».
http://www.polemia.com/article.php?id=4295
Maudite politique-spectacle! Maudit spectacle!