Immanquablement, toute mesure prise par le gouvernement Charest pour se soustraire au jugement de la Cour suprême sur la loi 104, qui a légitimé l'utilisation des «écoles passerelles» pour contourner les dispositions de la Charte de la langue française régissant l'accès à l'école anglaise, placera les députés anglophones du PLQ dans une position très embarrassante.
C'est particulièrement le cas de la ministre de la Justice, Kathleen Weil. Comment cette ancienne conseillère juridique d'Alliance-Québec, qui a participé activement à la lutte contre la Charte dans les années 1980, pourrait-elle se montrer moins scrupuleuse sur le respect des droits des anglophones que les trois ministres qui avaient claqué la porte du gouvernement Bourassa en 1989 pour protester contre la loi 178 sur l'affichage commercial?
Les problèmes de conscience de Mme Weil et des députés libéraux de l'ouest de l'île ne suffiront sans doute pas à ébranler le premier ministre, qui sait pouvoir compter sur le vote de la communauté anglophone, si la menace péquiste redevient le moindrement sérieuse. Elle n'aurait pas élu quatre députés du Parti égalité en 1989 si cela avait risqué de faire élire le PQ.
Depuis 2003, le gouvernement Charest s'est toujours efforcé d'appliquer la Charte de la langue française le plus mollement possible, qu'il s'agisse de la langue de travail, de la langue de service ou encore de la langue de l'administration.
Déjà, ce laxisme en fait enrager plusieurs, mais réviser la Charte à la baisse deviendrait carrément suicidaire. Rarement a-t-on vu un jugement unanime de la Cour suprême susciter une telle réprobation au Québec. Même les fédéralistes les plus inconditionnels sont consternés.
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Dans une perspective pancanadienne, M. Charest est cependant bien placé pour savoir ce qu'il peut en coûter d'aller à l'encontre d'un jugement de la Cour suprême, en particulier quand il est question de langue.
Dans son autobiographie publiée en 1998, il racontait comment l'adoption de la loi 178 par le gouvernement Bourassa, neuf ans plus tôt, avait amené le premier ministre du Manitoba, Gary Filmon, à retirer son appui à l'accord du lac Meech. Cela avait été le début de la fin.
En décembre 1988, la Cour suprême avait invalidé les dispositions de la Charte de la langue française relatives à l'affichage commercial. Sous la pression de l'opinion publique, Robert Bourassa s'était alors résigné à utiliser la clause dérogatoire prévue à Charte canadienne des droits pour maintenir la règle de l'unilinguisme français.
Le Canada anglais tout entier avait été indigné. Le cri du coeur d'un des trois ministres démissionnaires, Clifford Lincoln, avait retenti d'un océan à l'autre: Rights are rights are rights. Du coup, la «société distincte», déjà suspecte aux yeux de plusieurs, était devenue synonyme d'intolérance, voire de fascisme.
Nommé bien malgré lui à la tête d'un comité chargé de sauver l'accord du lac Meech, quitte à le diluer, M. Charest en a gardé de bien mauvais souvenirs. Lors d'une audience publique à Winnipeg, il avait été abasourdi par le témoignage d'une jeune avocate, qui craignait sérieusement que la clause de la «société distincte» soit utilisée pour forcer les Québécoises à avoir des enfants, par exemple en interdisant l'avortement.
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Le Canada n'est pas à un carrefour aussi décisif de son histoire qu'il semblait l'être à l'époque de Meech, de sorte que le débat soulevé par le jugement de la Cour suprême sur la loi 104 ne devrait pas avoir les mêmes conséquences dramatiques.
La décision que M. Charest devra prendre d'ici un an pourrait néanmoins déteindre sur ses relations avec le reste du pays. Il est vrai qu'il n'a pas les mêmes ambitions constitutionnelles que M. Bourassa, mais il lui faut au moins démontrer que des progrès sont possibles.
Le problème est qu'à Ottawa aussi, on a tiré les leçons de Meech: aucune concession significative ne sera faite au Québec si cela heurte l'opinion dans le ROC. Depuis deux ans, Ottawa n'a même pas accusé réception de ses demandes en matière de culture et de communications.
D'entrée de jeu, l'éditorial du Globe and Mail a trouvé inacceptable la réaction de M. Charest au «compromis admirable et unanime» proposé par la Cour suprême dans son jugement sur la loi 104. Cela revient à «repousser le compromis que constitue le Canada» et pourrait même «amener à conclure que le Canada lui-même est une notion impossible», estime le quotidien torontois, qui ne s'est pas ému le moindrement de cette consécration du droit des (très) riches.
Au Canada anglais, on refuse tout simplement de reconnaître que le français est menacé au Québec. Prétendre le contraire est nécessairement le fait de gens de mauvaise foi qui cherchent à promouvoir le projet souverainiste.
L'idée que l'on puisse considérer M. Charest comme une sorte de crypto-séparatiste ou de zélote linguistique peut sembler parfaitement loufoque d'un point de vue québécois, mais on n'en est pas à une sottise près.
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mdavid@ledevoir.com
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