Depuis plusieurs mois, face au Plan de réorganisation des universités en Wallonie et à Bruxelles du cabinet du ministre Marcourt en concertation avec tous les acteurs, l'université de Louvain répète de manière obsessionnelle que le Brabant wallon et Bruxelles« sont insécables».
Le Plan Marcourt
Le Plan avait décidé de réorganiser et rationaliser l'offre d'enseignement sur la base des provinces, en «pôles», pôles ayant certains pouvoirs d'habilitation (je cite ici La Revue Nouvelle de mars 2012) : «un établissement est membre principal d'un pôle quand son implantation principale est dans la zone géographique du pôle. Il en est membre à titre complémentaire quand il y possède une implantation fonctionnelle. S'il est membre à titre principal il a la possibilité d'habiliter des formations sinon, il doit le faire en codiplômation avec un établissement à titre principal ou s'il n'organise pas d'enseignement dans un domaine avec son accord.»
Le pôle de l'Université catholique de Louvain est celui de la Province du Brabant wallon où cette université est implantée, mais l'UCL a sa Faculté de médecine à Bruxelles. Elle put cependant (je cite toujours la même revue) «à titre exceptionnel selon une correction de la note postérieure, développer cependant l'enseignement en matière de santé à Bruxelles comme si elle était membre à titre principal du pôle bruxellois.» Pôle bruxellois dont l'Université libre de Bruxelles (ULB) est le membre principal.
L'UCL ne s'est pas contentée de cette concession. Son recteur a clamé pendant des mois que «le Brabant wallon et Bruxelles étaient insécables». Or le Brabant wallon est en Wallonie, Wallonie et Bruxelles étant des régions autonomes et distinctes. En décembre et janvier dernier, le ton a monté entre l'UCL et les autres universités. L'UCL dépassa à ce point les bornes que - fait exceptionnel - les cinq autres recteurs accusaient le recteur de l'UCL de faire des procès d'intentions, d'être de mauvaise foi et même malhonnête. L'UCL envisagea même des poursuites judiciaires. Finalement, un compromis a été trouvé qui enlève aux pôles la fonction importante qu'ils avaient, crée des «interpôles» (sic!) où, symboliquement, l'université de Louvain obtient satisfaction, car son «interpôle» (re-sic) englobe Bruxelles et le Brabant wallon redevenus «insécables». Bourdieu dit que le pouvoir politique est fondamentalement celui de «regere fines» (établir les frontières). L'UCL se l'est arrogé.
Un peu d'histoire
Il faut remonter à l'affaire de Louvain en 1968. Les Flamands, bien conscients du fait que le maintien d'une université francophone comme l'UCL en terre flamande à Leuven (Louvain), à peu de distance de Bruxelles, vouait toute cette partie du Brabant flamand à la francisation, obtinrent le départ des Wallons de Leuven. Je me souviens bien du cri «Walen buiten», manière pour les Flamands de sauver leur langue. La volonté flamande était irrépressible.
Nous étions alors à la fin du Concile. Des professeurs catholiques wallons de l'UCL et le mouvement chrétien de gauche Rénovation wallonne, pensèrent tirer parti de l'événement (voir C.Laporte, L'Affaire de Louvain, POL-His, Bruxelles, pp. 235-239 notamment). La scission de l'UCL en deux préfiguraient le passage de l'Etat unitaire belge à l'Etat fédéral. S'appuyant sur le grand printemps de l'Eglise à Vatican II, ces chrétiens virent dans l'événement la grâce de mettre cette université catholique au service de la Wallonie. Le déménagement de la section française de l'UCL hors de Flandre étant inéluctable, il fallait, à leurs yeux, que l'université s'installe au coeur de la Wallonie, collabore avec les autres universités et abandonne même son étiquette catholique pour, dans l'esprit du Concile , se mettre au service d'un peuple wallon frappé à mort par la crise structurelle de son industrie. Ils ne furent pas suivis, évidemment.
Ce qui préoccupait au premier chef l'UCL et ses dirigeants (du clergé ou non), n'était pas le Concile mais, dans la logique de l'extrême centralisation de l'Etat belge (et de leurs intérêts exclusifs), de demeurer au plus près de Bruxelles, voire à Bruxelles. Une ville nouvelle fut construite à grands frais à Louvain-la-neuve à quelques km de la capitale. Catholiques wallons et flamands s'unirent pour décider d'un investissement de 17 milliards de FB d'alors, une somme colossale pour un projet dont on peut se demander s'il était sensé, mais qui, en tout cas, n'a que peu servi la Wallonie en y établissant une ville nouvelle malgré tout fort coupée de sa sociologie, luxueuse à certains égards, très différentes des corons de Charleroi, La Louvière ou Seraing. L'université de Louvain ne s'était déplacée en Wallonie que pour n'être plus en Flandre, la proximité de Bruxelles étant le seul souci, le souci chrétien d'une Wallonie appauvrie ne comptant que pour des prunes.
Et maintenant
L'histoire se répète. Dès que l'UCL a eu satisfaction sur le Plan Marcourt le recteur de l'UCL publiait un communiqué où tout heureux d'avoir pu faire plier le pouvoir et résister à la pression des autres universités, il triomphait surtout d'avoir maintenu, «le lien communautaire entre la Wallonie et Bruxelles» et prévenu ainsi «une régionalisation de l'enseignement»! L'UCL continue donc à vouloir établir les frontières d'une façon qui la serve. Maintenir les compétences de l'enseignement hors du pouvoir politique wallon et les garder dans une autre entité fédérée (qui regroupe Wallonie et Bruxelles francophone : la Communauté française), a peut-être le côté sympathique (illusoire!) de maintenir l' «unité des francophones». Mais à un prix absurde (qui ne sert ni la Wallonie, ni Bruxelles). Comme le dit le secrétaire général de la FGTB wallonne Thierry Bodson : la Wallonie est «le seul organe de pouvoir au monde à gérer l'économie, l'emploi, la formation mais pas l'enseignement» (L'Avenir du 8 février, p.3).
Il n'y a pas que l'UCL à ridiculiser ainsi la Wallonie et à hypothéquer tout son avenir : tous ceux qui manient du symbolique en Belgique francophone (ou presque) - les partis et leur idéologie, les institutions culturelles, beaucoup d'intellectuels, d'artistes et d'écrivains, la plupart des médias - ne voient pas le tort immense qu'ils commettent à favoriser l'amputation du pouvoir Wallon des pouvoirs que n'importe quel pays a dans le monde. Ce serait normal que la Wallonie - comme n'importe quel pays dans le monde, souverain ou non - gère à la fois les routes, les forêts, les fleuves, l'économie, mais aussi la culture, les universités, l'enseignement général, technique et professionnel et que médias et partis s'insèrent dans ce cadre. Certains ne voient pas ce que cela ajouterait à une Wallonie qui a besoin de se mobiliser, car dans dix ans, elle devra se débrouiller seule. Ils ne le voient pas parce que qu'ils préfèrent à l'intérêt global wallon, leurs chapelles, leurs universités, leurs partis, leurs vanités qu'on imagine facilement peu supporter d'assumer le fait d'être de cette Wallonie ouvrière, dominée, pauvre dont il faut donc continuer à miner le pouvoir politique au bénéfice d'une Belgique francophone toujours grande et belle même si elle est amputée de la Flandre, va l'être de sa monarchie et ne sera rien sans une Wallonie qui lui donne une assise de peuple historique.
Les marchands de tapis de l'UCL
Les marchands de tapis du lobby catholique wallon
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
30 avril 2014Stupéfiant de mauvaise foi jésuitique de la part de ce rexteur !
Se gargariser de l'unité wallonne et s'accoquiner avec la KUL pour une implantation de protothérapie à LEUVEN après l'épuration ethnique wallen buiten, c'est une honte et une parfaite démonstration de son double langage ignoble.
Donc les patients wallons seront forcés de se soigner en FLAMAND selon les oukases flamingantes.
Je vais d'autant plus éviter un cancer comme j'ai évité de travailler en Belgique pendant 34 ans après avoir perdu une année de scolarité en 1980 ! lol si on peut dire !