On croirait rêver. Un cauchemar. On se pince pour être bien sûr d'être éveillé. Une formation de jovialistes armés de fusils de bois et déguisés en vieux troufions, bénis par des historiens qui en font leur beurre, s'apprêtent à nous remettre sous le nez cet été, en la faisant revivre sur ses lieux mêmes, la défaite historique des plaines d'Abraham. Or, symbole le plus connu de la mise à mort de la Nouvelle-France, cette défaite incarne l'imposition, par la force des armes, de la domination anglaise sur le Canada et, plus particulièrement, sur le Québec francophone qui, peau de chagrin, depuis ce jour rétrécit irrémédiablement d'année en année.
Conquis, le Québec français l'a été et l'est toujours. Ce Québec, pourtant, est encore et toujours porteur d'une forte aspiration vers l'indépendance. Des milliers de personnes, ici, rêvent de corriger l'histoire, de reconquérir l'indépendance perdue. Le sujet est donc sensible. Il soulève l'émotion. À fleur de peau. Revivre et faire revivre, par quelques milliers de «reconstituteurs», la bataille des Plaines, c'est forcément glorifier, qu'on le veuille ou non, une défaite encore à ce jour difficile à accepter par des milliers de personnes. C'est faire un affront à cette très large partie de la population qui, en toute légitimité, rêve d'atteindre à la souveraineté. Cerise sur le sundae: non seulement ce Grand-Guignol se déroulera-t-il sur les Plaines même, mais à nos frais, la Commission des Champs-de-Bataille, qui collabore étroitement à ce projet masochiste, étant un organisme fédéral qui flambe quelque neuf millions de dollars par année, puisés dans nos taxes et impôts.
Radio-Canada n'allait pas manquer de souligner favorablement cette opération humiliante. À Maisonneuve en direct (le 23 janvier), deux invités: le président la Commission des Champs-de-Bataille, André Juneau, et un historien réputé, Denis Vaugeois. Tous deux favorables à l'événement. Belle unanimité et logorrhée historique. Pas de contradicteurs. Peu d'appels du public, la place étant pour l'essentiel laissée à l'historien traitant du misérable projet à la manière de l'entomologiste devant un bataillon de moustiques. Comme si l'important n'était pas l'impact de ces moustiques sur la santé publique, mais le nombre exact de leurs pattes et la localisation précise de leurs trois yeux!
Que l'on ne s'y trompe pas: s'opposer vivement à cette reconstitution, forcément festive, n'est pas s'opposer à la connaissance de l'histoire, bien au contraire. C'est s'opposer à la mise en spectacle de la défaite du peuple français en Amérique. Cela est certainement bon pour le tourisme, mais cela est mauvais pour le savoir intelligent et la vitalité du peuple dont on rappelle l'écrasement. Que des gens qui, comble de l'ironie, se disent indépendantistes se portent à la défense de ce pageant, gifle à leurs propres aspirations, est un phénomène affligeant, sidérant. Difficile à comprendre...
Oui, on croirait rêver. Si, par malheur cette bête, vaste et joviale opération d'humiliation collective avait lieu, au mépris de la population québécoise, j'y serais certainement aussi, comme des milliers de personnes. Mais du côté des opposants. Et entre les coups de faux canons, je lancerais, tout au moins, quelques authentiques noms d'oiseaux à l'intention des organisateurs de cette connerie.
J'oubliais: fin de l'émission Maisonneuve en direct, l'historien notait que, par un heureux hasard, son livre sur Québec assiégé paraîtrait justement à la même époque que la reconstitution de la bataille des Plaines. En vente dans toutes les bonnes librairies. Tiens donc...
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Jacques Keable, Journaliste
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