Les jeux guerriers

IDÉES - la polis

Adossé à l’un des vieux canons des plaines d’Abraham pointé en vain vers le fleuve Saint-Laurent en contrebas, je songe à l’« antique » guerre de Sept Ans (1756-1763) et à notre destin tragique en Amérique du Nord. Et je crois comprendre que si les français ont perdu cette guerre coloniale, pour nous les « Canadiens », qui n’étions déjà plus totalement français à l’époque, car déjà fortement mâtinés d’amérindiens et lessivés par les pluies, les neiges et encore les pluies de 155 automnes, 155 hivers et 155 printemps en terre d’Amérique (1608-1763), cette guerre et toutes les guerres qui suivront ne seront plus vraiment de notre ressort, occupés que nous serons, d’abord à survivre à nos étés trop ensoleillés (!), puis ensuite à affirmer notre personnalité unique sur un continent drapé dans l’Union Jack et plus tard, dans la bannière étoilée des United States of America.
Arrivé en 1665 avec le régiment Carignan-Salière ( Langlois, Michel. Carignan-Salière 1665-1668, Éditions La maison des ancêtres, 2004.), mon ancêtre Antoine Roy-Desjardins n’était pourtant pas un militaire de carrière, mais un menuisier spécialisé dans la tonnellerie et on sait à quel point la conservation et le transport des liqueurs enivrantes a toujours été importante pour les militaires ! Antoine a surtout participé à la construction du fort Saint-Louis (Chambly) sur la rivière Richelieu, et il est douteux qu’il nait jamais vu les plumes d’un amérindien, l’essentiel de son service s’étant déroulé en garnison à Trois-Rivières à confectionner ou à rafistoler les tonneaux à vin de l’armée française et à vérifier in vivo la qualité du vin ainsi conservé !
Je me souviens encore qu’enfants, nous avions un plaisir fou à jouer aux cow-boys et aux indiens, d’aucuns faisaient les soldats du 101e régiment de cavalerie de Fort Apache de l’armée américaine, on se battait quasiment pour faire Rusty, l’enfant mascotte de la cavalerie, ou son berger allemand Rintintin, alors que les autres, les plus malchanceux ou les plus braves (?), jouaient les indiens, lesquels finissaient invariablement tous déplumés et raides morts sur le champ de bataille. Un jour, horrifiée de voir la moitié de sa classe étendue au sol, qui un pantalon déchiré, qui une manche de chemise arrachée, sœur Mère-Marie-du-Saint-Nom-de-Jésus-apôtre-de-l’amour-infini-et-témoin-de-la-résurrection-du-dernier-jour siffla sèchement la fin de la récréation : « Vos jeux stupides sur la cour de récréation sont terminés, finis, F-I-FI-N-I-NIS, c’est compris… ? » Sœur Mère-Marie- du… etc., n’étant pas renommée pour son sens de l’humour, son esprit ludique ou sa tolérance, il valait mieux obtempérer et déplacer ailleurs le théâtre de nos opérations guerrières.
Des indiens, on passa aux allemands. Le plaisir d’en découdre avec un adversaire aussi coriace fut décuplé. Le débarquement de Dieppe, par exemple, se déroulait sur la grève du Chemin du Hâvre en bordure du quai de Trois-Pistoles et cette fois, c’était les allemands qui se retrouvaient les pieds ou le cul dans l’eau – un léger contre-sens historique issu de cerveaux d’enfants ! Sans pitié et sans état d’âme, nous pourchassions nos allemands jusqu’au bout du quai et en imagination, jusqu’à l’île aux Basques et jusqu’aux îles Razades d’en Haut et d’en Bas. L’aspect merveilleux de ces jeux « virils » – les filles n’y étaient surtout pas admises –, c’est qu’ils ne faisaient aucune victime réelle, n’engendraient aucune destruction matérielle et tous les combattants morts au champ d’honneur reprenaient vie instantanément une fois le « jeu » terminé. La réflexion sur la portée réelle de ces jeux guerriers nous est venue beaucoup plus tard.
La fin des jeux guerriers (?)
Nos cours d’histoire nous révélèrent peu à peu les conséquences épouvantables des guerres, d’abord plus près de nous, sur les populations amérindiennes des Amériques décimées par les guerres coloniales et les maladies, ensuite sur les populations, surtout européennes, engagées dans les grands conflits meurtriers du XXè siècle. Les pertes humaines de la Première Guerre mondiale (1914-1918) sont évaluées à quelque 9 millions de morts et 6 millions d’invalides sur 23 millions de blessés, pour un coût global (approximatif) de 300 milliards $. La France a été le pays le plus touché proportionnellement : 1,4 million de tués et de disparus. Ce n’était pas assez. La Deuxième Guerre mondiale (1939-1945), le conflit le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité, est venu enrichir ce bilan en ajoutant 60 millions de morts, majoritairement des civils, et au moins 35 millions de blessés, auxquels s’ajoutent des coûts (non moins approximatifs) de 1 000 milliards $ pour les dépenses militaires et 2 000 milliards $ pour la reconstruction des infrastructures civiles.
L’Europe subit encore d’ailleurs les séquelles environnementales de ces conflits. Des milliards d’amorces au fulminate de mercure des têtes d’obus et des douilles d’obus ou de balles ou d’autre munitions (1g de mercure par amorce en moyenne) non utilisée ou non explosée, incluant des armes chimiques, ont été jetées en mer après les deux guerres mondiales. Ces munitions commencent à fuir et à perdre leurs contenus toxiques. La pollution ainsi libérée s’accumule dans les écosystèmes marins et notamment dans les poissons. L’Organisation des Nations Unies (ONU) a répertorié une centaine de zones mortes en mer (marine dead zones), la plupart coïncident avec des zones d’immersion de munitions, ce qui pose la question de l’évaluation des impacts environnementaux de ces déchets toxiques et du partage des coûts de dépollution entre les belligérants des deux guerres mondiales. C’est face au littoral français que le nombre de dépôts immergés est le plus important. La France n’a retrouvé la mémoire à ce sujet que récemment (2005), suite à quelques articles de presse qui évoquaient la publication discrète (et avec 5 ans de retard) d’un rapport de la Commission OSPAR (la Convention internationale OSPAR pour Oslo-Paris) qui définit les modalités de la coopération internationale pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du nord-est. En conséquence, le bilan humain et financier des deux guerres mondiales ne pourra que s’alourdir davantage au cours des prochaines années.
Devant un bilan aussi désastreux, on aurait pu espérer la fin des guerres, de toute guerre, un sincère – « Plus jamais la guerre ». Hélas, il n’en fut rien ! En réalité, la guerre n’a jamais cessé et s’est poursuivi par la Guerre froide de 1947 à 1991, une longue et tragique période de tension et de confrontations idéologiques et politiques entre les deux superpuissances que furent les États-Unis, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et leurs alliés respectifs. La volonté des occidentaux d’endiguer l’idéologie communiste a mené à la Guerre de Corée (1950-1953) et à la deuxième guerre du Vietnam (1957-1975), après l'échec de la France pour reconquérir l'Indochine en 1954 suite à la victoire du Viêt-Minh à la bataille de Diên Biên Phu.
Le conflit entre le Vietnam et les américains s’est soldé du côté vietnamien par 1,7 million de morts, 3 millions de blessés et de mutilés, 13 millions de réfugiés, alors que du côté américain, le conflit a entraîné la mort de 56 000 soldats, fait 303 000 blessés, souvent impotents pour la vie, et a induit un coût direct pour le trésor américain de 140 milliards $ et des coûts indirects évalués à 900 milliards $. Des vietnamiens meurent encore aujourd’hui par des munitions non explosées et des mines, particulièrement les bombes à sous-munitions. Les effets sur l'environnement des agents chimiques, tels que l'agent orange, un défoliant abondamment utilisé par les américains (70 millions de litres), ont détruit la forêt et contaminé une partie des sols, entraînant de graves problèmes de santé pour la population vietnamienne : malformations à la naissance, hypertrophie, rachitisme, cancer des poumons et de la prostate, maladies de la peau, du cerveau et des systèmes nerveux, respiratoire et circulatoire, cécité, diverses anomalies à la naissance surtout dans les campagnes.
La première guerre d'Afghanistan (1979-1989) entre l’URSS et les moudjahiddin ou « guerriers saints », qui a fait 1 242 000 morts dont 80 % de civils afghans, et qui a forcé à l’exil ou déplacé à l’intérieur des frontières 30 % de la population afghane, est considérée, du fait de l'implication en sous-main des États-Unis, comme une des dernières crises de la Guerre froide. Le monde allait-il enfin connaître la paix après l’effondrement du mur de Berlin en 1989 et de l’URSS en 1991 ?
Pas cette fois non plus ! Outre la Guerre du Kosovo (1999) et les guerres civiles en Afrique (Rwanda, Darfour…), la Guerre au terrorisme a pris le relais de la Guerre froide, et le monde vogue allègrement, depuis septembre 2001, sur les eaux troubles d’un troisième conflit mondial à partir de l’Afghanistan et de l’Irak avec, en toile de fond, une reprise de la Guerre froide dont les troubles en Géorgie ne seraient que le prélude. Et si cette Troisième Guerre mondiale devait s’amplifier pour atteindre, comme prévu par certains analystes, un point culminant à l’horizon 2024, les conséquences humaines en seraient à jamais inégalées dans l’Histoire !
Les jeux guerriers et mon peuple
Par deux fois dans le passé, le Québec a dit massivement « non » aux-va-t-en-guerre, une première fois à l’élection fédérale de 1917, dont le but était de faire avaliser le projet de loi sur la conscription votée en cours d’année par les conservateurs de Borden et dénoncée par les libéraux de Laurier, et la deuxième fois, au référendum de 1942, qui visait à imposer à tous les canadiens la conscription obligatoire. Dans les deux cas, le Québec s’est retrouvé seul à rejeter majoritairement ces propositions d’engagement militaire forcé. Était-ce de la lâcheté ? Plutôt préoccupés de préserver leur langue et leur culture sur un continent hostile et occupés à nourrir leurs familles nombreuses, en somme à assurer leur avenir, les canadiens français n’étaient tout simplement pas disposés à aller mourir pour sauver l’Empire britannique et endiguer la folie meurtrière des nations européennes. D’autant plus que la Deuxième Guerre mondiale n’était qu’une reprise de la Première en raison principalement des termes absurdes du traité de Versailles imposés à l’Allemagne le 28 juin 1919, termes qu’il vaut la peine de rappeler :
L’Allemagne se voit amputée de 15% de son territoire et de 10% de sa population au profit de la France, de la Belgique du Danemark, et surtout de la Pologne, nouvellement recréée.
De nombreuses mesures sont prises pour limiter le pouvoir militaire de l'Allemagne, et protéger ainsi les États voisins. Elle doit livrer 5 000 canons, 25 000 avions, ses quelques blindés et toute sa flotte (qui se sabordera dans la baie écossaise de Scapa flow) ; Son réarmement est strictement limité. Elle n'a plus droit aux chars, à l'artillerie et à l'aviation militaire. Son armée sera limitée à un effectif de 100 000 hommes et le service militaire aboli ; la rive gauche du Rhin, plus Coblence, Mayence et Cologne, est démilitarisée.
Suite aux dommages de guerre causés pendant toute la durée de la guerre dans le Nord de la France et en Belgique, l'Allemagne - considérée comme seule responsable de la guerre -, est condamnée à de fortes réparations à ces deux pays. Le montant à payer est fixé à 132 milliards de marks-or ce qui était une somme réellement élevée. L'Allemagne perd la propriété de tous ses brevets. Les fleuves Rhin, Oder, Elbe sont internationalisés et l'Allemagne doit admettre les marchandises en provenance d'Alsace-Lorraine et de Posnanie sans droits de douane. En outre, le pays doit livrer aux Alliés du matériel et des produits agricoles.
La France a chèrement payé les excès du traité de Versailles ! Après une campagne d'environ quarante jours durant laquelle plus de 100 000 Français, militaires et civils, ont trouvé la mort, la France a du signer à genoux l’armistice avec l’Allemagne nazie, le 22 juin 1940. C'est la plus grande catastrophe militaire de l'histoire de France. Dans sa grande majorité la population française accueillit la fin des combats avec un immense soulagement, évitant ainsi la destruction totale. Seule une infime minorité continuera la lutte, soit à l'intérieur du pays, soit en rejoignant la Grande-Bretagne.
Même s’ils avaient rejeté la conscription de 1942, les québécois ont dû participer à l’effort de guerre des autres canadiens et du Canada tout comme le Québec d’aujourd’hui, qui se veut pacifiste, est associé malgré lui à la vague militariste du XXIè siècle. [Selon Jules Dufour, géographe et professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi->12900], « Le Québec appartient au complexe militaro-industriel de l’Amérique du Nord. Il lui est irrémédiablement greffé par son espace et son économie et il est même devenu, au cours des ans, fort dépendant de la logique de guerre que préconisent les Alliances militaires occidentales. Dans le processus de réorientation de la politique de la défense nationale, il réclame sa part des dividendes qui lui reviennent et veille à ce qu’elles lui soient octroyées …. Le Québec militaire est l’un des éléments fonctionnels de ce complexe en raison des traités que le Canada a signés avec l’OTAN et le NORAD… Le Canada, en participant à la guerre d’invasion de l’Afghanistan, a entraîné le Québec dans son sillage et des contingents de soldats de la base de Valcartier sont déployés dans la région de Kandahar depuis juillet 2007. »2. Même si le territoire québécois est situé aux confins Nord de l’Empire USA, il y est étroitement associé et dépendent des marchés nord-américains et des politiques des dirigeants de l’Empire. Cette association a été renforcée par l’entrée en vigueur le 1er janvier 1994 de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), négocié et signé par nos « nationaleux », qui ont eu la prétention de tourner le dos au Canada, mais qui nous ont livré pieds et poings liés aux diktats des dirigeants de l’Empire , comme si l’intégration politique n’allait pas de pair avec l’intégration économique !
Que faire ?
Chacun a probablement compris au Québec que le rôle joué par les forces armées canadiennes, soit la défense légitime du territoire canadien et la promotion du droit international dans le cadre strict des missions de paix avalisées par l’Organisation des Nations-Unies (ONU) a été perverti et reconverti en engagements meurtriers au nom d’intérêts géopolitiques qui ne concernent pas prioritairement le Québec, ni même le Canada. Chacun sait pertinemment aussi que les guerres dites « modernes » font surtout, pour ne pas dire essentiellement, des victimes civiles, et que la solidarité minimale entre les peuples exige de toutes les rejeter sans appel, surtout quand on regarde froidement la désolation que les guerres laissent dans leur sillage.
Et justement, puisque ce sont les civils qui paient de leur vie et de leurs ressources matérielles et financières le coût des conflits armés, via leurs impôts, leurs taxes et les tarifs des services publics, ils ont naturellement tout intérêt, le devoir même, de reprendre le contrôle démocratique intégral de la politique étrangère de leurs pays respectifs, sous peine de servir à nouveau de chair à canon. Car, personne au Canada, que je sache, n’a explicitement cautionné, par référendum ou autrement, le changement de cap des forces armées canadiennes et leur engagement dans des conflits extérieurs dont l’évolution est on ne peut plus aléatoire. Que l’Organisation des Nations-Unies militarise à l’avenir certaines de ses interventions internationales, ou certains de ses mandats internationaux, comme ce fut le cas à l’automne 2001, dans le contexte de la paranoïa de l’époque, s’avère une erreur, une grave erreur qu’il importe de corriger au plus vite, car là n’est pas sa raison d’être. Rappelons que l’ONU a été mise sur pied au lendemain de la tuerie sans nom de la Deuxième guerre mondiale précisément pour éviter de tels conflits armés, non pour y participer.
Il importe donc, dans le cadre de la politique étrangère canadienne, que la population civile contrôle la fabrication et le commerce des armes sur son territoire, travaille à consolider les institutions du droit international, dont la cour pénale internationale, afin que soient traduit en justice et que paient de leur liberté et de leur patrimoine personnel les boutefeux qui déclenchent des guerres d’agression sous de faux prétextes et qu’elle supervise en somme totalement les missions étrangères de ses forces armées.
En conséquence, puisse que le Canada se veut une société démocratique de droit, il est proposé et recommandé au Parlement fédéral d’adopter la présente motion, puis de l’enchâsser dans la constitution canadienne :
MOTION
Que tout engagement des forces armées canadiennes à l’extérieur du territoire canadien soit désormais soumis par référendum à l’approbation préalable de la population canadienne, sauf dans le cadre strict des missions de paix avalisée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) ;
Que les forces armées canadiennes soient à même d’assumer, seules, la sécurité et la souveraineté du territoire canadien ;
Que le Canada se retire immédiatement de tout traité qui nuirait ou empêcherait la réalisation de tels objectifs souverains.

Il est impératif que la pleine souveraineté de la population canadienne en matière de politique étrangère soit réaffirmée dans le respect des valeurs reconnues par le secrétaire général de l’ONU, Ban KI-Moon, valeurs qui guident l’action de l’ONU, et dont le Canada est prenant et signataire : liberté, égalité, tolérance, non-violence, respect de la nature et solidarité. Utopie ? Idéalisme ? Oui, tout à fait. Mais, ne sont-ce pas les utopistes, les idéalistes qui font évoluer l’Humanité.
Yvonnick Roy

Québec

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