Les « gauchistes » avaient raison

Crise mondiale — crise financière

La Haye -- En ces temps de tsunami économique mondial, les élections canadiennes n'ont pas fait les manchettes en Europe. Ici comme chez nous, pas besoin d'être grand clerc, on attribue les progrès des conservateurs à l'improbable chef que se sont donnés les libéraux. Mais, à lire de loin les journaux canadiens, j'ai l'impression que les gens ont la tête ailleurs et qu'ils considèrent ces élections comme une péripétie anodine dans les bouleversements mondiaux qui s'annoncent cette semaine.
Aux éditorialistes néo-libéraux de La Presse qui me qualifiaient de gauchiste primaire, je suis bien tenté de dire «je vous l'avais bien dit» et je le fais, en même temps que tous ceux -- des économistes, des politologues, des observateurs -- qui ont répété sans cesse depuis 25 ans: «Le marché livré à lui-même est un monstre et nous avons besoin des gouvernements pour civiliser ses comportements et protéger les citoyens.» Les «gauchistes» avaient raison.
Que disaient les «gauchistes» quand Reagan et Milton Friedman ont pris le pouvoir en 1980? Que la dérégulation des marchés financiers entraînerait la création d'un marché essentiellement spéculatif fondé sur des produits financiers virtuels créés précisément pour encourager la spéculation et l'appât du gain. Les «gauchistes» disaient que la transformation des marchés boursiers en agents d'une économie virtuelle, et non d'une économie fondée sur la production de bien et de services, provoquerait une course au profit immédiat, à des rendements toujours plus impressionnants. Les «gauchistes» disaient que les fusions dans le système financier mondial ne créaient pas de nouvelles richesses, que l'apparition des «hedge funds» constituait une bombe à retardement. Les «gauchistes» disaient qu'il ne fallait pas que les banques et les assureurs se lancent dans la course au risque pour le plaisir des actionnaires et des fonds institutionnels. Les «gauchistes» disaient que les banques étaient des services publics et qu'elles devaient être rigoureusement réglementées par les gouvernements. Ils disaient aussi que les gouvernements, dans le processus de mondialisation et de globalisation, avaient cessé de gouverner et ne devenaient que des greffiers de la finance mondiale. On riait des «gauchistes» dans les milieux bien de la rue Saint-Jacques.
***
La réaction à la crise à Washington fut typiquement américaine. Paulson et ses deux adjoints, des anciens de la banque d'affaires Goldman Sach, curieux copinage historique dans ce pays, ont décidé de donner des sous aux banques pour qu'elles puissent continuer à fonctionner. Les citoyens américains assumeraient à travers leurs impôts les paris monstrueux effectués par ces banquiers joueurs de poker et, il faut le dire, bandits de grand chemin. Les marchés auraient dû se réjouir de cette manne de 700 milliards destinée à racheter tous les mauvais paris. Mais les marchés connaissaient très bien le cancer profond qui attaquait tout le système, et la confiance n'est pas revenue.
Il fallut que la Vieille Europe peuplée de gauchistes intervienne et montre le chemin. Les banques menacées de faillite étaient nationalisées, mises sous tutelle. Les gouvernements reprenaient leur rôle d'arbitre du bien commun. Bush et Paulson, étonnés, perplexes, abasourdis, se voyaient confrontés à un énorme dilemme américain, une tragique interrogation: nous qui avons toujours proclamé avec autant de certitude que Dieu existe et est tout-puissant, de même que le libre marché, nous les croisés du laisser-faire et du emportez tout, allons-nous devoir suivre l'exemple des «gauchistes»?
Et les Américains se sont mis à nationaliser en partie neuf de leurs plus importantes banques, se fermant les yeux, se pinçant le nez et se couvrant les oreilles comme les trois singes célèbres.
Jeudi, l'Europe a tracé le chemin à suivre. Après avoir injecté 1700 milliards EUR dans le système financier, l'Union européenne a dit clairement, par la bouche du président Sarkozy, que ce sauvetage n'était pas dépourvu de conditions. Ce n'était pas la mort du capitalisme, mais celle du modèle américain de capitalisme sauvage et débridé. Voilà le retour des gouvernements dans le jeu mondial économique, ce que la rapacité des marchés craignait le plus, mais que leur cupidité a entraîné. Tout est maintenant sur la table. Il faut de nouvelles règles mondiales, de nouveaux mécanismes de surveillance, il faut remettre en question le rôle des fonds spéculatifs, encadrer les activités des fonds souverains, revoir le rôle pernicieux des modes de rémunérations par bonus des «traders», lutter contre les paradis fiscaux, autrement dit, nettoyer les écuries d'Augias. Les «gauchistes» le disaient depuis des années, l'économie monétarisée est un bordel peuplé de putes qui ne pensent qu'au profit.
Et puis voilà que depuis deux semaines on reparle de l'économie réelle et qu'on s'en inquiète dans les médias. L'économie réelle, ce sont les emplois, les industries, les maisons, les familles, toutes ces entités qui ont été oubliées au profit de l'économie virtuelle, celle des marchés, des PDG qui font 100 millions par année. C'est le fracassant retour de la réalité dans l'univers virtuel des spéculateurs qui craignent que notre baisse de confiance n'entraîne une baisse de leur bonus. Curieusement, ces jours-ci, les néo-libéraux se taisent ou, pire encore, comme les profiteurs qu'ils sont, ils se plaignent sans complexes et sans honte des imperfections des interventions gouvernementales. Et Stéphane Dion va retourner à l'enseignement. Quelle semaine historique!


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->