Les États-Unis plus riches de 45% que le Québec? Arrêtons d’exagérer!

Le problème avec les chiffres rapportés par le groupe de HEC, c’est qu’ils ne sont pas les bons et contiennent deux erreurs fondamentales, dit l’économiste Pierre Fortin.

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François Legault encore dans les patates

Il y a trois ans, le chef de la Coalition Avenir Québec, François Legault, lançait que les Américains étaient 45 % plus riches que les Québécois. Ce dernier fondait son jugement en toute bonne foi sur une affirmation à cet effet du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal.
Depuis lors, plusieurs d’entre nous avons démontré que le chiffre de HEC repris par François Legault était erroné. Mais les affirmations erronées, surtout quand elles sont politiquement commodes, ont la vie dure. Mon confrère et ami du New York Times, Paul Krugman, dit qu’elles sont comme les coquerelles. On a beau les écraser dix fois, elles reviennent toujours.
Le groupe de HEC vient de récidiver dans un nouveau rapport intitulé Productivité et prospérité au Québec, Bilan 2013. Pour bien fixer les idées, la première colonne du tableau ci-dessous reproduit ses estimations du niveau de vie (ou pouvoir d’achat) en 2012: 44 428 dollars au Québec, 49 440 dollars en Ontario, 52 177 dollars dans l’ensemble du Canada et 63 414 dollars aux États-Unis en 2012. Le niveau de vie est mesuré ici par le revenu intérieur brut (PIB) par habitant de chaque région. Il s’agit partout de dollars canadiens.
Juste à côté, pour plus de clarté, la deuxième colonne transforme ces chiffres en nombres indices dans la base Québec = 100. On y constate que, selon le groupe de HEC, les niveaux de vie de l’Ontario, du Canada et des États-Unis auraient dépassé celui du Québec de 12 %, 17 % et 43 %, respectivement. Dans le cas de la comparaison Québec-États-Unis, on n’est donc pas loin du pourcentage de 45 % utilisé par François Legault il y a trois ans.
Le groupe de HEC calcule les PIB par habitant du Québec, de l’Ontario et du Canada directement à partir des statistiques officielles publiées par Statistique Canada. Pour les États-Unis, le calcul requiert une étape supplémentaire. Les données du ministère américain du Commerce enregistrent pour 2012 un PIB par habitant de 51 689 dollars américains. Pour arriver au chiffre de 63 414 dollars canadiens qui apparaît au bas de la première colonne du tableau, le groupe de HEC multiplie les 51 689 dollars américains par un facteur de 1,23 afin de convertir les dollars américains en dollars canadiens.
L’interprétation qui est donnée est qu’en 2012 cela aurait pris 63 414 dollars canadiens pour procurer globalement aux Canadiens le même pouvoir d’achat que les 51 689 dollars américains ont procuré aux Américains. Le taux de conversion de 1,23 dollar canadien pour 1 dollar américain qui est utilisé par le groupe de HEC est tiré du site de statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Le problème avec les chiffres rapportés par le groupe de HEC, c’est qu’ils ne sont pas les bons. Ils contiennent deux erreurs fondamentales : 1) ils ne tiennent pas compte des différences de coût de la vie entre les provinces canadiennes, et 2) le taux de conversion utilisé, soit 1,23, surestime considérablement le montant requis en dollars canadiens pour acheter au Canada ce qui coûte 1 dollar américain aux États-Unis. Examinons ces deux erreurs de plus près.
La première est de supposer que le niveau moyen des prix des biens et des services achetés par les Canadiens est le même dans toutes les provinces. Or, les enquêtes de Statistique Canada sur les prix à la consommation confirment ce que nous savons tous d’expérience: le « coût de la vie » est plus bas au Québec qu’ailleurs au Canada. Ce qui coûte 115 dollars à Toronto coûte 100 dollars à Montréal.
Si on généralise cette sorte d’estimation à l’ensemble du Québec, de l’Ontario et du Canada et qu’on couvre les prix de tous les biens de consommation et d’investissement, et de tous les biens publics et privés, on trouve qu’en moyenne, en 2012, les coûts à l’achat étaient plus faibles de 8,8 % au Québec qu’en Ontario, et en général plus faible de 6,1 % au Québec que dans l’ensemble du Canada.
Il s’ensuit que les biens et les services qu’un montant de 49 940 dollars a permis d’acheter en Ontario en 2012 auraient coûté 8,8 % moins cher au Québec, soit 45 559 dollars. De même, les biens et les services qu’un montant de 52 177 dollars a permis d’acheter dans l’ensemble du Canada en 2012 auraient coûté 6,1 % moins cher au Québec, soit 49 003 dollars. En toute rigueur, ce sont ces deux chiffres corrigés pour tenir compte des écarts de coût de la vie entre le Québec et les autres provinces qui doivent être comparés au PIB par habitant de 44 428 dollars du Québec parce que ce sont eux qui mesurent les niveaux de vie de l’Ontario et du Canada en unités de pouvoir d’achat comparables à celles du Québec. Ils sont inscrits dans la troisième colonne du tableau.
La seconde erreur du groupe de HEC est que le taux de conversion de 1,23 dollar canadien pour 1 dollar américain qu’ils copient du site de l’OCDE n’est pas le bon. L’ancien sous-gouverneur de la Banque du Canada Pierre Duguay, le directeur de l’analyse économique de Statistique Canada John Baldwin, de même que plusieurs chercheurs américains et européens, ont tous souligné que le taux de conversion de l’OCDE ne pouvait logiquement être utilisé tel quel pour comparer les pouvoirs d’achat.
Le taux de l’OCDE compare les PIB des États-Unis et du Canada en les divisant non pas par les prix d’achat respectifs des deux pays, mais plutôt par leurs prix de vente respectifs (ou une combinaison hybride des deux). Or, les prix de vente et les prix d’achat ne sont pas la même chose, puisque les pays vendent ce qu’ils exportent, mais achètent ce qu’ils importent. Les prix de vente et les prix d’achat évoluent souvent de façon fort différente dans le temps.
Heureusement, Statistique Canada publie une estimation annuelle du taux de conversion qui évite ce piège et qui compare adéquatement les prix d’achat au Canada et aux États-Unis.
Pour 2012, le taux de conversion de Statistique Canada est de 1,10 dollar canadien pour 1 dollar américain. L’application de ce taux au PIB par habitant de 51 689 dollars américains enregistré aux États-Unis en 2012 indique qu’un montant de 56 801 dollars canadiens aurait procuré le même pouvoir d’achat à l’ensemble des Canadiens.
Au Québec, comme on a vu plus haut, ce panier de biens d’une valeur de 56 801 dollars canadiens aurait coûté 6,1 % moins cher, c’est-à-dire 53 346 dollars canadiens. C’est ce dernier montant qui mesure le vrai pouvoir d’achat des Américains exprimé en prix d’achat au Québec en 2012. Il est inscrit au bas de la troisième colonne du tableau.
Les résultats qui incorporent les deux types de corrections (coût de la vie et taux de conversion du pouvoir d’achat des dollars américains) sont présentés sous forme d’indices dans la quatrième colonne du tableau.
Lorsqu’on les compare aux indices de la deuxième colonne, l’évidence saute aux yeux : les écarts de niveau de vie dûment ajustés entre le Québec et ses partenaires d’Amérique du Nord (quatrième colonne) sont beaucoup moins prononcés que les écarts bruts non corrigés qui sont rapportés par le groupe de HEC (deuxième colonne). En 2012, le niveau de vie de l’Ontario n’était pas supérieur de 12 % à celui du Québec, mais bien de 3 % seulement. Et le niveau de vie des États-Unis ne dépassait pas celui du Québec de 43 %, mais de 20 %.
Cela ne signifie pas du tout que tout va parfaitement bien pour l’économie du Québec, loin de là. Mais deux conclusions s’imposent. Premièrement, le niveau de vie du Québec est du même ordre de grandeur que le niveau de vie de l’Ontario (et celui des cinq autres provinces non pétrolières du Canada, si on avait fait le calcul). Deuxièmement, le Québec, l’Ontario et ces autres provinces non pétrolières affichent collectivement un retard de niveau de vie de 15 % à 20 % par rapport aux États-Unis.
Cet écart de niveau de vie avec les États-Unis est réel et important, mais il concerne toutes les provinces non pétrolières, et pas seulement le Québec.


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