Les épouvantails sont fatigués

Élections 2006

Excusez le jeu de mots un peu facile, mais le moins que l'on puisse dire, c'est que l'atterrissage de Marc Garneau dans le merveilleux monde politique est plutôt difficile.
Non parce que l'ex-astronaute regrette avoir quitté son poste à l'Agence spatiale canadienne pour se présenter sous la bannière libérale dans Vaudreuil-Soulanges, mais il prend conscience avec émotion qu'il est plus prestigieux de porter le drapeau canadien dans une navette de la NASA que dans les villages francophones du Québec.
En fait, M. Garneau constate la même chose que plusieurs de ses collègues depuis l'éclosion du scandale des commandites: il est bien difficile de «vendre» le Canada aux Québécois. Même pour un héros de l'espace, qui a la feuille d'érable tatouée sur le coeur, au point où il avoue sans détour qu'il ne pourrait supporter de vivre dans un Québec indépendant.
«Je quitterais le Québec, c'est certain, a-t-il lancé hier matin au cours d'un entretien dans un café du Vieux-Montréal. Pourquoi je resterais? J'en serais incapable, je me suis battu contre l'indépendance toute ma vie. Je suis canadien, j'ai servi mon pays dans la marine, puis dans l'aérospatiale.»
Chose certaine, on ne pourra jamais douter de l'attachement de Marc Garneau pour le Canada. Ni de sa candeur. Même Jean Chrétien, qui ne pourra jamais être soupçonné de quelque sympathie envers le mouvement souverainiste, a déjà dit qu'il continuerait d'habiter sa grande maison de Lac-des-Piles si le Québec devenait indépendant.
Mais Marc Garneau fait partie de ces fédéralistes québécois convaincus que l'accession du Québec à la souveraineté serait une catastrophe pour les Québécois. «Ils le regretteraient amèrement après quelques années seulement», dit le candidat libéral. Notez le «Ils», puisque lui ne veut pas être de l'aventure.
Pour un fédéraliste convaincu comme Marc Garneau, le moment est mal choisi pour entreprendre une carrière politique au Québec. Surtout qu'il a la mission difficile de reconquérir une circonscription perdue aux élections de 2004. Toujours considérée comme une forteresse libérale, notamment à cause de ses 25% d'anglophones et d'allophones, Vaudreuil-Soulanges a élu la bloquiste Melli Faille il y a 18 mois.
Le candidat-vedette trouve évidemment difficile de se faire traiter de voleur dans ses tournées électorales (après tout, il n'a rien, strictement rien, à voir avec le scandale des commandites), mais il dit être capable d'en prendre. Ce qu'il trouve le plus frustrant, c'est ce sentiment d'impuissance à partager sa passion pour le Canada. Là encore, M. Garneau constate ce que bien de ses collègues ont constaté depuis des années: sur le terrain des symboles et des émotions, les souverainistes sont durs à battre.
«J'ai l'impression que je n'arrive pas à vendre ma vision du Canada, alors que les souverainistes peuvent dire n'importe quoi, se désole M. Garneau. Quand Gilles Duceppe, par exemple, dit que son parti a voté dans 82% des occasions avec le gouvernement libéral parce que c'était dans l'intérêt du Québec, on oublie de dire que c'est parce que dans 82% des occasions, c'est le gouvernement libéral qui a proposé ce qui était bon pour le Québec.»
Mais au message positif - «le gouvernement libéral propose ce qui est bon pour le Québec» - s'ajoute le pendant négatif: le spectre du référendum et des marasmes post-souveraineté.
«Je ne peux pas parler du Canada et de la valeur du fédéralisme sans parler aussi des dangers et des conséquences de la souveraineté», explique Marc Garneau.
Le problème de M. Garneau, c'est que les «dangers» de la souveraineté inquiètent beaucoup moins les Québécois qu'auparavant. Cela ne veut pas dire qu'ils voteront majoritairement Oui au prochain référendum, mais ils se sont habitués, tranquillement, à vivre avec l'idée de la souveraineté.
Bref, l'épouvantail de la «séparation» est fatigué. Mais ça, les libéraux fédéraux, à commencer par leur chef qui ne cesse de parler d'une élection référendaire, ne l'ont pas encore tout à fait compris. Voilà qui explique en grande partie les problèmes de Marc Garneau dans Vaudreuil-Soulanges. Et des libéraux un peu partout au Québec.
Reste à voir si les électeurs ontariens, qui détiennent encore la clé des prochaines élections, s'émouvront, eux, des périls référendaires. Paul Martin mise encore là-dessus: convaincre les Canadiens que seul son parti peut maintenir l'unité nationale. Et certainement pas, en tout cas, un gouvernement minoritaire conservateur n'ayant aucune base au Québec et devant céder la balance du pouvoir aux «séparatistes» du Bloc québécois.
Cet argument peut encore résonner, mais celui voulant que Stephen Harper soit une dangereuse créature de droite ne semble pas vouloir prendre cette fois. Voilà un autre épouvantail fatigué dans l'arsenal électoral libéral.
Mais Paul Martin essaye encore de taper sur ce clou. Sentant le souffle chaud de son adversaire conservateur, M. Martin a affirmé lundi que Stephen Harper, s'il prend le pouvoir, nommera dans son cabinet d'ex-membres du gouvernement de Mike Harris, encore plus à droite que l'ancien premier ministre ontarien. Tiens, Mike Harris... Il y avait longtemps que l'on n'avait entendu ce nom. Les libéraux doivent vraiment sentir que ça chauffe.
L'usure du pouvoir finira peut-être par rattraper les libéraux, ce qui serait normal, après tout, après plus de 12 ans au pouvoir. Ce qui n'est pas normal, c'est que les électeurs n'aient pas de solution de rechange valable sous la main pendant si longtemps. Stephen Harper, avec une très bonne campagne, leur aura donné à ce jour l'impression que, pour la première fois, cette solution existe peut-être. Mais ne tenez pas les libéraux pour battus. Ces gens-là sont comme des chats, ils retombent presque toujours sur leurs pattes.
Ils nous réservent apparemment des surprises dans les prochains jours, surtout après les derniers débats, la semaine prochaine, au moment de la présentation de leur programme électoral. Et ce, même si Paul Martin a dit lui-même avant les Fêtes qu'il n'avait pas besoin de faire des promesses parce que son excellent bilan suffit pour mener campagne.


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