Le sophisme bloquiste

Bernard Amyot, Avocat, Montréal

Élections 2006

Un malentendu persistant fausse malheureusement le débat électoral canadien. Il est perpétuellement alimenté par les leaders indépendantistes qui ne cessent de prétendre qu'il existerait une adéquation parfaite entre le Bloc québécois et les intérêts du Québec et des Québécois. Or, à l'évidence, rien n'est plus faux.
En effet, comment affirmer que le Bloc québécois parle d'une seule voix au nom de tous les Québécois et du même souffle utiliser systématiquement toutes les tribunes qui lui sont données pour faire la promotion du projet indépendantiste comme si l'ensemble des Québécois y adhérait ? Par surcroît, on ne peut pas constamment analyser les intérêts des Québécois à travers l'unique filtre du débat constitutionnel.
À cette enseigne, le Québec est, au mieux, profondément divisé. Alors comment, dans de telles circonstances, le Bloc peut-il sérieusement s'arroger le titre d'unique défenseur des intérêts du Québec ?
Les fédéralistes sont tout aussi capables de défendre les intérêts du Québec au sein du Canada. Ils l'ont fait activement depuis la création de notre pays. À ce titre, on peut même prétendre sans se tromper que le système fédéral canadien favorise l'émergence de solutions favorables au Québec, et vice-versa, à même les tensions créatrices qui l'animent et l'ont fait évoluer depuis plus de 125 ans.
Le Québec d'aujourd'hui ne ressemble en rien au Québec de Duplessis, grand bien nous en fasse. Si Duplessis avait détenu tous les pouvoirs, cela n'aurait certes pas été une solution propre à émanciper davantage les Québécois. De même, les provinces peuvent aussi souvent donner l'exemple et être à l'avant-garde de solutions qui feront progresser l'ensemble de la société canadienne.
Une identité multiforme
Il n'existe pas de vision unique et homogène de l'identité québécoise, et c'est bien ainsi. L'identité québécoise est plurielle et multiforme, et c'est bien ainsi. Comme tous les autres peuples de la Terre, nous ne formons pas un bloc monolithique. D'ailleurs, à ce titre, on retrouve des Québécois à tous les niveaux de l'éventail politique.
Comme ailleurs au Canada, en France ou aux États-Unis, les citoyens de toute tendance échangent en démocratie, et le choc des idées permet de dégager des consensus et des éléments de solution. À preuve, à l'intérieur même du Bloc et du Parti québécois, on retrouve un large éventail d'opinions divergentes, de la gauche militante à la droite néolibérale. On sentait d'ailleurs clairement que René Lévesque s'accommodait mal lorsqu'il partageait la même tribune avec Chaput et Bourgault lors de la création du Parti québécois. Certains indépendantistes de gauche songent même à former leur propre parti provincial.
Placer la réalisation de l'indépendance comme condition préalable à tout débat sur les grands enjeux de société auxquels nous faisons face crée une impasse qui nous fait stagner. De jeunes députés péquistes ont déploré ce fait en 2004 et se sont vite fait rabrouer par leurs aînés. De même, lorsque Bernard Landry, en 2004, avait été confronté par les jeunes de l'Université du Nouveau Monde, notamment par rapport aux problèmes de l'environnement, et que ces derniers avaient affirmé qu'ils ne voyaient pas la lutte pour la souveraineté comme une priorité, M. Landry n'avait rien trouvé d'autre à répondre que ces paroles pour le moins stupéfiantes : «Je suis tellement certain de leur appui massif à la souveraineté dès aujourd'hui. [...] Il restera du temps en masse ensuite pour s'occuper de questions sociales et environnementales.»
En un mot, le Québec devra s'exclure des grands débats sociaux tant et aussi longtemps que le projet tout aussi obsessionnel que désuet des ténors indépendantistes n'aura pas été réalisé. Tout de même choquant comme impasse, non ? La mondialisation, l'environnement et la diversité culturelle sont des sujets qui ne peuvent attendre et ne sauraient d'ailleurs dépendre de la tenue d'un troisième référendum.
Un recul pour le Québec
Dans le contexte de la campagne électorale fédérale en cours, le Bloc québécois voudrait nous faire croire le contraire et ramener tout débat au sort de la cause qu'il défend. Le sophisme bloquiste fait reculer le Québec.
Comme l'affirmait récemment Daniel Laprès dans La Presse, prétendre que les indépendantistes détiennent l'absolu monopole de l'identité québécoise et des intérêts du Québec relève de l'imposture. L'effet pernicieux d'une telle position a pour effet d'exclure les Québécois de tout débat générateur de solutions au Canada sous prétexte qu'ils seraient «soviétiquement» unanimes sur tous les sujets du jour.
Comme Jérôme Melançon l'affirmait également récemment dans La Presse, les intérêts des Québécois ne sont pas, par nécessité, différents de ceux des autres Canadiens. Nous vivons dans un monde beaucoup moins simpliste. Adhérer à la thèse des bloquistes, c'est faire fi du fait que parmi l'ensemble des Canadiens, y compris l'ensemble des Québécois, on retrouve un kaléidoscope d'idées et de positions qui font cheminer notre pays.
Un vote pour le Bloc procède d'une vision à court terme qui, de fait, isole le Québec en créant l'illusion d'un choix. Il encourage le repli sur soi. En nous coupant des débats qui façonnent la société canadienne sous prétexte qu'il faille d'abord résoudre la «question nationale», le Bloc nous enferme dans un carcan stagnant et improductif. Il a pour effet de nous couper des sphères d'influence qui façonnent notre identité et peuvent répondre à nos aspirations.


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