Michael Sabia, au moment de sa nomination à la Caisse de dépôt et placement du Québec Photo: Archives La Presse
La nomination de Michael Sabia à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec n'a pas fait l'unanimité, c'est le moins que l'on puisse dire. On a évoqué son manque d'attachement, son peu d'engagement envers la communauté montréalaise, son bilan couci-couça lorsqu'il était aux commandes de BCE.
Mais cette nomination n'a pas fait que choquer la population et la communauté d'affaires: elle a également soulevé plusieurs questions parmi les avocats. Une en particulier brûle les lèvres de tous les patrons et associés des grands bureaux de Montréal: à quels cabinets ira le gros des mandats juridiques maintenant que la Caisse a un nouveau patron?
Chaque fois qu'un PDG ou chef des services juridiques d'une grande entreprise change de travail, c'est le branle-bas de combat dans les cabinets d'avocats. On a peur, on est nerveux, ou alors on jubile et on se frotte les mains, selon que l'on connaisse ou pas le nouveau venu.
Il faut dire que les avocats ont de quoi être inquiets. La Caisse, et ses nombreuses filiales, est l'un des principaux acheteurs de services juridiques au Québec. Elle pèse tellement lourd en cette matière que les quelques grands cabinets qui ne l'ont pas comme client refusent bien souvent de représenter un autre client contre elle en cour, juste au cas où un jour elle deviendrait elle aussi client!
Il serait toutefois facile, voire malhonnête, de dire que la Caisse fait preuve de favoritisme. Tous les avocats ou presque sont d'avis que ses dirigeants juridiques font des efforts pour répartir - certains diront saupoudrer - les mandats équitablement parmi une multitude de cabinets. Mais, selon les dossiers et domaines d'expertise, certains cabinets en reçoivent plus que d'autres. Car la Caisse, comme n'importe quel client, et c'est bien normal, a ses préférences.
Or c'est justement cela - les préférences de la Caisse - qui inquiète ces jours-ci certains avocats. L'arrivée de Michael Sabia changera-t-elle quoi que ce soit dans la répartition des mandats juridiques? Le nouveau patron voudra-t-il imposer ses avocats externes, en qui il a pleine confiance et avec qui il a établi de bonnes relations au CN et chez BCE?
Question légitime
La question se pose, et quelques avocats de haut calibre se la posent encore plus depuis la sortie publique de Pierre Raymond, président du conseil de Stikeman Elliott. Dimanche dernier, dans une lettre publiée dans les pages Forum de La Presse, Me Raymond a pris la défense de Michael Sabia, en écrivant qu'il trouvait malheureux que toutes les critiques aillent dans le même sens - contre la nomination de M. Sabia - et que cela manquait d'objectivité.
L'humain étant ce qu'il est, cette lettre surprise a sonné une cloche dans la tête des dirigeants cabinets concurrents. Au mieux, on a trouvé la sortie de Me Raymond risquée, au pire, on a insinué qu'il avait agi en «téteux», qu'il ne s'agissait que d'un coup de marketing dans l'espoir d'obtenir des mandats juridiques du nouveau patron de la Caisse. D'autant plus que Lawson Hunter, un ex-vice-président exécutif et chef des services généraux de BCE, est de retour chez Stikeman après un exil de cinq ans. En 2003, il avait suivi chez BCE son bon ami... Michael Sabia.
Pierre Raymond ne s'en est pas caché dans sa lettre, son cabinet représentait BCE et le CN du temps où Michael Sabia faisait partie de la haute direction de ces entreprises. Et il ne se cache pas non plus en déclarant que Stikeman Elliott n'a pas reçu beaucoup de mandats de la Caisse ces dernières années, en tout cas beaucoup moins que d'autres cabinets.
Mais il rejette d'emblée ces insinuations. Il affirme que sa sortie publique est une initiative personnelle et qu'en fait, il connaît peu Michael Sabia. «Je l'ai rencontré à quelques reprises, mais je n'ai jamais pris un dîner ni même un verre avec lui», dit-il.
De toute façon, souligne Me Raymond, ce serait une erreur stratégique que de passer par Michael Sabia pour obtenir des mandats, car on se mettrait le vice-président juridique à dos.
Mal vu
Il est vrai que les chances sont plutôt faibles de tenter d'influencer un PDG, aussi bonnes les relations soient avec lui. Il y a une vingtaine d'années, c'était encore possible, car dirigeants et membres du conseil se mêlaient encore abondamment du choix des conseillers juridiques externes. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Dans les grandes entreprises, les gros mandats sont accordés par le vice-président juridique, dont le rôle est très important. En matière juridique, c'est lui, ou elle, le boss. Un PDG qui s'immiscerait dans son boulot serait mal vu.
Chez Stikeman, dit Pierre Raymond, on va donc faire comme d'habitude en demandant à un ou deux avocats de faire du démarchage auprès de la Caisse. Ni plus, ni moins.
Cela dit, même si Michael Sabia avait l'intention de changer d'avocats externes, ça ne pourrait pas se faire du jour au lendemain. On ne balaie pas du revers de la main des relations qui se sont bâties de longue date entre des gestionnaires de la Caisse et leurs avocats. Tout cela ne peut se briser d'un coup de baguette magique. Qui plus est, en le faisant, Michael Sabia risquerait de se mettre à dos ses gestionnaires du département juridique.
Dans le fond, ce que devraient craindre davantage les avocats, c'est ce que voudra faire de la Caisse le nouveau patron. Michael Sabia est reconnu pour mettre de l'ordre, faire le ménage, un bon gestionnaire des dépenses. Comme générateur de croissance, il a encore tout à prouver. Si, avec lui, la Caisse décide d'investir plus prudemment en concentrant par exemple ses investissements dans des certificats de dépôts, alors il y aura bien peu de mandats juridiques à distribuer, peu importe les cabinets.
Et ça risque de faire beaucoup plus mal...
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René Lewandowski, collaboration spéciale
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